DÉBUT DE CAMPAGNE
Un marché hexagonal très exigeant
Progression de l'approvisionnement, hausse de la consommation, l'avocat de contre-saison ne connaît pas la crise. Mais pour que la France reste un eldorado, les opérateurs doivent s'adapter.
Quasiment inconnu sur nos étals il y a cinquante ans, l'avocat est désormais un incontournable du rayon fruits et légumes. Et l'avocat de contre-saison, dont la campagne s'étend globalement de mai à fin septembre, se taille la part belle, malgré la concurrence des fruits d'été : environ un tiers d'avocats commercialisés en Europe l'est pendant cette période. Et ils progressent. Là où les volumes de contre-saison ne constituaient que 69 000 t en 2003, ils en représentent presque le double aujourd'hui. L'approvisionnement européen de l'été 2012 a même atteint des sommets jamais vus : 132 000 t, dont 27 500 t en France. Pour la campagne 2013, les envois sont estimés entre 125 000 et 130 000 t, un total soutenu légèrement inférieur à l'année précédente.
Trois origines se partagent environ 97 % du marché d'été : l'Afrique du Sud, le Pérou, et le Kenya. Des origines minoritaires (Brésil, Argentine) complètent le marché. L'Afrique du Sud expédie en moyenne 40 000 t en Europe (en fonction de l'alternance) et occupe 37 % du marché en 2012. Le Kenya, en recul, fournit un peu plus de 15 000 t (13 % de l'approvisionnement en 2012). Quant au Pérou, il est désormais massivement présent en Europe depuis 2009.
Un Pérou omniprésentLes volumes européens d'avocats de l'été 2012 ont atteint 27 500 t en France.
L'origine Pérou, qui ne représentait que 16 % de l'approvisionnement européen en 2003 avec 11 000 t, comptabilise en 2012 plus de 62 000 t (dont 13 000 t pour la France), soit 47 % des volumes. La production péruvienne ne cesse d'augmenter, avec un rythme de croissance du verger de 20 % depuis 2006 (source : Fruitrop). Cette croissance est telle qu'elle lisse l'impact de l'ouverture du marché américain l'été dernier. Si la part allouée à l'Amérique du Nord a effectivement progressé, passant de 14 % en 2011 à 21 % en 2012 (faisant reculer l'arbitrage pour l'Union européenne de 82 % à 77 %), l'augmentation en production permet des volumes toujours conséquents en Europe.
De l'avis des importateurs, l'impact de l'ouverture du marché américain a été moindre en 2012 et sur la première partie de campagne 2013. Surtout parce que « le marché américain n'était pas si bon que ça, explique Philippe Mendez, directeur général de Reyes Gutiérrez France. En l'absence de contrats avec les importateurs américains, les petits producteurs ont préféré venir en Europe où le marché est demandeur. » Mais le rêve américain n'est jamais loin. La baisse des volumes mexicains vers les Etats-Unis en juillet couplée à une forte demande américaine a remanié l'arbitrage du Pérou qui, depuis, envoie massivement aux Etats-Unis. « En mai, le Pérou est arrivé en force sur un marché bon et stable, avec des volumes conséquents, explique François Bellivier, directeur général de HL Hall International en France. On a vu un effondrement des prix début juin. » Et dès que le marché américain est devenu intéressant fin juillet, l'Europe a perdu de gros volumes péruviens. A titre d'exemple, pour la semaine du 15 août, le Pérou a chargé moitié moins de colis pour l'Europe. Les volumes fluctuent, les prix aussi. « Au final, c'est le marché américain qui fait le marché européen », conclut Philippe Mendez. Mais balloté d'un extrême à l'autre, le marché n'est jamais vraiment catastrophique.
