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Gérard Apfeldorfer, spécialiste des troubles du comportement alimentaire
« On a maltraité les f&l en les “diététisant” ! »

Pourfendeur du PNNS, Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute, est spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire. Cofondateur du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (Gros), il en est aujourd’hui président d’honneur. Il nous donne son point de vue sur le discours nutritionnel ambiant qu’il juge moralisateur voire même étatique.

Fld : Lors du congrès du groupe de réflexion Gros, vous avez fustigé la politique de santé publique et la promotion de la consommation des f&l mises en place en France, pour quelles raisons ?

Gérard Apfeldorfer : Je n’ai rien contre ces sympathiques aliments que sont les fruits et légumes. Le sujet de mon irritation, c’est l’instrumentalisation des f&l à des fins de lutte contre la surcharge pondérale. Le discours officiel (le PNNS) et celui de certains médecins mélangent deux problèmes : surpoids-obésité d’un côté et santé de l’autre. On nous fait croire que manger équilibré fait maigrir. Or, il se trouve qu’on donne les mêmes conseils diététiques à ceux qui ont besoin de prendre du poids qu’à ceux qui veulent en perdre. Question santé, l’important est d’avoir une alimentation variée globalement équilibrée sur une dizaine de jours et non équilibrée au niveau des repas. Quand on nous demande de manger tous les nutriments à tous les repas, la valeur énergétique s’avère alors parfois trop élevée, ce qui conduit paradoxalement à grossir. Cette prise de position est peut-être due à l’idée qu’on pense que les gens sont incapables d’équilibrer leur alimentation autrement.

Fld : Et concernant les fruits et légumes ?

G. A. : On a maltraité les fruits et légumes car on les a “diététisés”. C’est regrettable. On vous explique que c’est bon pour la santé. Mais on nous propose de consommer en quelque sorte des agglomérats de nutriments et non pas des aliments. Ces derniers sont civilisés par un acte culinaire et deviennent des plats, des objets culturels. Un fruit frais qui ne se cuisine pas, a néanmoins une histoire, une géographie, est porteur de représentations. Le discours diététique découle de la philosophie puritaine. C’est très anglo-saxon, peu latin. L’un des derniers livres de Claude Fischler (cf. fld magazine de février 2008, page 65) résume bien ces différences. Aux Etats-Unis, les conduites alimentaires sont placées sous le signe de la diététique et de la responsabilité individuelle, et chacun est responsable de son assiette. Alors que la France privilégie plaisir alimentaire et convivialité.

Fld : Quelles sont vos critiques quant au PNNS ?

G. A. : Le PNNS a fait fausse route, ce qui nous semble une belle occasion ratée. Il semble d’ailleurs que de plus en plus de nutritionnistes le remettent en question. Plus singulièrement, c’est un discours fondamentalement moral. On détermine le bien et le mal. Depuis la fin du XIX e siècle et jusqu’aux années 70, c’était sur la sexualité que portaient les discours moralisateurs. Aujourd’hui, c’est l’alimentaire qui est à moraliser. Le plus regrettable, c’est que cela a conduit à des jugements moraux sur les gens en surpoids ou obèses.

Fld : Face à ce discours que préconisez-vous ?

G. A. : Nous aimerions qu’on en revienne à la physiologie et la psychologie du comportement alimentaire. Très grossièrement, il s’agit de manger selon sa faim, de s’arrêter de manger quand on est rassasié, et d’écouter ses appétits spécifiques pour choisir au mieux ses aliments. N’oublions pas aussi qu’on mange des représentations, que manger est un acte culturel et social. On mange encore pour des raisons émotionnelles et affectives et le contentement qui en résulte permet qu’on s’arrête de manger. Enfin, manger peut servir à contrebalancer des émotions négatives. Le fait, par exemple, de diaboliser certains aliments conduit à manger sans faim et sans fin. Ou encore, il s’agit de problèmes psychologiques et émotionnels auxquels on ne trouve pas de solution autre que manger. Normalement, quand tout va bien, toutes ces motivations à manger se succèdent et forment une ronde : on mange parfois pour faire le plein d’énergie, puis parce qu’on a faim de certains nutriments et, à d’autres moments, la motivation principale sera d’ordre social, psychologique ou émotionnel. Ainsi des prises alimentaires “déséquilibrées” conduisent à un équilibre global.

Fld : Qu’appelez-vous appétit spécifique ?

