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La chronique
Un nouveau combat de valeurs

“En vérité, Docteur, dans nos villes, on ne sait plus ce que l’on mange !” (1). Telle est la légende de cette image d’Epinal, datant de… 1883. Madeleine Ferrières conclut sa remarquable Histoire des peurs alimentaires (2) en rappelant que, dès l’exode rural, le face-à-face avec l’aliment n’existe plus. Même si la peur de mourir empoisonné est liée à l’histoire de la relation entre l’homme et la nourriture, comme elle le démontre en analysant les peurs du Moyen-Age, c’est l’allongement des circuits (le transport, les intermédiaires) qui cristallisent les peurs modernes. « Le rêve du circuit court est définitivement enfui ; le mangeur du XXe siècle entre dans le règne des courts-circuits. »
Ainsi, la fin du XIXe siècle marque un nouvel ordre des peurs alimentaires. Indépendamment des scientifiques (hommes de sciences, hygiénistes, diététiciens, etc.), le jeu combiné de trois acteurs va insuffler une dimension plus globale aux représentations des risques alimentaires. Il s’agit de l’Etat, de la presse et du tout nouveau consommateur.
L’Etat. L’Occident invente, au nom du principe de précaution et de prévention, un nouvel ordre alimentaire. En 1905, en France une loi sur les fraudes est créée, en 1906 une circulaire ministérielle rend obligatoire l’inspection sanitaire dans les abattoirs. La même année, le Pure Food and Drug Act voit le jour aux Etats-Unis. Plus largement que le contrôle sanitaire, il rend l’étiquetage obligatoire.
La presse. Au XIXe siècle, celle-ci est en plein essor. Via cette plate-forme d’affrontement et de délibération la peur devient collective. Le journaliste est le nouvel expert/contre-expert. C’est un relais puissant qui à la fois alerte, informe et amplifie les angoisses.
Le consommateur. « Par une petite porte, il entre en scène… ». Le consommateur est celui « qui ne sait pas ce qu’il mange. Il s’en remet à des intermédiaires qui, en son nom et pour son bien, vont l’informer, contrôler à sa place, lui permettre de savoir sans voir ».
Selon Madeleine Ferrières, la peur alimentaire n’est pas négative. Au contraire c’est un puissant moteur d’action pour évaluer, réduire, voire maîtriser les risques. C’est un ensemble de compromis : compromis entre tous les acteurs et compromis entre des valeurs alimentaires différentes (qualité sanitaire, qualité gustative…). Car manger n’est pas polarisé sur la seule attente “santé-sécurité”. Le besoin d’être totalement rassuré ne suffit pas, ni le risque zéro. C’est un compromis entre « l’horreur d’une alimentation non contrôlée et l’horreur d’une alimentation faite de denrées entièrement identifiées, et donc identiques, homogénéisées et aseptisées. » Aujourd’hui, alors que le souci de qualité sanitaire s’est substitué à la peur de la pénurie, un nouveau combat de valeurs voit le jour : entre le tout sécuritaire et l’acceptation du risque.

(1) Image d’Epinal, les principales falsifications, 1883. Reproduite in Lebigre 1986, p. 124.
(2) Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires, Seuil, 2002.

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