Aller au contenu principal

Marché allemand
Les dégâts des prix bas

La branche allemande de l’association Oxfam vient de publier une radioscopie sans complaisance des filières ananas et bananes au Costa-Rica et en Equateur. Il faut bien servir outre-Rhin le consommateur amateur de prix toujours plus bas.

Ce n’est un secret pour personne. Sous la coulpe de la loi du moins disant économique, les pays producteurs font fi des droits des salariés et des petits producteurs. C’est ce qui ressort de la radioscopie des filières de la banane et de l’ananas, une étude réalisée, sans complaisance, par la branche allemande de l’association Oxfam  Oxfam International a été créé en 1995 par un groupe d’organisations non gouvernementales indépendantes. Le but est de maximiser l’impact des actions visant à réduire la pauvreté et l’injustice.. A l’amont, deux pays ont été passés au crible, l’Equateur pour la banane et le Costa Rica pour l’ananas. A l’aval, les données économiques ne concernent que le marché allemand.

En matière d’ananas, le Costa Rica pèse à lui seul plus de la moitié des exportations mondiales. Entre 1999 et 2005, les surfaces ont quadruplé pour dépasser 40 000 ha. Cette course folle a balayé les petits producteurs qui ne pèsent plus que 4 %. La filière s’est concentrée entre les mains des multinationales, de leurs filiales et des fournisseurs exclusifs.

C’est dans le Nord du pays que la progression des surfaces a été la plus rapide. Les leaders sont Piña fruit (Grupo Acon), qui livre Dole, et Banacol. Le Sud du pays est le royaume de la société Pindeco, filiale de Del Monte. Elle cultive 8 000 ha en propre sur des terrains de 14 000 ha. C’est de loin le leader avec une valeur des exportations de 165 millions de dollars. C’est trois fois plus que les filiales de Dole, Fyffes et Chiquita qui pointent derrière.

Les conditions de travail sont très dures, avec 12 heures par jour, et sans équipement… Le secteur compte 20 000 salariés fixes sur un effectif total estimé à 60 000. C’est que 60 % des employés n’ont que des contrats de deux à trois semaines non-stop durant les périodes de récolte. Ce sont essentiellement des travailleurs migrants venus du Nicaragua voisin. Ils ne touchent pas le salaire minimum qui est de 9 euros par jour. La fédération des planteurs, la Canapeb, a même obtenu l’assouplissement des lois pour l’entrée des étrangers. Leurs problèmes de santé ne font l’objet d’aucun suivi. Les conséquences à l’exposition aux pesticides qui “rongent les ongles” sont connues : allergies, maux de tête, saignements, douleurs aux membres… Des matières actives interdites en Europe (Paraquat, Bromacil, ...) sont encore utilisées. Les travailleurs costaricains qui sont contaminés sont licenciés avec trois mois de salaire pour prix de leur silence. Dans les stations, la paye se fait uniquement selon le rendement.

A deux exceptions près, cette insécurité ambiante empêche l’implantation des organisations syndicales. Les tentatives sont parfois combattues avec virulence. Chez Piña fruit, c’est le black-out et l’entrée des plantations est interdite aux représentants syndicaux. Les “Solidarismo” et autres “commissions permanentes des travailleurs” font office de syndicat maison. Des listes noires de salariés syndiqués et licenciés sont établies. Des prestataires extérieurs sont parfois embauchés pour entraver la liberté syndicale. La certification Iso 8000 qui garantit le respect du droit du travail (BIT) n’a rien changé.

La monoculture de l’ananas est aussi néfaste pour l’environnement. La litanie est bien connue : diffusion des pesticides dans l’environnement, érosion des sols, pollution des sources.

