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Michel Clavé, directeur de l’agriculture du groupe Crédit Agricole
Pour des investissements agricoles responsables

Les services du Premier ministre ont commandé la rédaction d’un rapport portant sur “les cessions d’actifs agricoles à des investisseurs étrangers dans les pays en développement”. Notre invité, Michel Clavé, a présidé le groupe de travail qui a rédigé ce document.

La question de la sécurité alimentaire est née de la hausse des prix agricoles en 2007-2008. Et tout de suite le problème de l’appropriation des terres agricoles les plus fertiles par des Etats ou des fonds souverains est venu se greffer sur ce premier souci. « La question originelle est la suivante, explique Michel Clavé, directeur de l’agriculture et responsable de la mission développement durable du groupe Crédit Agricole. En quoi ce phénomène est-il de nature à remettre en cause la sécurité alimentaire des pays hôtes ? » La secrétaire d’Etat chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, a demandé une réflexion sur cette évolution, de façon à l’étudier, à en faire l’analyse et à établir une liste de recommandations. Le Centre d’Analyse Stratégique, qui dépend des services du Premier ministre, a décidé de confier la présidence du groupe de travail à Michel Clavé. Il est vrai qu’au fil du temps, notre invité est devenu un véritable expert de ce sujet. « Le Crédit Agricole a décidé de se donner plus de moyens dans le domaine de la sécurité alimentaire. Avec des organisations comme Farm ou la Fondation Grameen, nous soutenons notamment les institutions de microfinance dans le monde agricole en Afrique et en Asie. Le groupe est par ailleurs régulièrement interpellé par les institutions internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale. » Pour Michel Clavé, il était donc tout naturel d’accepter cette mission. D’autant qu’il a fait valider par ses mandataires le principe d’un groupe de travail très large. « Je n’ai pas souhaité avoir exclusivement des experts ou des représentants de l’administration. J’ai voulu réunir l’ensemble des parties prenantes : les ONG, les représentants des producteurs, les investisseurs, les industriels. J’avais un objectif : que tout le monde écoute tout le monde. »
Michel Clavé voulait parvenir à la rédaction d’un rapport consensuel et réaliste. « Il ne s’agissait pas de faire le grand soir de la sécurité alimentaire. La gouvernance mondiale qui va régler tout cela à partir d’un corpus de règles, ce n’est pas demain la veille. Les nouvelles règles seront acceptées quand le nouveau rapport de force, prenant en compte l’émergence du Brésil, de la Chine, de la Russie…, sera accepté. » Mais il fallait également éviter d’engager la France dans un processus qui pouvait pénaliser ses entreprises et ses investisseurs. « J’avais une préoccupation : éviter que la France se mette dans une position morale et dise on n’y va pas. » Or pour Michel Clavé, il faut y aller afin de garantir la sécurité des approvisionnements des industries agroalimentaires. Et beaucoup d’investissements sont déjà faits. Des pays comme la Chine achètent des terres pour résoudre leur sécurité alimentaire. Et la plupart des investissements se situent dans les pays émergents.

La moitié des terres disponibles sont dans les pays en développement
Ces principes posés, le groupe a pu se mettre au travail et rendre son rapport.
Premier constat : il y a urgence à agir ! Il faudra nourrir 9 milliards de personnes en 2050, ce qui impose d’accroître la production agricole mondiale de 70 % et de permettre aux plus pauvres d’accéder à la nourriture. Dans le monde, seules 36 % des terres arables sont effectivement cultivées, soit 1,5 milliard d’hectares sur un total de 4,2 milliards. Il resterait ainsi 2,7 milliards d’hectares de terres exploitables non cultivées. La moitié de ces terres disponibles sont situées dans des pays en développement (PED). « Dans ces pays, indique le rapport, 34 % (soit 0,96 milliard d’hectares) des terres cultivables sont en effet effectivement dédiées à l’agriculture : 1,8 milliard d’hectares potentiels seraient ainsi laissés de côté. » Ces réserves sont inégalement réparties dans le monde : l’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne présentent les plus grands potentiels de territoires exploitables, au contraire de l’Asie du Sud et de la région Proche-Orient/Afrique du Nord. « La proportion de terres effectivement cultivées est de 15 % en Amérique latine, 20 % en Afrique, 50 % dans les pays développés et de 80 % en Asie. » Pour les auteurs du rapport, un fait est certain : le phénomène des cessions d’actifs agricoles à des investisseurs nationaux ou internationaux dans les pays en développement devrait s’amplifier dans les années à venir. « Les cessions foncières internationales de grande ampleur sont un phénomène historiquement ancien mais qui a pris depuis peu une ampleur inédite : de 2006 à 2009, nombre de celles qui ont été rendues publiques portaient sur des étendues de 400 000 à 600 000 ha, quatre à six fois supérieures aux plus grands contrats passés lors du développement des grandes plantations tropicales au XIXe siècle. » De nombreux pays sont confrontés au manque de ressources foncières et voient leur dépendance alimentaire vis-à-vis des marchés extérieurs s’amplifier. Pour ces pays, « la recherche de nouvelles stratégies de sécurité alimentaire est une priorité », constate Michel Clavé. La Chine accroît ses positions foncières en Afrique. « Depuis 2007, le gouvernement chinois a fait le choix d’une production agricole hors des frontières : quelque 2,1 millions d’hectares auraient été investis par des intérêts chinois dans le monde. » Autre acteur de ce jeu planétaire, les pays arabes. Ainsi, une société qatarienne vient de se voir allouer l’exploitation de 200 000 ha par le gouvernement soudanais. Pourtant, le Soudan est le premier destinataire de l’aide alimentaire internationale !
Parallèlement à cette demande, certains pays mettent en place une politique assumée pour attirer ces investissements étrangers. Ils y voient un moyen de développer leur propre agriculture. Mais cette politique n’est pas sans risques. « Ces investissements, s’ils sont mal préparés et mal conduits ou s’ils relèvent d’une simple logique de rentabilité financière court-termiste, peuvent entraîner de graves dommages sociaux et environnementaux, la paupérisation d’une partie de la population rurale et une diminution de la sécurité alimentaire du pays hôte. »

