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Antoine Sfeir, journaliste
L’Europe n’est pas encore méditerranéenne

Pour sa deuxième édition, le salon, Medfel a invité comme grand témoin Antoine Sfeir. Ce journaliste français, d’origine libanaise, est un spécialiste du Proche et du Moyen-Orient. Il viendra partager son analyse du processus d’Union pour la Méditerranée.

Journaliste, politologue, enseignant, historien, chercheur, expert, consultant, conférencier : c’est un peu un homme-orchestre qui ouvrira cette année le programme des conférences de la deuxième édition du salon Medfel, Salon de la filière fruits et légumes de l’Euroméditerranée. Antoine Sfeir est en effet tout cela. Pas par envie, ou besoin de cumuler les fonctions. Mais par la nécessité de saisir toutes les occasions qui peuvent s’offrir à lui pour porter son message, un message qui s’adresse d’abord aux peuples, à tous les peuples qui habitent les deux rives de la Méditerranée.
En 2009, l’invité d’honneur de Medfel, Predrag Matvejevitc (fld mag avril 2009), venait de Croatie, pays qu’il avait dû quitter après la guerre et les menaces qu’il avait reçues pour s’exiler en France, puis en Italie, dont il avait pris la nationalité, à côté de celle de sa Patrie d’origine. La guerre fait aussi partie du “CV” d’Antoine Sfeir.
Antoine Sfeir est d’origine libanaise, fils d’un avocat, il a fait ses études à Beyrouth, dans un collège tenu par les jésuites, rattaché à la Province de Lyon. Rapidement tenté par le journalisme, il démarre sa carrière dans son pays, au quotidien L’Orient-Le Jour. Mais la guerre éclate en 1976. Il est enlevé, torturé. Comme notre Croate, il doit fuir son pays. Il choisit la France et prend la nationalité française. « Libanais de naissance, Français par choix, ethniquement chrétien. Je suis dans une république laïque : ma seule foi est citoyenne. » Ainsi aime-t-il se définir. Son métier de journaliste, il le mettra désormais au service de ses deux passions : la langue française et le dialogue entre les peuples de la Méditerranée. C’est ainsi qu’il fonde en 1985 Les Cahiers de l’Orient, revue qu’il dirige encore aujourd’hui. L’usage du français fait partie de la charte éditoriale de la revue : « Je tenais beaucoup, la foi du converti, à une revue en langue française. La langue française comme véhicule de notre pensée, dernier lieu privilégié des libertés. »
Le but de cette revue : être multipont. « Au-dessus de la Méditerranée, les passerelles sont innombrables. Elles sont toujours détruites par les extrêmes. Il faut toujours les reconstruire. Il ne faut pas baisser les bras, sinon les extrêmes gagnent. » La Méditerranée n’a jamais été un espace politique et culturel tranquille. « On a oublié Braudel qui décrivait la Méditerranée comme une mer de rupture plus que de continuité », rappelle l’auteur de “Vers l’Orient compliqué”.
« Nous sommes dépositaires d’un héritage que nous n’avons pas le droit de jeter à la mer. On ne peut plus rester indifférent : il est fondamental d’avoir un pont entre les deux rives, mais aussi entre les pays eux-mêmes. » Et de prendre pour exemple la rive maghrébine : « Les jeunes ne rêvent que de venir en Europe, en France. Chez nous on parle d’invasion, eux, ils parlent d’évasion. Le double miroir déformant de l’invasion et de l’évasion. »

L’Allemagne n’est en rien concernée par l’Union pour la Méditerranée
Alors, que pense notre invité du projet d’Union pour la Méditerranée ? Pas que du bien. D’ailleurs, le terme même d’Euroméditerranée le gêne. « Certes, reconnaît-il, Nicolas Sarkozy a lancé le projet d’Union pour la Méditerranée. Mais il l’a fait sans consulter l’Italien qui a pleuré, l’Espagnol qui a boudé et l’Allemande qui a tapé du poing sur la table. » Nous avons oublié de vous dire que notre adepte de la langue française aime parler franc, mais aussi le franc-parler !
« On a tout faux à la base, poursuit-il. Quand l’Allemagne a fait l’Union pour la Baltique, elle ne nous a pas invités. Nous y sommes comme observateur. Nous avons multiplié les erreurs. Nous n’avons pas consulté les pays du Sud. Nous avons fait cavalier seul pour finalement nous soumettre aux desiderata allemands. C’est une erreur d’associer tous les pays d’Europe. L’Allemagne n’était en rien concernée par le projet d’Union pour la Méditerranée ! »
Pour Antoine Sfeir, « L’Europe n’est pas encore méditerranéenne, elle n’est même pas encore tout à fait européenne. Quel est l’intérêt direct des Scandinaves, par exemple, pour la Méditerranée ? » Quant aux progrès de l’UPM, elle-même héritière du processus de Barcelone, ils sont très pauvres. « Les conflits et tensions se sont intensifiés dans l’espace méditerranéen depuis le processus de Barcelone en 1995 : entre le Maroc et l’Algérie, le Liban et la Syrie, et, bien sûr, Israël et les territoires palestiniens. Les peuples sont souvent en révolte contre leur propre gouvernement et restent sceptiques devant les discours grandiloquents. » Pour ce spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, il n’y a pas d’unité méditerranéenne, malgré, effectivement, un certain art de vivre partagé. « Il suffit de regarder les écarts de richesse entre les deux rives pour s’en convaincre. » Et puis, les deux rives ne se connaissent pas bien. : « Les Européens parlent d’Arabes au Sud, mais quid des Chrétiens d’Orient, des Kabyles et autres peuples berbères ? L’espace islamique au Moyen-Orient est composé de 13 % de non-musulmans. » Et les occasions de conflits entre pays, à l’intérieur des pays, des communautés, sont nombreuses : « Il existe des fractures entre Sunnites et Chiites, entre le monde urbain et le monde rural, entre classes éduquées et non éduquées. » Le journaliste en est convaincu : l’effort doit d’abord porter sur la reconnaissance mutuelle. « Les peuples du Sud demandent la reconnaissance de l’altérité, pas la tolérance, terme éminemment condescendant. Il existe un besoin de reconnaissance par le respect. » D’où son extrême sévérité quant à la façon de procéder des pays de la rive Nord. « Or, après avoir entendu les débats intra-européens qui ne songent même pas à faire appel à l’opinion publique du Sud, on se dit que le respect n’est pas apparent. » Et d’enfoncer, toujours dans son style intransigeant et inimitable quelques banderilles qui font mal : « Ce monde arabe a vu une puissance arriver pour abattre un dictateur, mais qu’est-il arrivé aux 21 autres “dictateurs” ? »
Et si on l’interroge sur l’absence du Roi de Maroc au premier sommet UE/Maroc qui s’est tenu à Grenade les 6 et 7 mars derniers, il la trouve naturelle : « C’est l’Europe qui donne des ordres, c’est l’Europe qui fait passer des examens. Nous sommes en train de donner des leçons sur la liberté de la presse à ces pays. En France, 80 % de notre presse appartient à deux marchands d’armes ! »

La société civile doit s’emparer du projet
Mais Antoine Sfeir n’est pas que le contempteur des errances des gouvernements des pays des deux rives de la Méditerranée. Il veut croire à l’existence de solutions. « Ce n’est pas de misérabilisme mais de projets économiques concrets dont la zone a besoin. Justement, certains projets seraient susceptibles d’arrimer la région à la technologie, à l’économie européenne… mais comment les réaliser sans heurter les différentes sensibilités, et sans s’adresser à certains Etats ? Est-il possible de faire l’Union de la Méditerranée sans parler à la Syrie, par exemple ? » D’où son appel ardent non pas aux Etats, non pas aux institutions, mais aux peuples. Pour Antoine Sfeir, « c’est à la société civile d’arracher le projet aux institutions et d’aller le jeter de l’autre côté de la Méditerranée. » « Le processus de Barcelone a atteint ses limites. Institutionnellement c’est fini. Il faut que la société civile puisse s’emparer du projet. » « La région aurait besoin de l’Europe des peuples et des citoyens, mais il n’y a pas deux pays européens qui partagent, par exemple, le même concept de la laïcité. Peut-être faudrait-il avant tout se focaliser sur le concept de république, plus accessible, que sur celui de démocratie. » Et de poursuivre : « Le flux migratoire du Sud vers le Nord est une vraie richesse pour l’Europe. Notre Histoire nous unit également ; l’âge d’or d’Andalousie, la Mare Nostrum des Romains… »

L’export est mort, le partenariat est né
Et l’agriculture, et notamment la filière f&l, pourrait avoir un rôle éminent à jouer. « Il faut arrêter les suspicions, les producteurs européens de fruits et légumes doivent s’entendre avec ceux de la rive Sud dans le cadre de partenariats qui ne mettent pas en péril les productions de saison par exemple. Sans doute que la rive Sud doit se perfectionner et pour cela, elle a besoin du savoir-faire de ses voisins de la rive Nord. L’export est mort, le partenariat est né. La société civile et les professionnels qui symbolisent l’économique devront prendre le projet de l’Union méditerranéenne à leur compte. »
En conclusion, « pourquoi ne pas faire une rupture et faire quelque chose de neuf, sans s’appuyer sur des structures anciennes ? Mais avant de le faire, il faudrait d’abord savoir dépasser les querelles internes au sein de l’Europe pour présenter un véritable projet, basé sur des positions communes. Cette UPM, si elle veut exister, a encore bien du chemin à faire. »
Enfin, pour terminer notre entretien, Antoine Sfeir nous offre un texte exemplaire de son compatriote Joseph Maïla* : «… étonnante civilisation méditerranéenne qui, au fur et à mesure de son déploiement, balisa les trajectoires de notre culture, fixant l’un après l’autre les repères majeurs de notre histoire et faisant de nous les dépositaires d’un héritage où l’alphabet fut phénicien, le concept, grec, le droit, romain, le monothéisme, sémite, l’ingéniosité, punique, la munificence, byzantine, la science, arabe, la puissance, ottomane, la coexistence, andalouse, la sensibilité, italienne, l’aventure, catalane, la liberté, française et l’éternité, égyptienne… »

* Ancien recteur de l’Institut catholique de Paris, Joseph Maïla est directeur du pôle religion du ministère des Affaires étrangères.

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