Avis d'expert
« Monnaies et problème russe vont impacter les marchés »
Depuis quelques mois, de nouveaux paramètres viennent perturber la relative stabilité des marchés de la banane. Denis Loeillet au Cirad fait le point.
FLD : Comment caractériseriez-vous le marché mondial de la banane ?
DENIS LOEILLET : Depuis 2006, on observait une certaine stabilité. Les aléas climatiques régulaient le marché : production des différentes origines, température sur les marchés consommateurs, volumes de fruits concurrents. En parallèle, la consommation a progressé sur les marchés américains et européens. En 2014, les prix s'effritent mais restent satisfaisants. Or dans un univers où l'anormalité tombe, que devient le marché international, sachant que les volumes progressent ? Les autres paramètres (dévaluation des monnaies, problème russe...) vont impacter fortement les volumes ou les prix.
FLD : En quoi le taux de change influe-t-il sur le marché ?
D. L. : Actuellement, le peso colombien est fort par rapport à l'euro, c'est donc avantageux pour la Colombie d'exporter sur l'UE. Au contraire, pour les économies basées sur le dollar comme l'Equateur, le marché communautaire perd en attractivité en termes de rémunération*. En revanche, en termes de droits de douane, l'effet s'inverse : un dollar en hausse vis-à-vis de l'euro implique pour l'Equateur une baisse de 15-20 %.
En Russie, les prix en rouble ont flambé de 35 % en fin d'année pour le stade en vert. En revanche, ceux de détail ont largement baissé. Les comptes de la filière russe se dégradent.
FLD : A quel niveau s'élèvent les droits de douanes européens en 2015 ?
D. L. : En 2015, l'Equateur s'acquitte d'un droit de douane de 132 €/t, tant que le traité conclu avec l'UE en juillet n'est pas ratifié. A terme, sans doute cet automne, le droit baissera à 111 €/t. Pour les pays qui ont un accord d'association avec l'UE, ces droits de douanes s'élèvent à 110 €/t.
FLD : Vous évoquez le problème russe. Faites-vous référence à l'embargo ?
D. L. : Pas seulement. Du fait de l'embargo, les pommes polonaises ont perdu leur principal débouché extracommunautaire et se retrouvent sur l'Europe. On peut craindre une concurrence sur la banane, donc une année difficile. A ceci s'ajoute la très forte dévaluation du rouble face au dollar. La Russie importe quasi exclusivement de la banane dollar d'Equateur. En rouble, les prix en vert en Russie ont flambé de 35 % en moyenne en fin d'année et cette tendance se confirme début 2015. En revanche, les prix de détail en Russie sont toujours aussi compétitifs et ont largement baissé en rouble constant. La banane reste un produit de base et un produit d'appel. Les comptes de la filière se dégradent et les opérateurs traditionnels sont sous pression. Ces éléments vont sûrement impliquer des changements aux niveaux des opérateurs.
FLD : Peut-on craindre des reports de volumes de bananes en Europe ?
D. L. : On a vu par le passé des reports de centaine de milliers de cartons détournés vers l'Europe au lieu d'être déchargés en Russie. Mais la consommation annuelle russe de bananes progresse fortement (de 800 000 t à 1,4 Mt en dix ans). La banane en Russie est peu chère par rapport aux pommes.
FLD : L'Equateur veut devenir un fournisseur incontournable de la Chine. Cette donnée pourrait-elle changer les flux internationaux ?
D. L. : La Chine, c'est loin et seulement quelques dizaines de milliers de cartons par semaine pour l'Equateur. Il ne faut pas négliger l'augmentation de la production chinoise, les Philippines (fournisseur historique) et la réglementation chinoise. Je ne pense pas qu'une augmentation de volumes équatoriens vers la Chine changera la face du monde, d'autant que l'Equateur est un géant de l'export. Il a quasiment atteint les 300 millions de cartons en 2014 !
* 1 € = 1,12 $ au 25 janvier 2015 contre 1,38 $ au 25 avril 2014.
Son avis sur le rachat de Chiquita
Je trouve cela intéressant que des étrangers au secteur de la banane s'intéressent à Chiquita : un groupe financier, Safra, et un spécialiste du jus d'orange, Cutrale. Cela montre qu'il y a de la valeur dans la filière banane. La démarche est cohérente pour Cutrale car Chiquita s'est diversifié avec force sur la IVe gamme aux Etats-Unis. Cela pourrait être une stratégie pour le jus d'orange et un moyen de sécuriser un nouveau pôle de croissance en banane face aux problèmes en production des agrumes. Il faut être conscient que la banane est l'un des seuls grands marchés mondiaux alimentaires en progression : + 500 000 t consommées en deux ans pour l'UE ! J. C.