Point de vue
Philippe Binard, délégué général de Freshfel : « Il faut utiliser les budgets actuels pour en démontrer toute l’utilité »
Freshfel milite pour un cadre adapté afin que les fruits et légumes européens soient valorisés.
Freshfel milite pour un cadre adapté afin que les fruits et légumes européens soient valorisés.


FLD : Les programmes de promotions de l’Union européenne font toujours couler beaucoup d’encre…
Philippe Binard : Ne nous plaignons pas. Ils sont passés de 100 à 200 M€ et les fruits et légumes en prennent 30 %. On en peut que s’en féliciter. Il s’agit de promotion générique, avec le logo “Enjoy ! It’s from Europe”. Ceci étant, il faut reconnaître que l’équilibre est difficile entre montrer le caractère européen des produits tout en gardant celui d’une origine nationale ou d’une marque qui a souvent une valeur décisive dans la promotion. La France vend l’origine française, la Pologne vend l’origine polonaise.
L’Union européenne semble avoir une vision plus large du sujet, mettant en avant sa philosophie d’une “alimentation européenne” faites de chartes de qualité, de produits sous labels… Elle est encline à préférer des salons généralistes comme le Sial ou l’Anuga alors que la filière f&l se focalise sur des salons professionnels comme Asia Fruit Logistica, Fruit Attraction…
FLD : Cette vision généraliste est-elle préjudiciable pour les f&l ?
P. B : Freshfel ne soutient pas cette trop grande segmentation des lignes budgétaire de l’Union européenne qui impose de multiplier les dépôts de projets : la stratégie d’exportation européenne pour les f & l passe par une présence partout où cela est pertinent. 95 % de la consommation des f&l est hors Union européenne, cela vaut le coup d’y aller voir : la Turquie, la Chine et l’Asie du Sud-Est par exemple sans oublier les accords en cours avec le Japon, le Mexique, le Mercosur. Surtout dans un contexte d’embargo russe persistant et de fermetures de marchés d’Afrique du Nord. Tout cela est certainement perfectible avec un peu plus de réflexion. Le débat reste ouvert sans oublier qu’il ne faudrait pas délaisser les actions sur le marché de l’UE !
FLD : Quid de l’évolution de la Politique agricole européenne ?
P. B : Son futur est lié à celui du budget européen. Les récentes orientations soulignent les défis croissants auxquels l’Europe doit faire face : défense, immigration, redressement économique, emploi, R&D. Le Brexit devrait entrainer une perte de 4 Md€ (13 Md€ de la contribution britannique moins 9 Md€ versés par l’Union européenne au Royaume-Uni). La concurrence entre budgets va donc s’amplifier.
Phil Hogan a lancé un signal sur l’objectif de simplification et de modernisation de la Pac. Mais avec quel argent ? Les f&l contribuent entre 15 % et 20 % à la valeur de la production agricole de l’UE mais ne représentent que 3 % du budget de la Pac. Le secteur n’est donc pas le plus dépensier. De plus, l’instrument des OP tel qu’il existe dans la filière, avec peut-être un peu plus de flexibilité dans la sécurité juridique, est vu comme un modèle que la Commission tente d’exporter vers d’autres secteurs agricoles. Le règlement Omnibus et les dernières réformes de la Pac l’ont signifié et la structuration de la filière par cet instrument se développe.
FLD : Pourra-t-on sauver le budget f&l ?
P. B : Je ne sais pas à l’heure actuelle s’il faut être inquiet ou pas. En revanche, il faut utiliser les budgets actuels pour en démontrer toute leur utilité. Je prendrais l’exemple de la France, premier bénéficiaire du programme “Fruits et légumes à l’école”. Le programme est financé sur 6 ans, trois avec le budget actuel et trois avec le nouveau budget. Nous sommes à la charnière : si on veut conserver 150 M€, il faut utiliser le budget actuel. Ne pas le faire, c’est envoyer le message à la Commission que finalement elle peut le baisser à l’avenir. Et cela devient un problème européen, et non plus seulement français : les efforts faits sur ce sujet par les autres pays membres seraient perdus.
FLD : Peut-on se satisfaire du dernier règlement bio ?
P. B : Avec la Commission Junker, il n’est plus question de vouloir légiférer sur tout mais se concentrer sur quelques grands projets. De plus, si la proposition ne passe pas, on la retire. Mais, moins de propositions, cela laisse plus de temps pour multiplier les amendements. C’est ce qui s’est passé avec le règlement bio : plus de mille amendements déposés !
On se retrouve avec un compromis de dernière minute. Je ne suis pas sûr que cela donne la solution. Pour les produits phytos non autorisés, on décide d’un nouveau rapport qui sera rendu dans quatre ou cinq ans. Un rapport aussi pour le hors-sol et même si, sur le long terme, on n’y est pas favorable, on laisse les dérogations actuelles. Cela multiplie les risques de voir un jour quelque chose hors de contrôle quelque part. En fin de compte, nous manquons d’une définition précise : le bio, c’est un mode de production ou un style de vie ? le hors-sol est-il supérieur au plein champ du point de vue environnemental ?
FLD : Le bio est une réalité économique qui demande pourtant la clarté…
P. B : On ne peut nier que le bio est un phénomène de société. C’est pour cela qu’il faut continuer d’éduquer le consommateur mais en évitant tout raccourcis malvenus. La filière f&l a largement réduit sa dépendance aux produits phytos, c’est un fait. La pression de standards privés et des ONG – et en France, vous avez été bien servis dernièrement – y participe. C’est un sujet difficile à communiquer mais de nombreux interlocuteurs des deux bords se sont permis de dénaturer ou de désinformer sur les usages de produits phyto dans les fruits et légumes comme la campagne de promotion Biocoop en France ou celle de l’ECPA (l’équivalent européen de l’UIPP) contre laquelle Freshfel s’est opposée car elle se focalisait uniquement sur les f&l.
FLD : Comment Freshfel se saisit de ces dossiers… et des autres (R&D, gaspillage…) ?
P. B : Nous sommes une organisation professionnelle. Nous ne sommes pas un lobby, je n’apprécie pas ce terme trop politique. Mais, décrire une situation, y trouver une solution et faire passer des idées permettant de renforcer les fruits et légumes auprès des instances européennes, ce qui est notre rôle et notre action, c’est finalement aussi de la politique. Les fruits et légumes sont trop souvent les parents pauvres à Bruxelles à côté de puissants lobbys comme celui des céréales ou de l’agroalimentaire. À chaque fois, notre objectif est d’éviter d’apporter une réponse fragmentée mais une solution fonctionnelle qui aille du producteur jusqu’au consommateur et qui renforce le positionnement des f&l.
La filière a su s’adapter au changement de style de vie, ce qui se traduit aujourd’hui par un léger mieux de la consommation européenne souligné par notre enquête (Freshfel Consumption Monitor). Les f&l ont définitivement une carte à jouer. Encore faut-il un cadre adapté pour qu’ils soient valorisés.
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