G. A. :Nous sommes bien faits : notre cerveau, cartographie les aliments que nous mangeons et, par la suite, lorsque nous sommes carencés en un nutriment ou micro-nutriment, nous avons un appétit pour les aliments qui en contiennent et que nous avons déjà mangés précédemment. Pourquoi dans ces conditions recourir à une alimentation réflexive et faire “à la main” ce que nous pouvons faire intuitivement ? Ce mécanisme est à distinguer de faims déclenchées par des difficultés émotionnelles, des états de stress, qui orientent vers des aliments à forte densité énergétique, procurant des sensations intenses. Afin que nous soyons aptes à écouter nos sensations et nos émotions alimentaires convenablement, une éducation alimentaire est nécessaire, qui relève en principe des parents. Mais le malheur, c’est qu’ils ne savent plus manger eux-mêmes. Un bon parent donne de l’amour à ses enfants et les aliments donnés sont inclus dans cet amour. Il s’agit aussi bien sûr de civiliser l’acte alimentaire et d’enrichir les aliments au moyen de représentations.

Dans le cas des f&l, ce qui ne me satisfait pas, c’est ce discours sur la quantité. On entend souvent : « Bourrez-vous de fruits et légumes et vous ne mangerez pas de gras et de sucré ». Voilà qui ressemble fort à une démarche boulimique. En fait consommer principalement de grandes quantités de légumes non cuisinés conduit mécaniquement à augmenter encore les quantités, car ces aliments consommés ainsi n’apportent ni rassasiement, ni contentement véritable. Tôt ou tard, on poursuit la même démarche, mais cette fois-ci avec des aliments à haute densité énergétique. On est alors affectivement boulimique. On ne peut donc que vivement conseiller les légumes, mais à consommer dans des quantités raisonnables, frais et en accompagnement d’autres mets, ou bien cuisinés pour eux-mêmes sans en attendre autre chose que le plaisir qu’ils sont capables de procurer.

Fld : Comment lutter contre cette baisse de consommation ?

G. A. : Mon sentiment est que les professionnels auraient tort de chercher à pousser le consommateur à augmenter des quantités consommées. Il y a une limite à ce que chacun peut consommer. Mieux vaudrait sans doute miser sur l’amélioration de la qualité qui peut justifier un prix plus élevé.

Fld : Oui mais si les f&l sont trop chers, ils ne seront pas accessibles aux plus défavorisés ?

G. A. :C’est une façon très simpliste de voir les choses. Distribuer des f&l, même de qualité, aux pauvres, c’est d’un mépris incroyable ! Voilà des gens qui sont dans la misère, dans le stress – car on est bien plus stressé quand on est pauvre que quand on appartient aux classes plus favorisées – et au lieu de leur venir en aide, par exemple en leur permettant de trouver du travail, on se préoccupe de leur équilibre alimentaire. Pourquoi consomme-t-on plus de produits gras et sucrés dans les classes défavorisées ? La principale raison est que ces produits à haute densité calorique ont un effet antistress. Plus vous êtes pauvre, plus vous êtes stressé et tenaillé par la peur du lendemain. Dans une société fondée sur la consommation, désirer des objets hors d’atteinte est aussi un stress en soi. En mangeant des aliments gras et sucrés, on éteint ou on diminue ces incendies de l’âme. Ces personnes n’ont donc que faire de fruits et de légumes qui ne répondent pas à leurs besoins immédiats. En somme, la lutte contre le chômage et la misère est un remède sans doute bien plus efficace contre l’obésité des classes défavorisées que les distributions de fruits et légumes !

Fld : Quelles sont vos propositions face au discours moralisateur ambiant ?

G. A. : Notre volonté est de reconsidérer l’obésité dans sa globalité. On a constaté aujourd’hui que le problème était plus complexe qu’il n’y paraît. Nous devons aider nos patients à quatre niveaux :

1. Il s’agit souvent de sortir de la restriction cognitive, c’est-à-dire de conduites alimentaires fondées sur le contrôle, pour passer à une alimentation fondée sur l’écoute des sensations et émotions alimentaires.

2. Les personnes en difficulté avec leur poids et leur comportement alimentaire doivent souvent être aidées sur le plan psychologique et émotionnel, afin qu’elles puissent régler leurs difficultés de vie autrement qu’en mangeant.

3. La lutte contre la stigmatisation : il s’agit d’aider nos patients à survivre en milieu hostile !

4. Il faut enfin les aider à remettre leur corps mal aimé et haï en mouvement, leur réapprendre à aimer leur corps, à se réconcilier avec leur corps. Cette remise en mouvement doit se faire en douceur, sans violence.

Fld : Votre congrès était sponsorisé par des grandes industries alimentaires. Pour quelles raisons ?

G. A. : Si nous ne sommes pas sponsorisés par les f&l c’est tout simplement parce que nous n’avons pas d’écho de la part de ce secteur. Nous n’y sommes pas opposés, loin de là ! Pourquoi Mars France nous soutient-il ? Tout simplement parce que nous sommes les seuls à dire qu’il ne faut pas diaboliser certains aliments, que tous les aliments ont leur place et sont bons. Ce qui pose problème n’est jamais l’aliment, mais le mode de consommation.

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