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Les jardins de Buenos Aires

Au pays du boeuf et du soja transgénique, le maraîchage est aussi une filière dynamique, principalement dans les zones périurbaines comme la ceinture verte de la capitale fédérale, Buenos Aires. Rencontre à La Plata avec la famille Marinelli, à la tête de Grupo Horticola SA.

Notre projet est la mécanisation de la récolte telle que nous l’avons vue en Europe »

JOSE MARINELLI, maraîcher Grupo Horticola

Malgré la douceur du temps de cette fin d’été qui donne au lieu des allures de jardin d’Eden, le calme n’a pas toujours régné à La Plata. Quelques jours plus tôt, un violent orage a détruit près de 60 % des serres du secteur. Les agriculteurs n’ont accès à aucun système d’assurance, même si le gouvernement du président Macri, en place depuis plus d’un an, espère trouver une solution. Car le problème devient récurrent, conséquence du phénomène climatique El Niño. « Les gros orages comme celui-là arrivent de plus en plus fréquemment », constate amèrement la famille Marinelli, un nom qui fleure bon la botte. Le maraîchage en Argentine a en effet longtemps été une affaire d’Italiens. Les immigrés transalpins, arrivés en nombre au XXème siècle, ont amené leur savoir-faire agricole. La famille Marinelli est installée à La Plata, au sud de Buenos Aires, depuis les années 1950. A la tête de Grupo Horticola SA, une exploitation de plus de 70 hectares, largement au-dessus de la moyenne dans cette filière, José est la troisième génération de maraîcher. La quatrième est déjà sur les rails. Ses enfants, Silvana et Nicolas, la vingtaine à peine passée, sont déjà à l’oeuvre sur l’exploitation familiale, à la gestion pour l’une, aux champs pour l’autre. L’entreprise emploie une trentaine de personnes dont une douzaine pour la plantation et la récolte et une demi-douzaine pour le conditionnement des légumes.

En plein champ, le produit phare, c’est la salade

L’entreprise travaille en plein champ une soixantaine d’hectares, en pleine propriété. Et autour de ce « carré » de maraîchage, elle cultive également plus de 170 ha de maïs, blé ou soja, production vendue à un moulin privé pour les céréales et destinée à l’export pour le soja. Sur la zone « frontière » entre les deux activités, elle assure une rotation heureuse « qui permet de lutter plus efficacement contre les mauvaises herbes et d’augmenter les rendements », confie José. Ici, à quelques encablures du fleuve de La Plata, la terre est « parfaitement adaptée au maraîchage, facile à travailler avec une bonne rétention de l’humidité en été », révèle le propriétaire. L’accès à l’eau est assuré par six puits creusés à 20 mètres de profondeur, assurant un débit de 90 m3/ heure.

Sur ces surfaces en plein champ, le produit phare, c’est la salade qui occupe près de 35 % des surfaces. Suivent les bettes (15 %), betteraves rouges (13 %), oignons (10 %), poireaux (6 %), brocolis (7 %), choux (9 %), fenouil (3 %) et persil (2 %). « Le choix des espèces cultivées se fait en fonction de la demande du marché mais aussi pour la facilité et la flexibilité de la récolte », justifie le patron. Il privilégie la rotation, « on ne plante jamais deux espèces identiques à la suite » et chaque lot permet entre deux et quatre plantations par an, sur un terrain fertilisé essentiellement avec de la litière de volailles compostée, retirée chez un éleveur local. Pour les cultures de printemps-été, le maraîcher utilise à 85 % des plants, et seulement à 15 % les semences « car avec les températures élevées, les besoins en eau sont trop importants pour un taux de reprise insuffisant ». Pour les cultures d’automne-hiver, le partage est quasi équilibré entre les deux méthodes. L’entreprise agricole dispose par ailleurs de deux autres secteurs de cultures sous serres (12 hectares au total), principalement consacrés à la culture de la tomate pour une production avoisinant les 2 000 tonnes par an.

L’exploitation des Marinelli dispose d’un atout-maître : sa proximité des points de vente et des consommateurs, les dix millions d’habitants de Buenos Aires. En moyenne, ce sont environ 5,5 tonnes de légumes qui sortent chaque jour de l’exploitation.

