Loi Agriculture et Alimentation : ce qu’il faut retenir
Avec 227 voix pour et 136 voix contre (et 11 abstentions), les députés ont adopté en lecture définitive le 2 octobre le projet de loi Agriculture et Alimentation. « Près de 200 heures de débat au total et plus de 8 000 amendements examinés, quel parcours !, a félicité Stéphane Travert lors de son discours à l’Assemblée juste avant le vote. Le Sénat n’a pas souhaité poursuivre le débat de fond en seconde lecture. Je le regrette […] le Sénat aurait pu contribuer à nouveau à soutenir l’élan collectif pris pendant les États Généraux de l’Alimentation, lancés dès juillet 2017. Passé ce regret sincère, regardons vers l’avenir. » Tous les groupes d’opposition de droite comme de gauche ont voté contre ou se sont abstenus, dénonçant un texte « creux » et « une occasion manquée ».
Les principales mesures
- Prix proposés par l’amont.
- C’est aux interprofessions d’élaborer et de diffuser les indicateurs de prix qui doivent servir de référence dans les négociations commerciales. L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires pourra les aider, mais n’aura pas pour mission de valider les indicateurs.
- Sanctions alourdies et principe du “name and shame”
- Relèvement du SRP et encadrement des promotions, par ordonnance
- Au moins 50 % de produits respectueux de l’environnement (dont au moins 20 % de bio) dans les repas de la restauration collective publique, au plus tard en 2022.
- Extension du champ de l’interdiction des néonicotinoïdes aux substances chimiques qui ont des modes d’action identiques.
"Pas assez loin", pour les syndicats
La FNSEA : « Le gouvernement n’a pas été au bout, notamment sur les indicateurs de coûts de production, où la seule fourniture des indicateurs de coûts de référence est confiée aux interprofessions, a déclaré, à l'AFP, Patrick Bénézit, secrétaire national adjoint de la FNSEA. En l'absence d'indicateurs neutres et indépendants, la FNSEA craint que certains acteurs des interprofessions, comme des distributeurs ou des industriels, ne fassent capoter les négociations de ces indicateurs, sans pour autant être sanctionnés. »
La Confédération paysanne a dénoncé un « gâchis », soulignant que le texte adopté était « très éloigné des promesses des EGalim ».
La Coordination Rurale « constate sans grande surprise que cette loi n'apporte aux agriculteurs qu'un grand vide ».
Les JA : « Une loi qui ne va pas assez loin ».
Des ordonnances pour bientôt ?
Selon le gouvernement, la concertation sur les ordonnances se poursuit « avec l’objectif d’une mise en œuvre pour les prochaines négociations commerciales ». La disposition législative relative à l’action en responsabilité pour prix de cession abusivement bas devait être mise à la concertation début octobre. Dans tous les cas, l’ordonnance SRP/promotions est attendue « avant le 30 novembre pour coller au calendrier des négociations commerciales » (peut-être cette semaine), celle sur le gaspillage sous un an.
Le Sénat saisit le Conseil constitutionnel
Les sénateurs de la droite et du centre ont annoncé avoir saisi, le 5 octobre, le Conseil constitutionnel sur le projet de loi Agriculture et Alimentation. Les signataires contestent notamment la mesure clé de construction des indicateurs de prix. Ils reprochent au gouvernement et à la majorité présidentielle d’être revenus, en commission mixte paritaire, sur cette disposition votée « dans les mêmes termes » par l’Assemblée nationale et le Sénat, « un déni démocratique » selon eux.
Calcul des indicateurs : premiers blocages
« Le salaire des agriculteurs doit être pris en compte dans le calcul des indicateurs de coûts de production », a averti le 4 octobre, Stéphane Travert, alors que des premiers blocages apparaissent au sein des interprofessions, notamment celle de la viande.
La distribution pour un report de l’ordonnance sur le SRP
Bien que résolus à faire « tout pour être les meilleurs élèves des EGalim », les centres E.Leclerc demandent, dans une lettre de Michel Édouard Leclerc adressée au Premier ministre le 1er octobre, « à ne pas pénaliser les consommateurs en instaurant le relèvement du SRP avant les fêtes de Noël. La hausse des prix sur les grandes marques n’a rien à voir avec les revenus des agriculteurs. » La FCD avait aussi demandé au Premier ministre le 28 septembre un report d’un mois de l’entrée en vigueur des mesures d’encadrement des promotions et de relèvement du SRP, avançant notamment des « contraintes logistiques ».
SRP et promotions : Jacques Creyssel (FCD) vigilant, Dominique Amirault (Feef) contre
Entendu lors de la présentation du baromètre PME/grande distribution (Feef, FCD, Nielsen) le 4 octobre :
Jacques Creyssel, délégué général de la FCD : « La FCD a donné un accord de principe sur la limitation des promotions mais nous serons vigilants sur sa mise en place. Nous avons des réserves : quid de la date de mise en œuvre ? Quid des produits concernés ? » Il estime par ailleurs que « la politique de promotion des enseignes a été très forte ces dernières années, avec même une dérive. Mais elle vient des grands groupes IAA qui voulaient contrecarrer la croissance des marques de PME dans les linéaires. La limitation des promotions pourrait donc être potentiellement positive pour les PME. »
Dominique Amirault, président la Feef : « Attention sur la limitation des promotions ! Il n’y a pas que le prix, les PME ont besoin des outils de promotion. » « Nous n’avons pas besoin d’une sorte d’interventionnisme de l’État, les PME et les distributeurs savent déjà travailler de façon collaborative. »
Quel impact sur les négociations commerciales ?
« L’an dernier, les négociations annuelles ont été parmi les pires et celles de 2019 commencent déjà dans la frustration », a lancé Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec (Institut de liaisons et d’études des industries de consommation). Et surtout, par rapport à 2018, le paysage côté acheteurs a profondément changé en raison des nombreuses alliances à l’achat passées cette année (Carrefour/Système U, Casino/Auchan/Metro/Dia).
Et pour finir….
Les distributeurs ont tous assuré de leur bonne volonté - du moins sur le papier - sur l’encadrement des promotions annoncé dans la future loi EGalim. Enfin, c’est ce que l’on croyait… Thierry Cotillard, président d’Intermarché (enseigne qui s’était déjà fait remarquer par ses mégas promos à -70 % sur le Nutella cet hiver), a déclaré, selon un tweet posté par notre confrère LSA : « En 2019, nous aurons 50 ans et nous avons prévu un business plan très audacieux pour contourner l’encadrement des promotions ». Ça commence bien !