En Equateur, le réseau des producteurs s’étiole

Avec ses 14 millions de tonnes exportées, l’Equateur pèse 34 % des exportations mondiales de bananes. La progression des surfaces n’est pas terminée : estimées à 221 000 ha en 2006, elles pourraient même grimper jusqu’à 400 000 ha selon la FAO. Le réseau des 6 400 producteurs s’étiole sous les coups de butoir des leaders : 3 % des producteurs pèsent déjà plus de 30 % des surfaces. Leur part est supérieure car ils concentrent l’offre. Par exemple, Noboa possède 11 000 ha gérés par 114 entreprises, et il achète la production de 250 indépendants. Derrière Noboa pointent Dole, Favorita et Palmar. A l’exportation, la part de Noboa grimpe à 20 % devant Dole (17 %), Reybanpac (Favorita) avec 9 % et Cipal/Palmar avec 7 %.

L’implantation des syndicats est rendue difficile par la généralisation de la sous-traitance. Cela permet d’être en dessous du seuil de 30 salariés.

Les jeunes travailleurs ( à partir de 13 ans) constituent 70 % de la main-d’œuvre dans les plantations. Sur un secteur qui emploie jusqu’à 150 000 salariés, on compterait 30 000 enfants. Les salaires sont très variables : entre 35 et 45 $ (27,5 et 35,3 €) par semaine aux champs et entre 3 et 8 $ (2,3 et 6,2 €) par jour pour les femmes qui constituent le gros des bataillons des stations. Plus l’entreprise est importante, plus le salaire est bas ! Les épandages aériens ont lieu à toute heure et dix-huit pesticides dangereux sont appliqués. Des zones entières sont polluées.

Le consommateur allemand aime les prix bas

Produits en masse par les plus grosses entreprises du monde, les bananes et les ananas ont la préférence du consommateur allemand. Après le boom des nouvelles variétés douces issues du MD2, le marché de l’ananas est, comme celui de la banane, “rassasié”. Toute nouvelle pression sur les prix d’achat se fait donc aux détriments des concurrents, des fournisseurs et des travailleurs. Selon Oxfam, l’amélioration des conditions de production est aussi entre les mains des distributeurs (les cinq premières enseignes contrôlent presque 80% des ventes de bananes et d’ananas) : le commerce équitable c’est aussi de l’achat équitable.

L’Allemagne est le pays des discounters. Le nombre de magasins a progressé de 40 % en dix ans pour dépasser 15 000 points de vente. C’est devenu le premier lieu d’achat pour 56 % des Allemands, qui se définissent souvent comme des “chasseurs de Pfennig”. Cette affinité pour les prix bas n’est d’ailleurs pas liée au statut social. Une minorité de 21 % place la qualité comme premier critère au fait que les supermarchés soient en tête de leur lieu d’achat. C’est loin devant le souci de trouver des produits bio. Ces derniers sont d’ailleurs de plus en plus vendus par les hard discounters : leur part de marché a grimpé à 40 %. Ce boom a fait chuter celle des magasins spécialisés à 15 %. « Même les bananes bio, nous voulons les acheter le moins cher possible », a déclaré le responsable d’une enseigne au magazine Lebensmittel Zeitung. Depuis avril 2006, Lidl vend aussi des bananes bio. Conséquence : le prix moyen de vente au détail a baissé de 10 % en deux ans.

Oxfam met le doigt sur la centralisation croissante des achats de fruits et légumes. Dans le top 5 de la distribution, on trouve maintenant des leaders de l’importation. Le “FruchtKontor” de Edeka se réorganise pour importer en direct. Cela fait partie de la stratégie de ce groupe intégré qui consiste à maîtriser toute la chaîne logistique. Avec ses trois grosses mûrisseries, Edeka peut traiter 200 000 cartons par semaine. Il est en position d’être autosuffisant.

Rewe est un groupement d’indépendants qui compte 3 000 supermarchés et 2 000 discount Penny. Les structures d’achat des deux formes commerciales ont été disjointes. Après sa fusion avec Bocchi, Univeg s’est vu confirmer comme fournisseur de référence, sauf en banane. Du côté des enseignes de hard discount, le plus gros changement est intervenu chez Lidl. Après s’être toujours approvisionné chez les grossistes, le leader européen a changé son fusil d’épaule. Une structure d’achat centralisée a été mise en place à partir du centre de Krefeld. Les importations en direct concernent pour l’heure les produits du Sud de l’Europe. Lidl privilégie les contrats de campagne.

