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« On est en train de brider notre potentiel agricole »

Depuis novembre 2013, Eugénia Pommaret dirige l'Union des industries de protection des plantes (UIPP). Elle dresse un bilan des actions à mener dans les mois à venir.

FLD : Suite à la sortie du rapport Potier, quel est le programme pour le plan Ecophyto ?

EUGÉNIA POMMARET : Une réunion du comité national, CNOS, est prévue le 30 janvier. C'est à cette date que le ministre de l'Agriculture annoncera si le plan est revu et sous quelle forme. Notre point de vue à l'UIPP, c'est de dire : place à l'amélioration et au développement du plan Ecophyto 2018. Mais on ne pourra pas avoir une agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement et de la santé en utilisant moins d'intrants. Or, la question politique se focalise en priorité sur la réduction de la quantité de produits phytos utilisés, ce qui n'a pas de sens. Il faudrait que l'indicateur NODU soit complété par des indicateurs de risque et d'impact et par des indicateurs de moyens.

FLD : Qu'entendez-vous par agriculture compétitive ?

E. P. : Pourquoi faut-il optimiser cette production agricole française ? L'exemple de l'embargo russe est flagrant. Les producteurs de f&l peuvent perdre des marchés et ne jamais les retrouver. Maintenir des outils de production agricole performants en France, c'est garder les chaînes de distribution dans leur globalité. Mais attention, il suffit d'un petit grain de sable pour déstabiliser la production agricole française.

FLD : Quels sont ces possibles grains de sable ?

E. P. : Globalement, les politiques ne sont pas très lisibles aujourd'hui. Sur le sujet environnemental par exemple, les discours politiques sont tout sauf clairs. Ils annoncent que l'on peut produire plus avec moins d'intrants. On ne peut pas avoir des taxes qui augmentent sans arrêt. C'est le cas cette année avec l'annonce d'une hausse de 30 % en moyenne sur les produits phytos. Il s'agit de la redevance pour pollution diffuse que les agriculteurs payent aux Agences de l'eau. Elle correspond aujourd'hui à 100 M€. En 2015 elle passera à 130 M€, selon les prévisions, car les recettes sont calculées en fonction de l'utilisation des produits. Et cet argent sortira de la poche des agriculteurs. Il faut ajouter la taxe annoncée dans la loi d'avenir qui sera versée à l'Anses pour la création d'un nouveau dispositif de phytopharmacovigilance et cette nouvelle taxe peut aller jusqu'à 0,3 % du chiffre d'affaires du metteur en marché de la matière active, qu'il soit fabricant ou importateur. Sur un marché de 2 Md€, cela représente une taxe de l'ordre de 6 M€. Nous l'avons appris lors de la loi de finances, alors que les décrets d'application de la loi d'avenir ne sortiront pas avant la fin de 2015. En Europe, seule la France cumule un dispositif redevance sur les produits phytos et une taxe “pharmacovigilance”, ce qui porte atteinte à la compétitivité du secteur et génère des distorsions de concurrence. Et la France est aussi le seul pays à avoir imposé des objectifs chiffrés en termes d'utilisation de produits phytos, alors même que la directive européenne ne le stipule pas. Elle demande aux Etats membres d'avoir un plan avec un suivi et des indicateurs de risques d'impact des produits utilisés. Tout cela interpelle la profession. Je ne dis pas qu'il n'existe pas de marges de progrès. Après les conclusions du rapport Potier, tout le monde critique le plan Ecophyto à la lumière de ces seuls indicateurs chiffrés sur les utilisations. Mais, les avancées depuis le Grenelle de l'environnement sont occultées. Nos voisins européens communiquent également sur les avancées positives de leurs plans d'actions respectifs (ex. : nombre d'agriculteurs formés). En France, on se focalise à tort sur la réduction des quantités utilisées sans tenir suffisamment compte du contexte sanitaire, des enjeux et de la compétitivité de nos filières... En France, le ministère a communiqué sur l'indicateur de suivi NODU, alors même que nous sommes dans une année sanitaire particulière en raison de mauvaises conditions climatiques. La note de suivi 2014 du plan Ecophyto apporte très peu d'éléments d'appréciation sur ces points et nous le regrettons Elle est sortie sans aucune information. Depuis 2008, d'une manière générale, les tonnages sont en baisse de 20 % en quantité de substances actives utilisées.

FLD : Pourquoi la France est-elle toujours le premier pays consommateur de produits phytos ?

