Aller au contenu principal

« Notre implantation locale est stratégique »

Au cœur de la zone de production de Créances, dans le fief de Priméale et Florette, Louis-Marie Le Coutour dresse le bilan de sa carrière à la tête de la Branche Légumes d'Agrial.

FLD : Quelles sont les grandes étapes qui ont jalonné votre carrière ?

LOUIS-MARIE LE COUTOUR : Pour comprendre l'évolution de la branche Légumes, il faut remonter aux années 80, à l'époque où les organisations de notre région se restructuraient à l'amont. Il s'agissait de mettre fin à une absence d'organisation et de leader. On a démarré à trois coopératives pour arriver à une seule coopérative de commercialisation, à côté d'une coopérative de mise en marché. La proximité que nous entretenons entre la production et le commerce se traduit par une implication des producteurs auprès des commerciaux, et vice-versa. Cela a constitué le socle de la Branche Légumes Agrial. Autre date importante : 1985, la coopérative s'engage dans la IVe gamme avec la reprise de Ryckeboer. C'était une décision de visionnaire, cruciale pour la branche. 1987, c'est le développement des marques dans le rayon. C'est le lancement de la marque Florette suivi par celui de Priméale en 98. Autre étape clé, 1991, pour la première fois la coopérative sort de son territoire. Florette développe une activité industrielle et commerciale à l'Isle-sur-la-Sorgue quand Prim'co démarre la commercialisation de la carotte des sables des Landes. La volonté de développer un contact permanent avec nos clients et les consommateurs a été déterminante, nous quittions la notion de “campagne saisonnière” pour installer une relation plus durable ; et puisque l'on devient multispécialiste, avec une gamme qui s'élargit, on s'implique fortement à l'amont. On vend la production, que l'on connaît bien, il n'y a plus de notion de négoce, le modèle économique est basé sur la transparence, la fixation des prix à l'amont est très claire. A cette époque, nous restons franco-français, sur un plan industriel, c'est en 1999 que nous sortons des frontières hexagonales.

FLD : Quelle est votre plus grande fierté ?

L.-M. Le C. : C'est bien sûr le développement hors de France avec l'essor de Florette au Royaume-Uni puis en Espagne, Italie, Suisse, Allemagne et Belgique. Pour Florette, s'installer hors de France a été une étape fondamentale. Aujourd'hui 45 % de son activité se situe hors de France et tout a démarré en 1990-92. On avait de la capacité industrielle disponible à Lessay. Il fallait trouver les marchés, nous sommes allés voir de l'autre côté de la Manche… Je citerai l'exemple des activités avec Tesco, qui est plus que symbolique. Après avoir référencé Florette, l'enseigne a décidé au bout de quelques années de développer leur MDD, leur marché s'effondre alors et pour reconquérir des parts de marché, Tesco décide de repositionner les produits Florette dans le rayon. Ils ont ainsi utilisé Florette pour tirer les ventes du rayon, MDD y compris. Cet exemple est historique, il a été vécu sur d'autres marchés, et je crois qu'il y a encore des enseignements à tirer, des politiques commerciales à faire évoluer.

FLD : Quelles sont vos plus grandes déceptions ?

L.-M. Le C. : J'en citerai deux : notre implantation en IVe gamme sur le marché italien et le développement des marques en France sur le rayon. En Italie, nous sommes arrivés en 2005 et dix ans plus tard, nous ne sommes toujours pas parvenus à dégager une performance nous permettant d'investir à la hauteur de ce marché. Le marché italien est très particulier : il existe une foule d'opérateurs, la plupart proches de la production, il n'y a aucune stratégie marketing. Situation similaire à ce que nous avons vécu en France dans les années 90. En Italie, l'assainissement du marché n'a pas encore eu lieu. Pour bien travailler et dégager des marges pour les industriels et l'amont, il faut prendre en compte le choix du consommateur et ne pas le décevoir. Or, là-bas dans certains cas, les bonnes pratiques ne sont pas respectées. Mon autre grande déception : la difficulté d'implantation des marques dans le rayon f&l en France. Les autres rayons permettent une offre très segmentée, avec de véritables stratégies de communication auprès du consommateur, dans le rayon f&l cela ne va pas assez vite. C'est en partie lié à la difficulté des bassins de production à s'organiser, entretenue par la peur du leader. Les producteurs restent encore trop éloignés des enjeux du marché. Beaucoup s'arrêtent à la mise en marché alors que l'objectif essentiel, c'est la satisfaction du consommateur. C'est une stratégie à faire comprendre et à mettre en œuvre par l'ensemble de la filière. Quand arrêterons-nous d'opposer l'amont et l'aval ? Tout le monde est à l'amont du consommateur, non ? Il y a encore beaucoup de travail.

