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Jean-François Kahn et Serge Papin
Papin et Kahn, rencontre autour du commerce

Quand deux fortes personnalités, indépendantes, se rencontrent, cela donne lieu à un débat singulier, fructueux et riche d’enseignements. Une idée à renouveler ?

A l’initiative d’Eric Renard, président d’Avenir, le président de Système U, Serge Papin, et le journaliste, fondateur de Marianne, Jean-François Kahn, ont débattu de l’avenir du commerce indépendant et des PME. Morceaux choisis.

Les marques de distributeurs (MDD) :

Jean-François Kahn : Dans le commerce, le problème ce sont les produits de distributeur. Quand ils ont pour origine une entreprise indépendante, personne ne le sait. C’est extrêmement dommageable pour la dynamique de ces entreprises. Plus les marques distributeur s’imposeront, plus les gens auront l’impression qu’elles sont fabriquées directement par l’enseigne et naturellement, la dimension de l’entreprise qui fabrique aura tendance à se réduire dans la conscience des gens.

Serge Papin : Pour relier le projet des entreprises indépendantes et celui des MDD, je vous dis aujourd’hui mon souhait : mettons le nom des entreprises qui fabriquent le produit, à quel endroit, pourquoi pas combien d’emplois cela génère et mentionnons “fabriqué en France”. J’y suis prêt en tant que dirigeant du groupement. Je ne dis pas que toutes mes équipes le sont. J’attends celui qui voudra bien commencer à titre de test. Je vous laisse le soin de gérer cela avec vos petits copains puisque vous ne fabriquez pas que pour nous. Chez Système U, je le dis : Essayons !

J.-F. K. : Pourquoi beaucoup de gens ne seraient pas d’accord ?

S. P. :
Parce que très peu de fabricants indépendants ne fabriquent que pour U. C’est logique, il faut bien qu’ils amortissent leurs outils et se développent.

J.-F. K. : C’est complètement contradictoire ! (..) Puisqu’on ne cesse d’imposer des lois, je trouve que cela devrait être quasiment obligatoire de connaître l’identité de l’entreprise qui est derrière la MDD.

S. P. : J’ai l’impression, parfois, que la MDD n’est pas assumée. C’est en train de changer. A un moment, les entreprises disaient « on fait de la MDD par défaut, privilégions notre marque ». Cela change parce qu’on voit bien que dans la stratégie des marques, la MDD est en train de peser lourd. Dites-vous bien une chose, pourquoi sommes-nous obligés de privilégier notre marque U ? (..) Comment voulez-vous, si je n’ai pas la marque U, que j’aille discuter avec le premier fabricant du monde face à un autre distributeur qui pourrait peser, s’il y avait encore des concentrations, entre 23 et 25 milliards de résultat par an ? On a donc un vrai enjeu ensemble !

J.-F. K. : Si vous avez une marque indépendante avec une vraie valeur ajoutée, quel est l’intérêt de la faire disparaître au profit d’une MDD ?

La place des entreprises indépendantes face aux multinationales dans l’économie locale et nationale :

J.-F. K. : C’est un problème considérable. Il faut poser le thème dans sa dimension générale, morale, sociétale. (..) Si l’on prend le cas de la financiarisation, croire que les Français oublieront qu’ils ont découvert une deuxième économie, c’est se faire des illusions. Ils ont appris à l’école qu’il existait une seule économie qui consiste à produire, vendre, inventer, distribuer. Or, ils viennent de découvrir qu’il y en avait une autre, qui n’échangeait pas, qui consistait à ne pas produire, ne pas échanger, que c’était une économie virtuelle qui brassait des sommes cinquante fois plus importantes que l’économie réelle. On voit bien qu’il s’agit d’un problème d’ordre sociologique et philosophique. (..) Pour éviter cette financiarisation, il faut faire des efforts. Chaque profession, sans exception, après avoir posé les termes selon son intérêt, doit voir comment s’incruste cet intérêt personnel dans les problèmes généraux (..). Dans votre cas, se pose la concurrence des centrales d’achat. Avant même que la concentration ne soit allée plus loin et ne se soit accéléré ces dernières années, j’ai assisté à des séances de référencement d’entreprises. J’ai trouvé ça terrible. ça ressemblait au bureau politique du parti communiste ! Chacun attendait trois quarts d’heure, passait, expliquait son produit et au bout de trois minutes, on l’arrêtait pour lui dire : faites-moi ceci, faites-moi cela, telle ristourne, etc.

S. P. : Non, non…

J.-F. K. :
ça n’existe pas ? Ce n’était pas comme cela ? Le problème est là. Pourquoi ai-je attaché une grande importance au pouvoir des centrales d’achat ? Quel est leur rapport d’un point de vue politique ou philosophique ? Tout simplement, c’est essentiel dans le mouvement sociétal. Le problème du rapport entre le petit commerce et l’hypermarché n’est pas simplement économique, c’est tout le monde au tapis ! (..) Pour créer des ponts, il faut pouvoir réintégrer le petit commerce. Il faudra bien se poser la question du laxisme urbanistique dans les périphéries des villes qui les a rendues insupportables. De toutes les atteintes à l’environnement que je connais, c’est peut-être la pire. (..) Il serait fondamental de réintroduire la proximité dans sa dimension humaine. Je ne sais pas comment, mais c’est le vrai défi.