E. P. : La France est le principal pays agricole européen. Les quantités utilisées rapportées à la surface agricole à protéger la situent dans la moyenne européenne. Exploiter davantage le potentiel agronomique de notre pays, en intégrant la performance économique, l'obtention de produits de qualité et sûrs et le respect de l'environnement, doit rester une priorité. Il faut d'abord gérer le premier intrant capital : la terre. La France va devoir optimiser l'utilisation des terres sur lesquelles existe un potentiel agronomique. En clair, si l'on veut produire la quantité de nourriture suffisante dans le monde, il y a deux options : on intensifie les surfaces agricoles existantes ou bien on pratique la déforestation. Dans le cas de la France, il nous faut garder un potentiel de production qui permette un potentiel de consommation.

Fld : Que dire du débat sur les usages mineurs ?

E. P. : Il est nécessaire de donner le contexte. Les f&l sont variés. Les maladies et ravageurs sont beaucoup plus importants et différents que pour d'autres productions agricoles. Et l'ouverture des frontières n'a rien arrangé. Les conditions climatiques peuvent favoriser la propagation de maladies et augmenter la probabilité de risques liés aux ravageurs. Après, pour mettre en marché un nouveau produit, il faut compter dix ans d'études et c'est d'autant plus compliqué avec une réglementation qui ne cesse de bouger. C'est un risque, on est en train de réduire la palette des produits phytos autorisés, donc de réduire les possibilités d'utilisation spécifique sur les fruits et légumes.

FLD : Et le bio-contrôle dans tout cela ?

E. P. : Il faut rappeler que plus de la moitié des produits de bio-contrôle proviennent des adhérents de l'UIPP. Mais il ne faut pas faire croire que les f&l bio sont produits sans intervention chimique. Le ministère de l'Agriculture – qui est responsable de la qualité des aliments également – devrait beaucoup plus intervenir pour informer les consommateurs, lutter contre les peurs alimentaires en insistant sur le fait que les produits alimentaires sont très contrôlés et présentent un très bon niveau de sécurité sanitaire. Etre conforme à la réglementation est sans risque pour la santé. C'est aux Pouvoirs publics de le dire.

FLD : Alors que doit-on faire ?

E. P. : Il serait bon de temporiser le discours, de mettre en valeur les démarches de progrès installées dans les filières. Les efforts pour “Produire plus et produire mieux” sont une réalité. Agrément des entreprises, formation, Certiphyto, gestion des déchets avec Adivalor, mise en place de bandes enherbées et de jachères apicoles n'en sont que quelques exemples. C'est aux agriculteurs de dire que l'on est en train de brider le potentiel économique agricole français. C'est le socle de tout. Pour ce qui est des produits de bio-contrôle, les adhérents de l'UIPP accompagnent leur développement. Nos entreprises investissent, innovent, développent de nouvelles solutions dans ce domaine. Mais ils représentent moins de 3 % du marché. Nous restons donc convaincus qu'il est nécessaire de maintenir une diversité suffisante de solutions de protection des cultures alliant tout ce que l'innovation peut apporter de meilleur.

FLD : Et quel rôle peut avoir l'Etat ?

E. P. : Il est nécessaire que l'Etat dise qu'il existe une obligation de formation des agriculteurs quant à l'utilisation des intrants [Certiphyto, NDLR]. Le contexte européen devrait être davantage valorisé plutôt que de pointer du doigt la moindre utilisation des produits. On baisse la voilure en France mais, en revanche, on continue à importer des f&l du monde entier… Il ne faut pas faire croire aux gens que l'on peut produire des f&l sans produits phytos. Une agriculture compétitive en France, ce sont des emplois que l'on peut garder, des territoires que l'on préserve et un potentiel plus large d'entreprises travaillant pour le compte de l'agriculture. En 2050, certains experts disent qu'il faudra doubler la production, voire augmenter de 50 à 60 % la production avec moins de surfaces agricoles partout dans le monde. Il faut que l'on puisse sortir du débat bio contre conventionnel, car derrière il y a des agriculteurs à qui l'on doit assurer un avenir. L'alimentation est un sujet sensible et l'agriculture est à la croisée des chemins. On aimerait que la France tienne compte de cette balance bénéfices/risques des produits phytos plutôt que d'écarter d'emblée les produits et les techniques de culture qui y sont associés. C'est un danger pour l'Europe car elle risque de perdre des parts de marché. La profession demande d'ailleurs à ce qu'une étude porte sur les effets de distorsion de concurrence existant en Europe.

FLD : Que reprochez-vous au gouvernement ?

E. P. : De ne pas prendre pas suffisamment en compte les contributions positives de notre agriculture : ses innovations, ses emplois, sa contribution à l'économie nationale… Il y a un manque de priorité et de lisibilité dans les décisions politiques. Nous déplorons ainsi un manque de cohérence entre certains discours sur la compétitivité et la relance de l'économie… et des orientations qui risquent d'alourdir les charges, les contraintes, sur notre agriculture.

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