Interview
Marc Spielrein : « Rungis aujourd’hui, c’est la tradition au service de l’innovation »
Le marché de Rungis fête aujourd’hui ses 40 ans. A cette occasion, Fld hebdo s’est associé à son confrère britannique FPJ pour réaliser ces quatre pages spéciales consacrées à cet événement.






Fld : Quelles sont les plus grandes différences entre le marché aujourd’hui et il y a quarante ans ?
Marc Spielrein :Il y a eu plusieurs grandes évolutions durant ces quatre décennies. Les trois plus importantes sont certainement la part prise par la grande distribution, le développement continu des repas prix en dehors du domicile et l’internationalisation, terme que je préfère à mondialisation, du sourcing des produits alimentaires et des clients du Marché de Rungis. D’autres tendances ont aussi eu des effets. Je pense en particulier aux évolutions de la réflexion sur l’hygiène et la sécurité alimentaire. Cela ne veut pas dire que qu’en 1969, ceci n’existait pas mais le mouvement s’est accéléré avec l’importance prise par l’industrialisation et la transformation des aliments et l’augmentation des exigences des consommateurs en la matière. La crise de l’ESB et, en France, celle du veau aux hormones dans les années 80 ont aussi entraîné des crises de confiance qui ont rejailli sur le système. Les entreprises du marché de Rungis comme son organisme gestionnaire se sont adaptés à cette nouvelle donne. J’aime à penser que Rungis aujourd’hui, c’est la tradition au service de l’innovation.
Fld : Quels changements a apporté la recomposition du capital de la Semmaris ?
M. S. : Deux raisons principales ont présidé à cette évolution. D’une part, il y avait toujours cette hypothèque qu’était l’avance remboursable à l’Etat au moment de la construction de Rungis. En 1969, la Semmaris n’a certainement pas été dotée des fonds suffisants pour faire face à cette charge qui a longtemps pesé sur ses comptes. L’évolution du capital, avec l’entrée d’un actionnaire privé, a permis la disparition de cette charge et permis d’augmenter les fonds propres de 30 M€. La seconde raison est les perspectives fortes que le marché pouvait développer à l’international. Or, une structure où l’Etat est majoritaire s’est plusieurs fois avérée mal adaptée pour mener ce développement. Les cas de France Telecom ou de Gaz de France sont là pour nous le rappeler.
Fld : Comprenez-vous les inquiétudes qui se font jour çà et là chez certains opérateurs sur ce sujet ?
M. S. : Le changement entraîne souvent des inquiétudes. Le conseil d’Administration a pris en considération un plan d’investissement de 290 M€ d’ici à 2012. C’est un niveau fort et nous sommes dans une logique d’entreprise de droit privé, à capital majoritairement public, remplissant un service public avec un souci de profitabilité. L’effort consenti permet de moderniser et de rendre attractif le marché, et de prendre à bras-le-corps des dossiers importants pour son développement comme l’extension du marché sur une partie de la zone adjacente du Senia.
Fld : A ce propos, où en sont les différentes démarches d’extension du marché ?
M. S. :La politique d’expansion du marché est aujourd’hui à la croisée des chemins. D’ici un an, on peut considérer que la zone Euro Delta sera complète. Je tiens à souligner le travail colossal qui a été réalisé par les équipes de la Semmaris, dans un contexte général de scepticisme voire certaines fois d’hostilité, surtout au début. Nous récoltons aussi les fruits de notre politique commerciale consistant à construire une fois la vente assurée. A terme, ce sont 45 000 m 2 d’entrepôts modernes qui seront occupés. Cette réussite nous crédibilise sur l’autre dossier d’extension, celle qui est dans la zone adjacente au marché, la Senia. Nous entendons nous développer sur 20 à 25 des 118 ha composant cette zone d’activité. Cependant, ce dossier entre dans le cadre d’un plan d’urbanisation et de transport. Il fait donc l’objet d’une étude qui devrait rendre ses conclusions à la fin de l’année. Nous en saurons plus à ce moment, mais ce que nous avons accompli sur 12 ha à Euro Delta, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire sur 25 ?
Fld : Comment se traduit concrètement l’attention portée à l’environnement sur le marché ?
M. S. : Le développement durable a toujours été un sujet traité par le marché de Rungis : qualité de l’air, raccordement au gaz, souci d’assainissement, économies d’énergie, isolation thermique des bâtiments… Nous travaillons aussi sur la récupération et le recyclage des déchets. Nous sommes passés de 90 000 t de déchets en 1994 à 40-45 000 t aujourd’hui, en favorisant le recyclage de filière et en limitant la combustion, même si l’incinération, c’est de l’énergie produite. Les prochains bâtiments qui seront construits sur le marché se rapprocheront le plus possible des performances HQE. D’autre part, nous menons une étude sur la pose de panneaux photovoltaïques sur les toits même si nous savons qu’au Nord de la Loire, il est avéré que le retour sur investissement est deux fois moindre qu’au Sud du pays.
Fld : Quelle est l’importance des liens internationaux pour Rungis ?
M. S. :C’est une démarche fondamentale pour nous car cela permet de développer la fonction exportatrice du marché. Nous sommes impliqués dans la construction et le développement de nouveaux marchés de gros à travers le monde. Ainsi, en 2008, nous avons travaillé avec le Pérou, l’Ukraine à Odessa, au Vietnam, en plus de nos dossiers en Chine et en Russie. Et nous aborderons d’autres destinations dans le prochain trimestre. Si nous recevons des échos positifs, c’est, je pense, parce ce que nous sommes à peu près les seuls dans cette branche à pouvoir apporter une expertise en tant que concepteur mais aussi une solide expérience en tant qu’exploitant d’un marché de gros.
Fld : A vos yeux, quels sont les prochains enjeux pour les grossistes ?
M. S. :Je crois que les grossistes devront être attentifs à deux tendances dans les prochaines années. Ils devront d’abords veiller à sécuriser leur approvisionnement. La concentration de l’amont de la filière entraîne la création de groupes importants qui entendent valoriser au mieux leurs produits et leurs tonnages. En cela, Rungis demeure attractif. Cependant, il faut être prudent et éviter que cette concentration ne bloque in fine le sourcing du grossiste et ne lui permette plus de proposer une offre large de produits. Le second risque tient au formatage du goût, conséquence collatérale de l’offre en grande distribution. Nous défendons pour notre part le produit de saison. Tout en sachant qu’en fin de compte, c’est le consommateur qui choisit. Il est aussi singulier de voir comment les distributeurs français ont développé leurs enseignes de proximité en si peu de mois. L’évolution du format de la grande distribution va être primordiale. L’hypermarché devrait connaître une mauvaise passe. Je pense que certains grossistes seront à même de servir ce nouveau format de centre urbain, à la logistique particulière, mais cela demeurera délicat. Notre rôle est d’être à l’écoute du marché et d’être un facilitateur pour les grossistes ou encore une vigie des tendances de la consommation, pour participer au maintien de la pérennité des entreprises du marché.