Sept recommandations pour des investissements responsables
Les auteurs du rapport ont opté pour la rédaction de recommandations, non contraignantes, mais peut-être plus réalistes qu’un corpus de règles de droit. L’échec de la conférence de Copenhague sur le climat – après les échecs successifs des négociations à l’OMC – conduit en effet à la prudence et au réalisme.
Il faut en premier lieu inscrire cette démarche de régulation des investissements agricoles dans les cadres généraux des bonnes pratiques des institutions internationales (Banque mondiale, Cnuced, FAO…). « La France et l’Union européenne ne peuvent adopter de règles unilatérales contraignantes sur la cession d’actifs agricoles dans les PED. » Le phénomène étant mondial, toute législation nationale ou européenne aurait des effets limités et porterait atteinte à la compétitivité des acteurs.
Les investissements responsables dans le secteur agricole doivent être encouragés. Les rapporteurs préconisent d’accompagner les pays hôtes dans leurs négociations avec les investisseurs, de les aider à sécuriser ces investissements et de veiller à ce qu’ils s’intègrent dans leurs politiques foncière, agricole et de sécurité alimentaire.
La France et l’Union européenne pourraient proposer des accords bilatéraux aux pays d’accueil des investisseurs européens. Ces accords de partenariat pourraient comporter une aide financière ou technique, destinée à favoriser la mise en place des politiques agricoles, l’éducation et la formation, l’innovation agricole, le développement de filières agroalimentaires, la construction d’infrastructures logistiques (transport, capacité de stockage).
Le rapport propose également la mise en place de politiques foncières alternatives et l’instauration de règles particulières pour les PMA au sein de l’OMC.
Enfin, le rapport met en avant deux propositions phares visant à inscrire les projets d’investissements dans une démarche éthique et transparente. Il s’agit d’abord de l’application des “Principes Equateur” aux cessions d’actifs agricoles. « Il s’agit d’un code de bonne conduite utilisé par les grandes banques mondiales pour vérifier l’impact social et environnemental d’un projet d’investissement », explique Michel Clavé.
Enfin le rapport Clavé propose la création d’un label “Agro Investissement responsable”. Ce label serait attribué aux entreprises ayant répondu aux exigences des “Principes Equateur”. Il engagerait également le pays hôte. « On peut imaginer que ce label soit un jour exigé pour pouvoir exporter des productions vers l’Union européenne. En outre, cela peut devenir un argument commercial pour l’entreprise », poursuit notre invité. Ce label pourrait rapidement voir le jour. L’idée a en tout cas séduit les autorités françaises. Mais Michel Clavé souhaite avant tout que ce rapport constitue d’abord un point de départ pour une nouvelle réflexion, une prise de conscience des enjeux. « Il faut que les opérateurs soient sensibilisés au “comment faire mieux”, qu’ils s’imprègnent de ces nouvelles pratiques. Et il faut surtout porter cette réflexion au niveau communautaire », conclut Michel Clavé.

Michel Clavé nous avait reçus le 27 juillet pour réaliser notre “Premier choix” de ce mois consacré à son rapport. Il était à la veille de ses vacances et nous avait parlé passionnément de ses travaux. Titulaire d’un DES de Sciences économiques et diplômé de l’IEP Paris, Michel Clavé a débuté sa carrière comme chef du service économique du CNJA (1978), avant de rejoindre le département économique de la Fédération Nationale du Crédit Agricole en 1981. Il était directeur de l’ Agriculture et de l’Agroalimentaire de Crédit Agricole SA. Il est décédé le 6 septembre dernier (cf. fld hebdo du 7 septembre 2010).

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