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Agnès Giboreau et David Morizet, Institut Paul Bocuse
Les enfants donnent des bons points aux légumes

Qu’est-ce qu’un légume pour un enfant ? Le travail mené par David Morizet et Agnès Giboreau tord le cou à quelques vérités qui verraient les plus jeunes totalement ignares en la matière...

La consommation des fruits et légumes chez les jeunes Français fait l’objet de toutes les attentions. Depuis 2008, au Centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse situé à Ecully tout proche de Lyon, David Morizet travaille, sous la houlette d’Agnès Giboreau, directrice de la Recherche, et de Pierre Combris, directeur de recherche à l’Inra, à comprendre les déterminants cognitifs, sensoriels et situationnels des choix alimentaires des enfants de 8 à 11 ans en ce qui concerne les légumes en restauration hors foyer. Ce travail est mené en partenariat et financé par Bonduelle. Alors que plusieurs récentes décisions visent à augmenter la part des produits frais dans les cantines, les travaux de David Morizet, qui soutiendra sa thèse à la fin de l’année, offrent un éclairage nouveau sur les relations que les plus jeunes peuvent avoir avec les légumes.
Dans un premier temps, on pourrait se demander pourquoi avoir spécialement choisi les enfants entre 8 et 11 ans. C’est Agnès Giboreau qui apporte ici la réponse : « Nous avons choisi cette tranche d’âge car elle est la plus adaptée à notre objectif de mieux connaître le concept de légumes chez les enfants. Avec des enfants plus jeunes, nous nous serions heurtés à une difficulté d’abstraction. Plus âgés, nous entrions dans la préadolescence avec ce que cela entraîne de changements d’attitude vis-à-vis de l’autorité, notamment ici face à l’expérimentateur. 8-11 ans, c’est aussi l’époque où la néophobie alimentaire – la peur des aliments nouveaux – tend à s’apaiser. » Elle ajoute : « En termes de méthodes, nous avons dû prendre en compte le contexte de la cantine scolaire, différent de celui du milieu familial. Un enfant prend plus d’une centaine de repas en cantine par an, ce qui peut jouer sur son comportement alimentaire. Aussi, un travail uniquement en laboratoire n’aurait pas été totalement pertinent. Nous avons donc adopté différentes approches, certaines nouvelles en situation dont nous avons démontré la pertinence. »
David Morizet et Agnès Giboreau
En mai et juin 2010, une première expérimentation a été conduite en restauration scolaire puis, en mai 2011, le Restaurant expérimental du Centre de recherche a été transformé pour accueillir près de 200 enfants des écoles primaires d’Ecully et les placer dans le contexte naturel d’une cantine scolaire. Celui-ci est un lieu particulier du Centre de recherche qui permet de mettre des personnes en condition de repas in situ. Un réseau de vidéos en circuit fermé et de micros permet d’observer les choix et de recueillir les réactions. « Il nous était indispensable de disposer d’éléments de comparaison fiables, toutes choses étant égales par ailleurs. L’objectif était d’acquérir une somme de connaissances générales qui puissent être reproduites, précise Agnès Giboreau. L’utilisation du restaurant modulable du Centre de recherche nous a permis de mettre les enfants dans leur environnement de consommation et d’étudier leurs comportements en situation de repas. Voir, par exemple, s’ils terminaient ou non leurs assiettes, la quantité qu’ils consommaient, le choix des produits… ce qui a contribué à mieux comprendre les facteurs d’appréciation. La prise en compte de l’environnement, du contexte de consommation est une des avancées notables de la thèse de David Morizet. Ce type de données est rarement suivi et nous avons pu tester plusieurs situations. »

Les enfants connaissent les légumes !
De fait, souvent, prendre en compte l’environnement n’a pas les faveurs des chercheurs. « La situation de contexte est souvent considérée comme un biais pouvant fausser les résultats finaux, renchérit David Morizet. Dans le travail mené au Restaurant expérimental du centre, nous avons voulu bâtir l’environnement le plus proche de celui d’une cantine : par exemple, un enfant de cet âge mange rarement seul, c’est un facteur propre à l’étude. Nous avons mené plusieurs expérimentations, toujours autour d’un repas complet. Dans l’expérience avec les restaurants scolaires, le contexte était, là, assez différent puisque nous avons travaillé avec les équipes de restauration sur place qui vivent tout cela au jour le jour. La sensibilité et la motivation aussi sont différentes. L’exercice était rendu d’autant plus difficile que nous devions, pour des raisons de reproductivité, avoir les mêmes conditions deux jours de suite. »
Trois aspects ont été étudiés : le choix, l’appréciation et la quantité consommée de légumes. Pour le premier, il s’est agi de déterminer quels légumes étaient appréciés et pourquoi, ce qui a été fait par l’observation des jeunes dans le Restaurant expérimental, puis, pour l’appréciation, par le truchement de questionnaires simples, adaptés aux enfants. « Nous avons également demandé aux enfants de nous citer des noms de légumes qu’ils connaissaient, afin de voir l’étendue de leurs connaissances lexicales, explique David Morizet. Nous avons relevé que les enfants ont un bon niveau de connaissance. Pas moins de 56 noms ont été cités, avec une prédominance pour le trio carottes-tomates-salades (les carottes étant citées par plus de 75 % des convives). Un groupe de 14 légumes dépasse même les 10 % de citations. Il semble que le nombre de légumes cités augmente avec l’âge. Nous avons aussi noté que certains parmi les plus petits citaient des fruits dans leur liste. Ce qui pourrait laisser penser que la différenciation s’affine avec l’âge. »

Les enfants ont des goûts simples !
La préférence entre tel et tel légume et à quel niveau elle se situait est ensuite à étudier. Pour cela, David Morizet a demandé aux enfants de classer 28 photos de légumes bruts dans cinq boîtes selon leur reconnaissance et leur appréciation des produits (de “Je connais et j’aime” à “Je ne connais pas et je n’ai pas envie de goûter” et “Ce n’est pas un légume”). « Premier enseignement, il n’y a pas de différence notable dans les réponses selon l’âge ou le genre, note-t-il. Cela laisse penser que l’enfant apprendrait d’abord à reconnaître visuellement le légume avant d’en connaître son nom. Autre fait vraiment notable : c’est la familiarité avec le légume qui emporte l’adhésion. En d’autres termes, un enfant pourrait dire : “Je connais le légume donc je le choisis”, “Je ne connais pas le légume alors je ne le choisis pas”. » A partir de ces deux premières étapes, trois légumes ont été sélectionnés pour les expérimentations. Un très connu et apprécié par les enfants : la carotte. Un moins connu et moins apprécié : le brocoli. Un troisième connu et non apprécié : l’épinard. Différentes recettes ont été proposées, impliquant des cuissons, des textures et des formes différentes, « ces dernières sont au centre de mon travail », précise d’ailleurs David Morizet, pour voir ce qui plaisait le plus aux petits convives et si la modification du produit avait un impact dans leur choix, leur appréciation et leur consommation. Certains résultats ont été assez étonnants. Dans une grande majorité, les enfants privilégient les recettes simples et les mono-produits. « Nous avons proposé une recette de rondelles de carottes (recette familière) et une autre de carottes avec une sauce crémée (recette nouvelle) incluant de la purée de carottes. La recette familière a emporté incontestablement les suffrages, se souvient David Morizet. Les moyens de préparation ont une influence forte sur le choix des enfants. De plus, ils préfèrent les plats quand ils sont capables de reconnaître les produits qui les composent. Pour reprendre l’exemple de la carotte, la préférée de notre panel, elle est appréciée mais pas sous n’importe quelle forme. »
Agnès Giboreau tire les enseignements de cette étude. « A partir des résultats de cette recherche et de la littérature existante, on peut tirer certaines conclusions. En résumé, pour apprécier un légume, il ne faut pas en avoir peur. Du coup, plus on parle des légumes, plus on en distribue, plus on augmente la possibilité de le voir consommé et apprécié par les plus jeunes. On ne peut alors qu’être favorable aux différentes actions qui sont menées au niveau national comme l’opération “Un Fruit à la récré”, que nous pourrions bien voir s’étendre, pourquoi pas, aux crudités. Pour passer la barrière psychologique, il faudrait multiplier les occasions pour l’enfant de parfaire ses connaissances en matière de légumes et sans oublier l’aspect culinaire, qui développe le goût. » Un avis totalement partagé par David Morizet : « La culinarité est un élément très important. On a souvent tendance à croire que le goût des enfants est comme celui des adultes, avec des envies similaires. Il reste encore à développer des outils adaptés pour développer chez l’enfant des aspects sensoriels et cognitifs qui lui sont propres et casser les représentations possiblement négatives autour des légumes. Le nombre d’expositions aux produits est ici primordial. Et il n’est pas toujours pertinent de réfléchir en termes global de légumes. Mieux vaut se focaliser sur le produit lui même, cela passe mieux... » C’est au sein du groupe Bonduelle qu’à l’avenir David Morizet est appelé à poursuivre ses travaux.

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