Aldi, l’inventeur du hard discount, avait toujours opté pour la centralisation des achats. Tout en restant jalousement indépendantes, les équipes d’acheteurs des deux entités, Aldi Nord et Aldi Sud, collaborent. Mais chaque semaine, les fournisseurs doivent lutter pour garder leur place. Le petit dernier est Metro. En 2008, la vente des 245 supermarchés Extra à Rewe lui a fait perdre 1,6 Md€ de chiffre d’affaires. Mais Metro doit financer l’expansion en Europe de l’Est de son format de prédilection, le Cash & Carry. Metro centralise les achats au sein de MGB. La contractualisation ouvre aussi la voie à l’importation directe qui atteindrait 60 % des volumes des fruits, aux détriments d’Atlanta et de Cobana.

Reflet de la culture allemande tournée vers l’organisationnel et le consensuel, Cobana est un groupement de trente-huit grossistes qui n’a pas vraiment d’équivalent en Europe. Il est de loin le leader allemand de la distribution des fruits. Il distribue entre 30 et 35 % des bananes. Mais il n’est que le troisième importateur. Comme en ananas, les deux premières places sont détenues par Dole et Del Monte. Fyffes, devenu Total Produce, et Dürbeck ferment le ban avec un million de cartons par an. Tout comme Dole, Chiquita, qui est toujours considéré comme le premier fournisseur européen, voit sa part s’éroder.

Selon Oxfam, le prix à payer pour que bananes et ananas soient vendus aux prix les plus bas possibles est avant tout humain. C’est une erreur de penser que des bas salaires et de mauvaises conditions de travail sont des conditions nécessaires pour être concurrentiel dans une économie globalisée. Les filières de l’ananas et de la banane sont en forme de champignon et non de sablier. Toute la pression sur les prix et les contraintes imposées par le haut redescendent vers le bas. Le nombre de producteurs étant de plus en plus réduit, ce sont les étages intermédiaires qui se fissurent…

Les plus lus

Changement climatique : pour Serge Zaka, « il faut sortir de la stratégie de pansement avec une vraie diversification fruitière »

Avec le changement climatique, à quoi ressemblera la France fruitière et légumière en 2050 ? Le salon Medfel, ces 24 et 25…

Les chaufferettes Wiesel commercialisées par Filpack permettent un gain de température à l'allumage supérieur à celui des bougies.
Chaufferettes contre le gel en verger : un intérêt sur les petites parcelles très gélives

Le risque de gel fait son retour sur cette deuxième quinzaine d'avril. Plusieurs entreprises proposent des convecteurs à…

Parsada : ouverture ce 12 avril d'un appel à projets porté par FranceAgriMer

Initié au printemps 2023, le Plan stratégique pour mieux anticiper le potentiel retrait européen des substances actives et le…

verger abricot Drôme - Emmanuel Sapet
En Ardèche, de fortes pertes dans les vergers d'abricotiers sont à déplorer

Des chutes physiologiques importantes de fleurs sont à déplorer dans des vergers d'abricotiers d'Ardèche, de la Drôme et de l'…

Loi Agec et emballage plastique des fruits et légumes : le Conseil d’Etat rejette le recours, Plastalliance va porter plainte devant l’UE

Suite à l’audience du 4 avril, le Conseil d’Etat a rejeté, par ordonnance du 12 avril 2024, la requête de Plastalliance aux…

La production sous grands abris, anecdotique en termes de volumes, permet de former les nouveaux cueilleurs.
« Je n’ai jamais perdu d’argent avec l’asperge »

Dans le Maine-et-Loire, Guillaume Thomas produit de l’asperge sur 16 ha. Le producteur, adhérent à Fleuron d’Anjou, apprécie…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 354€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes