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Export : état des lieux après six mois d'embargo
L'Europe centrale, seule planche de salut pour nos exportations?

Après deux années exceptionnelles, le marché de la pomme de terre est en crise. Certains opérateurs du frais peinant à trouver de nouvelles destinations regardent vers la Biélorussie et le Kazakhstan, membres de la nouvelle Union eurasienne.

La frite au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco ! La demande des communautés belges fait figure de coin de ciel bleu dans une filière qui voit se succéder des avis de tempête depuis plusieurs mois. « Cette campagne est très compliquée », souligne Régis Wecxsteen, fondateur de la société éponyme de Méricourt-sous-Lens (Pas-de-Calais). Du côté des négociants de Fedepom, on n'hésite pas à faire remarquer que « plus c'est compliqué, mieux c'est ! ». Sous-entendu, nous n'aurons pas la concurrence habituelle des producteurs-vendeurs, d'autant que « l'atomisation n'est jamais source de valorisation », remarque Francisco Moya, directeur de Negonor. Et pour passer de la théorie à la pratique, Fedepom organise, du 26 au 29 janvier, une mission export à Amalty au Kazakhstan, avec Ubifrance en présence des responsables de Champ'Pom Export, Select'Up, Terre de France, Prim'Terroirs et Negonor.

Pour les professionnels et observateurs de la filière européenne, la situation des marchés actuels n'est guère surprenante. La machine s'est emballée à la faveur des conditions de marché propices rencontrées durant les deux dernières campagnes, les prix frôlant des niveaux peu atteints, sans compter l'influence des progrès génétiques sur les rendements à l'hectare. Il faut se souvenir des mois où la pomme de terre est montée jusqu'à 600 €/t, la primeur lui ayant emboîté le pas avec des cotations rarement observées. « On a côtoyé les extrêmes en l'espace de deux à trois ans », souligne Francisco Moya.

La spirale s'est enclenchée : augmentation des surfaces emblavées, accroissement des sous-locations de terre, investissements dans des équipements... entraînant une hausse des surfaces pour amortir ces investissements. Au final, ce sont 4 Mt qui déséquilibrent le marché européen. On n'a pas mesuré les conséquences immédiates d'une telle accélération, car des accidents climatiques ont régulé le flot débordant de tubercules [sécheresse affectant l'Angleterre et l'Allemagne, ndlr]. Mais cette année, tous les facteurs de production ont été favorables.

Le frais est concerné en premier lieu. Le secteur des chairs fermes en a pâti. Combien d'hectares de tubercules non valorisés sont allés dans les méthaniseurs français en 2014 ? Peu d'opérateurs sont disposés à communiquer leurs tonnages, mais on sait qu'il s'agit de milliers de tonnes de chair ferme que le marché n'a pas réussi à absorber. Pour l'instant, le marché des produits transformés se porte mieux. Un opérateur comme McCain s'ouvre des marchés en Amérique du Sud, en Afrique du Sud et en Inde... Les usines françaises et étrangères tournent à plein régime, profitant des cours excessivement bas de la matière première. Embellie aussi sur le marché de la chips. Pour Régis Wecxsteen, les débouchés avec l'industrie de la transformation lui sauveront peut-être la mise au terme de cette campagne.

Roquette cherche 4 000 ha

Côté fécules, après la diminution des tonnages sur la période 2007-2014 (-44 % pour la coopérative de Vic-sur-Aisne et - 28 % pour Vecquemont), les industriels sont à la recherche de nouveaux hectares. Roquette est en quête de 4 000 ha depuis la décision des coopérateurs de Vic-sur-Aisne d'abandonner d'ici 2017 leurs contrats avec l'industriel de Vecquemont et de les reporter sur Tereos Haussimont. C'est dire si « la pomme de terre est plurielle » ! Comment va se comporter l'exportation dont le score oscille entre 1,7 et 1,9 Mt/an selon les campagnes ? Depuis 2005-2006, notre pays n'a réussi qu'une seule fois à dépasser les 2 Mt. Nos principaux opérateurs du frais peuvent-ils partir à la conquête de territoires ? Quel est l'impact de l'embargo russe sur les courants traditionnels d'exportation ? Quel sera celui d'un réchauffement climatique prévisible sur les marchés de l'Europe du Sud dont on constate une baisse régulière de nos débouchés ? Le “consommer local” aura-t-il des conséquences à terme sur nos circuits commerciaux ? Même si les opérateurs savent que le marché européen de la pomme de terre est saturé, il n'est pas facile de dessiner les champs du futur.

« Notre marché européen est saturé, mais chacun a bien conscience que la demande mondiale est bien là », a constaté de son côté Ricardo Varanda Ribeiro, de la DG Commerce à la Commission de Bruxelles à l'occasion du récent séminaire du Copa-Cogeca qui s'est tenu à Bruxelles le 9 septembre 2014.

L'Italie, terrain de jeu des Allemands

Pour l'instant, les marchés d'exportation de la France ne fluctuent guère : 1,76 Mt entre août 2013 et juillet 2014. « Dans la moyenne des deux dernières années », constate le CNIPT, relevant que ce chiffre se situe « dans la fourchette basse des années exceptionnelles de 2006-2007 et de 2010-2011 ». Durant cette dernière campagne, la France a profité de l'absence de l'Allemagne pour accroître sa présence en Italie. Les exportations françaises vers les pays de la Plaine du Pô ont augmenté de 47 % par rapport à l'an passé et de 21 % sur la moyenne des trois dernières campagnes. Mais ces courants d'export restent conjoncturels, tant que l'Italie sera la terre de jeu de nos voisins allemands.

Union économique eurasienne : un immense marché de libre-circulation

Biélorussie, Kazakhstan et Russie font partie de l'Union économique eurasienne (UEA) auxquels devraient se joindre l'Arménie et probablement le Kirghizistan et le Tadjikistan. Cette union regroupe 173 millions d'habitants (146 pour la Russie) et pèse 1 900 Md€ de PIB (la France représente 2 160 Md€ de PIB). Les trois Etats s'engagent à mettre en œuvre une politique concertée dans l'énergie, l'industrie et l'agriculture ainsi que dans les transports. L'UEA est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Avec ses 45 millions d'habitants, l'Ukraine n'y participera pas au grand dam de Vladimir Poutine. « C'est l'organisation de coopération régionale la plus aboutie qu'ait connue l'espace post-soviétique ». Une sorte d'alliance commerciale « censée garantir la libre-circulation des biens, des services et des capitaux ». Dans l'esprit du numéro un soviétique, c'est l'alter ego de l'UE. Il veut en faire un « bloc puissant incontournable sur le nouvel échiquier mondial ». T. B.

Nos exportations vers l'Espagne et le Portugal diminuent régulièrement, même si la France demeure le premier fournisseur de pommes de terre sur le marché espagnol. L'Espagne a importé 420 700 t en 20132014 (dont 70 % de France). Notre pays y perd régulièrement des parts de marché car la production espagnole (2,35 Mt en 2014) entre en concurrence directe avec la production française. Et les Espagnols ne sont pas les seuls à privilégier la production locale au détriment de la production importée. « On a de plus en plus tendance à regarder d'un peu plus près ce que l'on consomme », remarque Francisco Moya.

Quel poids pour l'Europe dans le monde ?

« Cette dernière campagne a permis de reprendre les échanges vers les pays d'Europe centrale », relève le CNIPT. En y exportant 181 600 t, la France renoue avec les bons chiffres de 2010-2011. Seuls les pays de l'Est ouvrent des perspectives intéressantes en matière d'exportation. Avec 221 000 t exportées, 2010 représentait une année atypique. Puis la France a exporté 106 400 t en 2011, 51 100 t en 2012, 181 600 t en 2013..., c'est dire si les neuf pays constituant l'Europe de l'Est (Bulgarie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovaquie et Slovénie) deviennent incontournables pour nos débouchés export.

Selon Cédric Portier du World Potato Markets lors du Séminaire européen du Copa-Cogeca, le commerce mondial de pommes de terre se développe et les exportations européennes à destination des pays tiers augmentent d'année en année. Même s'il faut en relativiser l'impact. Les vingt-huit produisent en moyenne 58,4 Mt/an, dont 28 Mt pour les cinq pays du NEPG, un chiffre à comparer avec les 370 Mt de la production mondiale (dont 37 % de Chine et d'Inde). Alors quel est le poids de l'Europe dans les circuits mondiaux ?

Les conséquences de l'embargo russe

Même si la filière pomme de terre française semble moins impactée par l'embargo russe que ne le sont la viande porcine ou le lait, les réactions varient. Pour certains, « c'est un prétexte utilisé pour se cacher derrière des problématiques beaucoup plus larges, car ce n'est pas la raison essentielle de la crise de la filière ». Mais pour Régis Wecxsteen, qui envoie environ 20 % de ses 150 000 t exportées par an, la fermeture des frontières russes constitue un problème amplifié par le marasme actuel. D'après lui, l'entreprise n'atteindra pas un tel volume au terme de cette campagne. Wecxsteen & Fils se tourne vers de nouveaux marchés : Roumanie, Azerbaïdjan, Afrique et Moyen-Orient (Qatar ou Emirats Arabes Unis). « On ne parle plus que de cela. Il n'y a plus de conteneurs disponibles pour expédier de la marchandise vers ces pays-là », lance-t-il.

Selon les campagnes, les exportations directes franco-russes totalisent 7 000 t en moyenne. Le CNIPT relativise ces chiffres en estimant que l'embargo concerne environ 60 000 t, quand est prise en compte la marchandise transitant par l'Europe du Nord (Belgique et Pays-Bas). « Les Russes sont importateurs de pommes de terre relativement haut de gamme. Ce sont des marchés sur lesquels les Français étaient plutôt bien placés, souligne Patrick Trillon, président du CNIPT. Et même si, au vu des quantités de tubercules annuelles exportées, l'impact de cet embargo n'est pas sensible, il va s'avérer pernicieux à long terme. » Et Francisco Moya de Negonor d'ajouter : « Avec la levée de l'embargo pour les plants de pommes de terre, intervenue le 25 août, les Russes vont se recentrer, dans une certaine mesure, sur leur propre production, quitte à se détourner de l'Europe pour leurs importations en ouvrant de “nouveaux champs de concurrence”. »

La France n'est, de fait, pas un acteur majeur en Russie. Elle ne figure pas parmi les dix premiers exportateurs du pays. D'après Ann Oleynik, représentante de la Russian Potato Association, association de cinquante-quatre membres (producteurs, fournisseurs, obtenteurs et transformateurs), qui a « fait pression sur le gouvernement russe » pour exclure les plants de pommes de terre de l'embargo, la Russie aurait produit 32 Mt de pommes de terre en 2013, englobant grandes entreprises, agriculteurs et autoconsommation. Selon elle, la Russie aurait importé 642 000 t en 2010, 1,42 Mt en 2011, 450 000 t en 2012 et 448 000 t en 2013 en provenance d'abord de l'Egypte (82 651 t), puis de l'Azerbaïdjan (34 726 t), d'Israël (32 568 t) et de Chine (28 498 t).

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