Consommation
Le visage pâle de l’endive
L’endive pâtit d’une image peu valorisante auprès des consommateurs. Les ventes souffrent d’une légère régression et la production européenne est en baisse.



L’endive perd du terrain. Si le consommateur français la considère comme naturelle et pratique, et la place en quatrième position sur sa liste de légumes consommés, la production n’en est pas moins en baisse. Une diminution de 20 % en volume et de 30 % en superficie à l’échelle européenne témoigne de cette régression. Un marché en danger ? Difficile à dire… La France, par exemple, s’en sort plutôt bien. A partir de 2000, la production a diminué de 5 % mais les exportations ont presque doublé. Depuis 1996, le CTIFL suit de près le marché de l’endive.
La dernière étude sur les perceptions et attentes des distributeurs et consommateurs qui fait le point sur cette filière a été menée en 2007.
« La moindre progression des prix, ces dernières années, interroge et confirme pour le moins une situation de marché tendu », informe le CTIFL. Cependant, l’enquête réalisée auprès de la distribution et du détail ne soulève aucun changement majeur d’opinion. L’endive étant un produit standardisé et peu évolutif, les professionnels gardent, à peu de choses près, le même discours au fil des années.
Mis à part une baisse commune à tous les grossistes, les ventes sont relativement stables pour une grande majorité des professionnels rencontrés dans cette étude (dix grossistes, dix acheteurs de la grande distribution, vingt chefs de rayon). A l’origine de cette diminution des ventes, la concurrence des hypermarchés et des supermarchés. Un grand nombre de transactions échappent ainsi aux grossistes, les enseignes de la grande distribution achetant directement leurs endives dans les stations d’expédition.
Dans la série des inconvénients, la plupart des professionnels interrogés s’accordent à dire que l’endive est “un produit de vieux sans innovation”, qui souffre de l’effet des “promos” – surtout utilisées dans le hard discount – responsable d’une dévalorisation du produit aux yeux du consommateur. D’un autre côté, ils vantent l’endive comme étant un produit pratique, prêt à l’emploi, et dont le prix reste accessible pour la plupart des consommateurs. Son potentiel de séduction auprès des amateurs de chicorées n’est donc pas négligeable. Ainsi, l’endive est considérée comme un produit intéressant auprès des professionnels, et pour cause, ses atouts les concernent également. Elle appartient en effet aux légumes pouvant être placés comme les “leaders du rayon”. « Sa mise en avant permet de dégager de gros volumes », précise le CTIFL. De plus, cette culture ne souffre pas des aléas climatiques, la distribution de ce produit bénéficie donc d’une certaine sécurité.
Une endive de qualité
Les professionnels interrogés se plaignent peu des éventuels tracas rencontrés face à la qualité du produit. Si certains problèmes sont intrinsèques à la production comme l’erwinia et la pourriture, les professionnels restent philosophes et affirment que « c’est à [eux] de [s’] adapter, cela fait aussi partie de [leur] métier ».
Seule ombre au tableau, la conservation de l’endive. Dans certains lieux de distribution, les promotions sont en réalité forcées par l’état d’avancement du produit. L’endive, très sensible à la lumière, a la fâcheuse tendance de verdir en cas d’exposition trop importante. Dans ce sens, les professionnels espèrent le développement des sachets de type P + (polypropylène microperforé) qui améliorent grandement la tenue en rayon du produit.
Une distribution tributaire des cours
De plus en plus appréciées des professionnels, les endives présentées en sachet envahissent les étals. Leur arrivée marquerait donc la fin des endives servies en vrac ? Pas tout à fait. Les grossistes et les détaillants-primeurs ont encore des affinités pour ce mode de distribution plus traditionnel. D’ailleurs, les détaillants aiment à entretenir leurs différences. Non contents de se distinguer par la valorisation du vrac, ils se démarquent également de la grande distribution par leurs exigences. Ils vantent en effet les mérites de l’endive “de pleine terre”, plus traditionnelle et de qualité supérieure. Issue d’une culture artisanale (sous terre avec une couverture de paille), elle est plus dense, plus croquante, plus goûteuse, moins riche en eau, et sa tenue en rayon est supérieure à celle d’une endive classique. Bénéficiant d’une demande supérieure à l’offre, cette endive est évidemment vendue plus cher, à la satisfaction des détaillants qui n’ont pas de difficulté particulière pour se défaire de leurs stocks.
