Un monde économique et esthétique

Le (très intéressant) dernier livre de Gilles Lipovetsky et de Jean Serroy “L’esthétisation du monde” (1) démontre que, désormais, les sphères économiques et esthétiques non seulement ne s’opposent plus, mais s’interpénètrent et finissent par ne plus se différencier. C’est toute l’économie qui s’en trouve modifiée.
Alors que le capitalisme rend chaotique le paysage économique sur le plan mondial, il nourrit, en parallèle, un nouveau mode de fonctionnement qui repose sur des dimensions esthétiques, imaginaires et émotionnelles. Les marques en sont les principales bénéficiaires. Elles entrent en compétition sur les marchés via le style, la mode, l’art, le divertissement culturel. Les objets du quotidien – les arts de la table par exemple – sont vendus comme des accessoires de mode, les marques de vêtements grand public copient les codes du luxe, les bars et les hôtels sont relookés en lieux artistiques, même les coiffeurs sont devenus des hairs designers… et les cuisiniers, désormais, sont consacrés artistes à part entière.
Cette logique s’étend également à toutes les zones géographiques. Aux quatre coins du monde se retrouvent les codes du design, qui ne sont plus le seul apanage des sociétés occidentales. En Inde, en Russie, en Asie, en Amérique du Sud se fabrique une culture esthétique de masse généralisée. La ville de Séoul a été élue en 2010 capitale mondiale du design. Cent cinquante écoles de modes et autant d’écoles de design sont ouvertes au Brésil…
Mais au-delà de la production, ce sont nos modes de vie, notre rapport au corps, à l’habitat, au tourisme, au loisir qui sont bouleversés. Alors que les logiques de classes sociales et de statut prévalaient, avec ses compartiments et ses hiérarchies, c’est l’ensemble de notre rapport à la consommation que touche cette démocratisation de masse à composante esthétique. D’autant que le design agit au sein même de nos modes de vie : il les transforme. Les produits du quotidien sont concrètement conçus pour nous procurer des expériences plaisantes. La firme Renault, par exemple, a créé en 2012, une voiture avec climatisation hydratante, une ambiance lumineuse au choix et diffuseur de parfum au choix.
Ainsi notre vie personnelle est-elle également nourrie de cette recherche esthétique via la consommation. Les sensations immédiates, le plaisir des sens, le goût pour les nouveautés, l’hédonisme, l’expérience, la qualité de la vie, l’accomplissement de soi sont devenus un idéal de vie.
(1) L’esthétisation du monde : Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Gallimard, 2013.