Retour sur un départ tumultueux
fld : En premier lieu, l’arrivée d’Altarea au capital de la Semmaris n’a-t-elle pas jeté le doute sur l’avenir même du marché ?
Marc Spielrein : S’il perdurait un doute, c’était sur la pérennité de l’Etat comme actionnaire de la Semmaris, certainement pas sur la continuité du marché. La question était légitime d’ailleurs alors que la tendance générale est aujourd’hui au désinvestissement de l’Etat. Cependant, il serait totalement inacceptable que celui-ci se désengage sans avoir déterminé auparavant l’impact sur la mission de service public de la Semmaris et évalué les outils alternatifs disponibles afin de préserver un tant soit peu de contrôle sur cette mission : traité de concession, “golden share”... les solutions existent.
fld : Tout cela avec l’épée de Damoclès représentée par le contrat de concession du domaine public...
M. S. : Evidemment, il y a la question épineuse de la concession du domaine public, qui revient tous les quinze ou dix-sept ans. Elle s’est posée en 1989, la concession a été prolongée jusqu’à 2017 et aujourd’hui à 2034. Elle se reposera encore. Le vrai enjeu est de faire que l’intérêt de l’actionnaire ne soit pas antinomique de celui des opérateurs du marché. Alors quand on entend en conseil d’administration, le PDG d’Altarea dire qu’à l’horizon trente ou cinquante ans, Rungis pourrait avoir une vocation autre qu’alimentaire, il y a un vrai problème.
fld : En quoi ?
M. S. : Mais simplement parce que la loi dit que le marché de Rungis a une vocation alimentaire et je travaillais dans le cadre de la loi. On ne peut, au gré des opportunités, la bricoler comme cela. On peut changer la loi, bien sûr, mais c’est un autre sujet. Je pense que cette position – qui a été toujours la mienne – n’a pas été du goût de tout le monde.
fld : Vous pensez qu’elle est à l’origine du non-renouvellement de votre mandat ?
M. S. : Je ne l’exclus pas. Certes, Bercy a démenti et je m’en suis réjoui. Mais, ce démenti, qui n’était pas du ministre, aurait pour le moins pu prendre une forme plus engageante. D’ailleurs, la réaction des collectivités territoriales et des syndicats de grossistes a montré qu’ils n’étaient pas dupes. D’autant plus que j’avais posé la question de ma succession dès janvier 2011. J’avais proposé la création d’une commission restreinte pour choisir un successeur et effectuer un tuilage de douze à dix-huit mois. Il m’a été répondu à l’époque, par l’Agence des participations de l’Etat (APE) que la question n’était pas d’actualité. Et voilà qu’un an plus tard, les deux principaux actionnaires de la Semmaris, sans en parler aux membres du conseil d’administration, décident mon remplacement.
fld : On a évoqué l’appel à un chasseur de tête...
M. S. : A ma connaissance, son rapport n’a jamais été communiqué au conseil d’administration, ni les noms des candidats analysés. Et dire que la décision est liée à mon âge, 67 ans, il y a là un vrai manque d’élégance... Dans cette histoire, il y a un point que je regrette profondément : c’est que l’on ait volontairement foulé aux pieds les règles de la bonne gouvernance de l’entreprise. Et aussi le mépris dont a fait preuve l’APE vis-à-vis du marché de Rungis et de ses entreprises. Quand on considère que les règles en vigueur dans une entreprise empêchent d’accomplir un choix, il faut s’interroger sur les motivations de ce choix. Qu’Altarea ait agi dans ce sens pour appuyer sa stratégie dans l’immobilier, que l’APE ait fait de même pour soutenir sa politique de désengagement en tant qu’actionnaire, et que les deux aient trouvé en l’occurrence un accord commode, certains l’ont pensé.