La Branche Légumes d'Agrial en chiffres

En 2014, la Branche Légumes d'Agrial a réalisé un chiffre d'affaires de 880 M€ avec une performance correcte de Florette et des sous-performances chez Priméale, en particulier en carottes et pommes de terre en raison d'une surproduction. La fermeture du marché russe a engendré un report de production de Belgique, Pays-Bas, Allemagne sur les marchés habituels d'Agrial Légumes ce qui a pesé sur la conjoncture.

La Branche Légumes d'Agrial compte 5 000 salariés et commercialise plus de 700 000 t de légumes par an.

FLD : Que pensez-vous du développement local ?

L.-M. Le C. : Le consommateur est alimenté à 70 % par la GMS. C'est donc un passage obligatoire que nous devons gérer avec les distributeurs, qui ont besoin de nous, et sont en attente. La situation de concurrence existe, évidemment les distributeurs ont un avantage dans les négociations, par le poids qu'ils représentent, à nous de nous adapter, en étant plus forts, plus puissants, et avec une Gouvernance permettant la juste répartition de la valeur. Quant à l'engouement pour les produits locaux, la Branche Agrial est “locale… partout”, ce n'est pas qu'une boutade, puisque nous sommes présents à l'amont en Provence, en Aquitaine, en Bourgogne, en Bretagne…, en Espagne, et au Portugal. Cette implantation locale (véritable enjeu stratégique pour le sourcing et les sites industriels) génère aussi un avantage concurrentiel logistique. Notre réseau, notre maillage est aussi un moyen pour garantir la fraîcheur des produits, et la réactivité nécessaire à l'ajustement des besoins. Avec du recul et un peu de déception, j'ai vu, la semaine dernière, sur une MDD, une promotion de carottes récoltées et emballées le même jour, l'enseigne capte ainsi l'image de la fraîcheur et c'est juste ! Nous le faisons pour eux, et c'est très bien ! Dommage que nous ne l'ayons pas signée, nous-mêmes, sur nos produits à notre marque…

FLD : Comment améliorer la place des marques dans le rayon f&l ?

L.-M. Le C. : Nous sommes au début d'une aventure quant à la place des marques dans le rayon, surtout en Ière gamme. Chez Agrial Légumes, nous comptons être force de proposition en investissant davantage de moyens. Une direction de l'innovation existe désormais pour l'ensemble de la Branche Légumes et pilote maintenant la recherche, le marketing de Florette et Priméale pour mettre en avant le légume frais et toutes ses composantes. Tous ces sujets, qui sont stratégiques, doivent émerger des leaders. Il en faut quelques-uns qui s'affirment et qui boostent la dynamique du rayon, à l'exemple de ce qui se passe dans le rayon frais laitier ou même la viande. Partout les f&l portent l'image de la fraîcheur pour les enseignes. J'imagine un développement plus affirmé d'une offre préemballée dans le rayon. Il suffit de regarder le rayon f&l chez les Anglo-Saxons. Nous devons mieux anticiper les attentes. Souvent le consommateur achète le produit qu'il a trouvé superbe dans le rayon, sur son marché ou chez son primeur, mais l'utilisation finale du produit est par la suite déceptive, cette image disparaît. Nous devons donc intégrer ce moment essentiel : l'utilisation finale du fruit ou du légume, autant, et plus que l'impact généré au moment de l'achat.

FLD : Je reviens sur cette notion de leaders, qu'entendez-vous par là ?

L.-M. Le C. : Pour faire progresser le rayon f&l, il faut une émergence de leaders. Il ne s'agit pas forcément des plus gros opérateurs en taille, mais de ceux qui bénéficient d'une notoriété de marque, de produits innovants qu'ils sont à même d'apporter aux consommateurs. Aussi l'organisation de la segmentation de l'offre se fera par quelques opérateurs dont nous sommes. Le leader, c'est le plus malin, celui qui a raison avant les autres, et qui a été capable de mettre les moyens pour gagner les parts de marché, utiles.