Cela ne représente malheureusement pas la situation réelle du marché. L’endive française fait face à une concurrence non négligeable, et ce à tous les niveaux de la filière, en amont comme en aval, des stations de distribution jusqu’aux points de vente. Conséquence, les cours sont en baisse depuis plusieurs années. La production d’endives s’est ainsi enfermée dans ce que l’on pourrait qualifier de cercle infernal. Prix en baisse, producteurs entraînés dans une logique de volume au détriment de la qualité, produit standardisé, prix tirés vers le bas, et on recommence.
Ce qu’en pensent les consommateurs
Menée à partir de deux groupes à Paris et à Lyon sur la base de cours de cuisine, ainsi que sur un échantillon de 1 000 personnes, l’enquête du CTIFL fait également le point sur les perceptions et pratiques des consommateurs.
Notons que les acheteurs d’endives ne représentent que 86 % des personnes interrogées. Autrefois présente dans les rayons exclusivement en hiver, l’endive garnit les étals depuis plusieurs années au printemps comme en été, et on l’apprécie de plus en plus en salade. Cependant, elle marque toujours l’arrivée de la saison froide dans les esprits des consommateurs, associée à des plats chauds comme l’endive au jambon ou à la béchamel. Ainsi, c’est pour la plupart un légume de saison, naturel et prêt à l’emploi, aussi bon cru que cuit. Malheureusement pour l’endive, l’image qu’en ont les consommateurs ne s’arrête pas là. Légume amer, banal – voire triste – pas du tout moderne et enfin, si cela a un sens, “un légume de femme”. L’endive ne s’octroie donc pas les faveurs de tous, et les personnes âgées de 18 à 35 ans y sont plutôt indifférentes.
L’endive face à l’indifférence
Les critères d’achat des consommateurs sont la sécurité, la santé, le plaisir et, bien sûr, le prix. S’ils considèrent l’endive comme un produit bon marché, les ventes n’en ont pas moins diminué depuis 1996, même si le taux de satisfaction, lui, reste stable. Toutefois, le prix n’est pas forcément rédhibitoire aux yeux des consommateurs. Environ 50 % de la population étant des mangeurs réguliers d’endive, le challenge des producteurs et des professionnels serait plutôt de reconquérir les personnes un peu plus réfractaires à ce légume, soit les dégustateurs d’endive qualifiés d’“occasionnels” (27 % de la population) et de “faibles” (22 % de la population) par le CTIFL.
Conscients de la praticité de l’endive, c’est plus par manque d’intérêt qu’ils se refusent à l’acheter et à la cuisiner.
D’ailleurs, concernant les opérations menées pour regagner les faveurs de la population, le développement des endives préemballées a séduit bon nombre de consommateurs, elles représentent aujourd’hui 70 % des quantités achetées. L’endive vendue en vrac se fait de plus en plus rare, mais les férus d’endive restent tout de même soucieux de leur production de déchets et préfèrent les gros sachets (1 à 2 kg) à ceux de 500 g, dans une optique de limitation des emballages. Ceux qui s’intéressent au mode de production apprécient d’ailleurs que la culture de l’endive se fasse dans le respect de l’environnement, même si la plupart des consommateurs ne connaissent ni son origine, ni la façon dont elle est produite.
« L’endive souffre manifestement d’un déficit d’utilisation “dans l’air du temps” ». Pas si faux, au vu des résultats en baisse de l’Europe. L’affolement n’est cependant pas de mise, la situation n’est pas encore parvenue à inquiéter les professionnels. « Sa praticité doit être rappelée, son adéquation aux nouvelles mœurs alimentaires mise au goût du jour. S’ils ne le formulent pas spontanément les consommateurs sont toutefois ouverts à toute suggestion permettant de varier les repas », indique le CTIFL.
Alors ce qu’il faut peut-être à l’endive, c’est un peu de communication. A défaut d’avoir pu profiter de la notoriété de “Bienvenue chez les ch’tis” – comme le Maroilles –, l’actuelle campagne télévisée d’Endives de France montre que la profession sait se mobiliser.