S. P. : Il y a un mouvement arrière par rapport à cela. Sur l’urbanisme commercial, je suis d’accord avec vous, il existe encore des mairies qui préfèrent investir dans un terrain en dehors des villes parce que c’est plus simple que d’aller implanter des commerces en centre-ville. Car ces plans sont à très long terme. On peut dire qu’il ne s’agit pas que d’un problème d’urbanisme commercial mais plutôt d’urbanisme de manière générale !

J.-F. K. : C’est vrai

S. P. : Ce ne sont pas que les commerçants qui doivent investir, (..) le pire c’est que ce sont les mêmes qui sont au pouvoir depuis des années qui ont autorisé cela, parce que le droit régalien des élus c’est quand même l’urbanisme. Ce sont les mêmes qui critiquent et pointent du doigt les acteurs du commerce qui, eux, ont fait des choses dans le cadre d’une loi. On est dans un changement d’époque, je crois que la loi doit accompagner les mœurs sinon elle ne marche pas ! Maintenant on sort de la loi Galland, et c’est de nouveau une chance pour les entreprises indépendantes, parce qu’on relocalise, on simplifie la relation. Il faut donc qu’on aille au bout de cela.

J.-F. K. : A condition que ce ne soit pas le pot de fer contre le pot de terre. Lorsque vous avez des relations commerciales, en particulier pour votre marque, que cela ne se reproduise pas dans la relation avec l’entreprise indépendante.

S. P. : Les réunions de Politburo sont terminées aujourd’hui ! (..) Qu’est ce qui fait changer les choses ? Ce n’est pas untel ou untel. Les politiques bougent quand l’opinion bouge et le commerçant bouge quand la demande change ! C’est parce que la demande est là par rapport à des PME, par rapport à de l’emploi local. En attendant, ne vous faites pas d’illusions, si les consommateurs demandaient des grandes marques parce que cela les arrange – vous le savez très bien – un commerçant s’adapterait. Chacun fait son boulot, un commerçant ce n’est pas un grand philosophe. Que demande le client aujourd’hui, c’est que la consommation ait du sens. C’est intéressant, profitons-en.

La baisse de la consommation, les disparités monétaires qui “plombent l’industrie” :

J.-F. K. : Il y a une tendance à dire : faisons du protectionnisme. Je ne suis pas contre le fait qu’on fasse du protectionnisme mais plutôt contre l’emploi du mot. (..) Le vrai argument, c’est la libre concurrence non faussée. Qu’on mette en place une véritable institution qui repère ce qui est attentatoire à la notion de constitutionnisme (sic) européen de la concurrence.

S. P. : Il ne faut pas confondre baisse de consommation et crise financière. Ce n’est pas lié. Nous avons vu le changement de comportement du consommateur dès 2006 (..). On est en pleine mutation, et si l’on n’accompagne pas d’un texte législatif particulier, cela risque d’être compliqué. Je pense au monde agricole. Il faut tirer les conséquences des choix qui ont été faits. On ne peut pas faire de reproches, quand vous avez une agriculture massifiante utilisant à tour de bras les pesticides, complètement intensive portée par l’Inra pour faire des produits qui soient transportables. Prenons le problème des fruits à noyau. Pourquoi ? Ils passent de bille à pourri et entre les deux ce n’est pas bon. Là, j’ai une conviction, je détournerai de la loi LME les filières agricoles qui ont besoin de muter et qu’il faut accompagner. (..) Le gouvernement nous demande de soutenir les PME, l’agriculture, qu’on garantisse les revenus, qu’on soit à l’écoute des consommateurs qui nous demandent que ce soit moins cher et de meilleure qualité et dans le même temps nous, on essaie de gagner notre croûte. Comment s’en sortir s’il n’y a pas quelqu’un qui régule ?

J.-F. K. : Cela me fait penser à un aspect très important, la pédagogie. Je prendrai l’exemple des pommes bien rondes et colorées alors que les meilleures sont celles qui peuvent être un peu abîmées. (..) La distribution ne doit-elle pas avoir une fonction pédagogique ?

S. P. : On peut avoir à la fois des produits bons et beaux ! S’agissant des produits bio, qui devient un segment de marché de masse, le gros danger c’est de faire le bio au prix du pas bio. Nous, on cherche à “Premiumiser” les choses, on ne veut pas devenir des hard discounters. Il y a une forte attente sur le bio. Mais on ne peut pas parce qu’on a durant des années plombé l’agriculture bio.

Quels sont les débats à mener pour que la population s’intéresse au maintien de l’emploi en France ?

J.-F. K. : J’ai consacré 25 à 30 ans et toute mon énergie à fonder un journal, j’étais chef d’entreprise ! Je me suis battu pour battre en brèche un préjugé qui fait partie de la pensée unique : la PME, c’est ringard, c’est réactionnaire ! J’ai défendu la cause des petites sociétés et le petit commerce. Eh bien, j’ai été désigné comme un poujadiste. Il faut se battre contre cet état d’esprit, l’attaquer de front.

S. P. : Quand je me présente comme dirigeant d’une coopérative, je n’ai pas encore réussi à expliquer qu’on n’était pas une Scop. Les coopératives pour eux ça ne marche pas. Alors que les outils collectifs, conjuguer les talents en mettant des outils en commun par le biais d’une coopérative, franchement, l’idée de réseau c’est terriblement moderne !

J.-F. K. : Absolument !

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