Carrefour, plus gros client, achète 50 % des volumes

Le débouché quasi unique, à 95 %, c’est le supermarché (Grupo Horticola vend également des salades à McDonald’s). Carrefour est son plus gros client, achetant presque 50 % des volumes. L’enseigne française a ainsi encouragé l’entreprise à s’engager dans la démarche Global GAP, label de bonnes pratiques environnementales et sociales. « La baisse de l’utilisation de pesticides est l’un de nos objectifs prioritaires », révèle le maraîcher. Pour l’instant, le recours aux traitements herbicides prélevée et postlevée, fongicides et insecticides, est important. « Mais nous faisons en sorte de conserver les insectes bénéfiques pour moins avoir à traiter, justifie-t-il. Certaines entreprises proposent à la vente des insectes auxiliaires, c’est une démarche nouvelle ici ». Grupo Horticola SA n’envisage pas pour autant de franchir le pas du bio et ce, pour une raison simple : « Ici, les consommateurs ne sont pas prêts à payer le prix ; le bio est un marché très restreint en Argentine. » Et demain ? En dépit de certains handicaps, « dans l’ordre : concurrence illégale, difficulté de recrutement de main d’oeuvre, instabilité politico-économique chronique du pays et changement climatique », la famille Marinelli demeure optimiste pour l’avenir. Avec quels projets ? La mécanisation de la récolte (salade, blettes, betteraves, persil), « telle que nous l’avons vue en Europe », est dans les tuyaux, sans que Grupo Horticola ne souhaite s’étendre pour autant : « Nous avons suffisamment à faire et à améliorer sur nos surfaces actuelles. Nous n’envisageons pas non plus d’agrandir les surfaces sous serre car les investissements sont coûteux et la main-d’oeuvre difficile à trouver. » La transformation des légumes « n’est pas à l’ordre du jour, mais qui sait ? Dans le futur... » Cela pourrait être le défi à relever pour la quatrième génération. Silvana et Nicolas n’ont pas l’air de manquer d’ambitions.

David Bessenay

La « bolivianización » du maraîchage

L’histoire du maraîchage en Argentine se confond étroitement avec celle de son immigration. Après avoir été l’apanage des Italiens et, à un degré moindre, des Portugais et des Japonais, elle est devenue peu à peu l’oeuvre des immigrés du continent lui-même, devenus plus nombreux que ceux d’Outre-mer, et plus précisément des Boliviens. Arrivés comme simples ouvriers agricoles, ils ont notamment profité de la crise économique des années 1990 qui a vu les familles de maraîchers historiques se détourner de cette activité devenue incertaine et peu rémunératrice pour grimper dans l’échelle sociale. Ils représentent aujourd’hui environ 25 % des maraîchers (près de 40 % dans la ceinture verte de Buenos Aires). Les deux tiers d’entre eux sont à la tête de petites exploitations familiales sans salariés et sont souvent considérés comme une concurrence à bas coûts par les entreprises de maraîchage traditionnelles.

EN CHIFFRES

70 hectares de maraîchage dont :

35 % de salade

12 ha de serre et 2 000 t de tomates.

95 % de ventes en grande surface.

 

Porteños (1), mangez des légumes !

Au royaume des carnivores, le ministre de l’agroindustrie de la province de Buenos Aires, Leonardo Sarquís, entend développer la production et la consommation de légumes dans la province la plus peuplée du pays. Si la tradition des jardins familiaux, héritée des immigrés italiens, a quasiment vécu, le ministre s’est fixé comme objectif dans son plan stratégique « maraîchage 2020 » une augmentation de la production qui ira de pair avec une promotion de la consommation de légumes. Plus concrètement, il s’agit de faciliter l’accès à la terre et le transfert de technologies au bénéfice des petits producteurs. Ainsi que de leur offrir un accès direct au marché central de Buenos Aires et d’encourager la création de marchés de quartier et de centres de collecte. Bref, la (re)mise en place d’une filière courte pour conserver le caractère social et familial du maraîchage, pour nourrir les presque 15 millions d’habitants de la province qui produit actuellement 34 % du tonnage national de légumes, pourcentage que le ministre espère voir grimper à 45. Les Argentins consomment moins de 150 grammes de légumes par jour tandis que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en recommande 360.

(1) : Surnom des habitants de Buenos Aires

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