Les Français consomment plusLa demande étant au rendez-vous, au final les cours restent soutenus. L'été 2012, année record à bien des égards, a ainsi atteint un prix moyen de 7,40 € du colis, deuxième meilleure performance après les 8 € de 2011 ! La France se place en tête des consommateurs européens, loin devant le Royaume-Uni. Ainsi, la consommation apparente de mai à octobre se chiffre à près de 40 000 t en France quand elle n'atteint que 19 000 t outre-Manche et moins de 4 000 t en Europe de l'Est. Olivier Fakhri, directeur commercial de Georges Helfer, confirme : « En France le marché est de plus en plus dynamique. L'avocat n'est plus classé dans le rayon exotique. » Devant l'enjeu que représente ce marché, Reyes Gutiérrez, importateur espagnol et producteur dans la région de Malaga, spécialisé dans l'avocat et la mangue, a décidé de s'implanter à Rungis en ouvrant une entreprise dédiée au marché français. « La France est un marché non négligeable. Elle est de loin le plus gros consommateur européen d'avocats avec 20 à 30 % des volumes. Là où les Allemands consomment en moyenne 450 g d'avocat par tête et par an, les Français en mangent 1,2 à 1,3 kg ! », explique Philippe Mendez. Ainsi, Reyes Gutiérrez France, dont Reyes Gutiérrez est l'actionnaire majoritaire, se trouve depuis mai 2013 sur le Min, avec un entrepôt qui lui permet également l'activité de mûrissage. « On commence doucement, avec des petits volumes, le but à moyen terme étant d'atteindre la grande distribution et développer le pré-mûri. A long terme, nous souhaitons investir beaucoup plus. » Les principales origines travaillées sont le Pérou, le Chili et l'Espagne. « La société espagnole envoyait au final très peu de volumes sur la France, la majorité étant destinée aux GMS espagnoles à 40 ou 50 % et le reste au Royaume-Uni, le Nord et l'Est de l'Union européenne. Seules deux centrales d'achat étaient concernées en France. Avec Reyes Gutiérrez France, nous allons nous concentrer uniquement sur le marché français. »
Les enseignes préfèrent le Hass pré-mûriLe marché français possède ses spécificités. Plus qu'ailleurs, les variétés vertes n'ont décidément plus la cote, notamment après l'abandon clair et net de ces variétés par les GMS l'été dernier. Olivier Fakhri explique : « La part des variétés vertes continue de diminuer toujours plus. Les consommateurs identifient aujourd'hui l'avocat à un produit brun, pré-mûri. » Du Hass donc. Il faut dire qu'un gros travail marketing a été fait ces dernières années sur cette variété, les opérateurs mettant en évidence ses points forts : produit standardisé, possibilité d'affiner le fruit contrairement à la majorité des variétés vertes, écart d'inventaire et perte liée à la maintenance et à la logistique moindres. La part de marché du Hass était de 55 % en 2003, elle est à présent de presque 85 %. Certains marchés européens restent demandeurs de variétés vertes. Mais, en France, à part sur quelques hard discount et une ou deux enseignes pour des segments bien spécifiques et à des périodes stratégiques (début de la campagne d'hiver et transition hiver-été), pas de variétés vertes. Et par conséquent, « les variétés vertes importées par Helfer sont réexportées, surtout vers la Scandinavie qui est très demandeuse », explique Olivier Fakhri. « Il n'y a plus de variétés vertes en France, précise Philippe Mendez. Le consommateur veut une variété Hass qui mûrit bien. Reyes Gutiérrez France, dédié au marché français, travaille donc uniquement cette variété. » La consommation française augmente, mais elle progresse pour du Hass pré-mûri/mûr à point et emballé. Pour Olivier Fakhri, « 40 à 50 % des avocats vendus en GMS sont désormais pré-mûris en fonction des spécifications des clients. »
L'investissement, au cœur de la stratégie des importateursAfin de proposer une offre adéquate à la demande des enseignes, les importateurs se positionnent sur une logique de spécialisation. Ainsi, l'entreprise Helfer s'adapte, se concentre sur le mûrissage, le packaging et les produits prêts à consommer. De nouvelles chambres de mûrissage sont en projet. « Helfer a été pendant des années le leader incontesté sur le produit “avocat”. De façon à retrouver ce leadership, il a été décidé d'investir de manière significative sur de nouvelles chambres de mûrissage de tri et de conditionnement afin de continuer à développer le pré-mûri et le mûr à point. » Même objectif pour HL Hall International qui vient de reprendre sur le Min de Rungis la société Ecam, spécialisée dans le conditionnement de fruits et légumes (cf. fld hebdo du 17 juillet 2013). La volonté clairement affichée est de développer l'offre de produits packagés prêts à consommer et pratiques. « Nous sommes dans des investissements conséquents pour augmenter et améliorer le mûrissage de nos avocats », déclare François Bellivier. Il précise que l'enregistrement a été fait sous le nom Halls Services. Les prévisions sont pour le moment optimistes et à l'équilibre : « Il y a beaucoup de changements à faire, ça prend du temps mais pour le moment tout va bien. »
Autre point à développer pour les importateurs : la recherche de “nouvelles” origines intéressantes, afin de réduire la dépendance aux pays fournisseurs (risques climatiques ou arbitrage des fournisseurs vers d'autres marchés), ou d'ouvrir une fenêtre de commercialisation stratégique.
Pour le marché de contre-saison, l'Argentine est quasiment absente, mais le Brésil se développe. En ce qui concerne la transition hémisphère Sud-hémisphère Nord, elle se fait avec le Chili et le Mexique, qui sont considérés comme des origines montantes. Le Chili est de plus en plus présent en Europe, depuis que le Mexique est autorisé à exporter aux Etats-Unis (milieu des années 2000). Sa production, en progression (+ 164 % entre 2003 et 2011), doit lui permettre de fournir ses trois marchés : local, Union européenne et Etats-Unis. Quant au Mexique, même s'il est désormais le principal fournisseur des Etats-Unis, il n'en oublie pas pour autant la France, qui reste un de ses marchés principaux. Plus du quart des volumes mexicains envoyés en Europe sont importés directement par la France (1 183 t en 2012). On note de plus un regain d'intérêt pour cette origine. Philippe Mendez estime que « le Mexique a la possibilité de revenir en force en Europe à moyen terme, si la qualité se montre satisfaisante ».
• REYES GUTIÉRREZ FRANCE : implantée sur Rungis depuis mai 2013, cette entreprise est spécialisée dans l'avocat Hass à destination du marché français (90 % de l'activité). L'Espagne, le Pérou et le Chili représentent les principales origines travaillées. Comme son entreprise mère, la société fait un peu de mangue.
• HL HALL INTERNATIONAL À RUNGIS : importateur, mûrisseur et exportateur de f&l exotiques, la société a mis l'accent sur l'avocat (75 % de son chiffre d'affaires). Les volumes importés se chiffrent à 15 000 t en 2011 (dont 9 500 t en été) et 17 000 t en 2012 (10 000 t en été), et proviennent d'Afrique du Sud, du Pérou, du Chili, de l'Israël et du Maroc (500 t en 2011 sur les 932 t importés en France). L'Espagne est travaillée occasionnellement en spot.
• GEORGES HELFER SA FRANCE : dès les années 65, l'entreprise a fait de l'avocat son produit phare. 40 % de son activité provient de ce fruit, importé du Kenya, du Chili, du Pérou, d'Israël et du Mexique. Les volumes importés en 2012 ont totalisé 8 000 t.
Du côté de la transition hiver-été, la Tanzanie commence à faire parler d'elle. Les volumes sont encore anecdotiques, mais son calendrier de production est particulièrement intéressant, de début janvier à mi-mai. A voir donc dans cinq ou dix ans. Autre origine qui pourrait se révéler stratégique : la Colombie, dont la production de Hass ne cesse de croître (27 000 t cette année d'après le ministère de l'Agriculture). Les exportations sont néanmoins presque inexistantes, mais les opérateurs ont communiqué sur leur volonté de développer l'export vers les Etats-Unis et l'Union européenne. « Tout le monde a de gros espoir sur l'origine Colombie, expose Philippe Mendez. Toutefois, la consommation locale est forte et les petits producteurs locaux n'ont pas une mentalité d'exportateur pour le moment (qualité du produit, traitements). Bien sûr, l'accord Union européenne-Colombie va favoriser les choses mais aujourd'hui je ne vois pas de vraie campagne d'avocats colombiens, c'est trop tôt. » Il est cependant à noter que le calendrier de commercialisation de la Colombie en Europe serait en mars-avril, soit la période où les variétés vertes trouvent plus facilement preneurs en France. L'arrivée massive de la Colombie, qui prévoit de n'exporter que du Hass, pourrait bien signifier la fin définitive des variétés vertes. Le marché du Hass pré-mûri, lui, a de beaux jours devant lui.