FLD : Quel avenir pour le secteur ?

L.-M. Le C. : Le convenience est une tendance lourde de consommation. La notion “mon petit producteur” va rester. C'est le produit et sa culinarité qui vont prendre de l'importance. L'autre tendance forte, c'est la segmentation du marché : les enfants, les seniors, la consommation en mouvement, le snacking… Cela est vrai pour la Ière gamme et la IVe gamme. Notre offre de fraîche découpe, avec “Fraîcheur Florette”, a pour ambition de permettre aux distributeurs de se développer sur cette tendance de consommation, certains n'étaient pas forcément rassurés sur cette famille de produits, y compris quand ils fabriquaient eux-mêmes. Nous, industriel, contrôlons les risques. La pression est chez nous et nous sommes capables d'assumer cette responsabilité. Nous maîtrisons l'amont, le process. Il faut être capable d'apprécier les qualités organoleptiques du produit à l'amont. On ne peut pas décevoir le consommateur, en particulier sur des produits phares comme l'ananas et la mangue. Le stade du mûrissage fait partie des enjeux de recherche. Aussi le fruit est pour Agrial Légumes une nouvelle aventure. Il y a une attente forte sur les marchés en France, Royaume-Uni, Suisse et elle émerge en Espagne. Autre exemple : nous nous engagerons sur d'autres produits en production. C'est le cas des herbes aromatiques. Elles ont un vrai rôle à jouer dans cette attente de culinarité déjà abordée. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d'avoir un rôle de distribution et de marketing. Nous devons assurer un meilleur contrôle de la production et le segment des herbes est vraiment intéressant.

FLD : Quel avenir pour la Branche Légumes d'Agrial ?

L.-M. Le C. : L'arrivée de Bertrand Totel est une nouvelle belle étape pour le développement de la branche. C'est un organisateur, généraliste et brillant, comme il l'a fait dans d'autres secteurs économiques, il saura prouver que les f&l s'appréhendent aussi en ayant une vision sur le long terme. La branche compte 5 240 collaborateurs, dont de très bons spécialistes ou experts. C'est une entité à manager en tenant compte des projets de croissance hors de nos frontières. C'est ce que nous avons annoncé il y a peu avec la joint-venture au Danemark. Et comme l'Europe n'est pas un territoire suffisant, notre regard porte vers l'Europe de l'Est, l'Afrique…. Il faudra trouver d'autres formes d'alliance pour permettre la croissance externe et le développement de la branche Légumes pourquoi pas sur l'Amérique, ou l'Asie...

Les plus lus

Salon de l’Agriculture : C'est Qui Le Patron ?! débarque sur les fruits et légumes

La démarche C’est Qui Le Patron ?! (CQLP) qui assure une juste rémunération pour le producteur et qui s’est fait connaître sur…

Emballage plastique des fruits et légumes : le Conseil et le Parlement UE s’accordent sur une interdiction

Le Conseil et le Parlement sont parvenus lundi 4 mars à un accord provisoire sur le projet de règlement Emballages, texte issu…

Salon de l’Agriculture : la noisette française Koki a un message à faire passer au président Macron

La coopérative Unicoque et l’association de la noisette française ANPN ont écrit en semaine 8 un courrier au président de la…

Fraises hors sol cultivées en France
Fraise française : un bon début pour la commercialisation... à poursuivre

En retard par rapport à l’an dernier, la saison de la fraise française a bien commencé d’autant que la fraise espagnole est…

Remise de la Légion d'Honneur à Laurent Grandin par Marc Fesneau au salon de l'Agriculture 2024.
Plan de souveraineté fruits et légumes : 100 M€ supplémentaires en 2024

Au salon de l’Agriculture, Marc Fesneau a débuté la journée du 29 février sur le stand des fruits et légumes frais afin de…

Vignette
La banane de Guadeloupe et Martinique a été entendue par Emmanuel Macron, quelles sont les 4 grandes mesures annoncées ?

En marge du Salon de l’Agriculture, les acteurs du monde agricole ultramarin ont été reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron qui a…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 354€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes