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Le ras-le-bol des vols sur les exploitations agricoles

Le vol sur les exploitations est devenu un vrai fléau face auquel les agriculteurs se sentent impuissants et souvent abandonnés. En 2014, un plan d’action national de sécurisation des exploitations a été lancé. Etat des lieux quatre ans plus tard…

Certaines exploitations ont équipé leurs bâtiments et hangars de vidéosurveillance. La réglementation oblige à les signaler.
© B. Bonnet

Entre 2009 et 2014, le nombre d’infractions constatées dans les exploitations agricoles sur l’ensemble du territoire français n’a cessé d’augmenter. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le chiffre record de 11 700 vols sur 12 mois était enregistré en juillet 2014. En décembre 2013, la FNSEA alertait le ministre de l’Intérieur face à la recrudescence des vols et des dégradations en milieu rural. Tout en reconnaissant le travail difficile de la police et de la gendarmerie, l'ancien président Xavier Beulin déplorait alors une raréfaction des rondes de prévention en milieu rural et un trop grand nombre d’enquêtes abandonnées. Compte tenu de l’urgence de la situation, dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur, la FNSEA demandait de passer à la vitesse supérieure.

Un plan d’action national « Sécurité » lancé en 2014

En réponse à cet appel, un plan d’action national dédié à la sécurité des exploitations a été lancé conjointement par les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture et décliné en plans départementaux autour de trois volets : la prévention, la protection et l’intervention. Outre le renforcement de la présence dissuasive des forces de gendarmerie sur le terrain, d’importants moyens d’enquête ont été mobilisés. Dans chaque département, un référent a été désigné au sein des groupements de gendarmerie afin de recueillir les témoignages ou les craintes des exploitants. La formalisation de cette nouvelle coopération a donné lieu à la signature d’une convention entre la DGGN et la FNSEA en mars 2014. Par ailleurs, le gouvernement a souhaité développer des moyens d’enquête spécialisés face aux structures criminelles organisées. Selon l’ONDRP, ces mesures auraient porté leurs fruits au regard d’une criminalité en recul constant depuis 2014. Un constat qui ne ressort pas forcément lorsqu’on interroge les agriculteurs.

Des vols souvent d’opportunité

« Les vols dans les exploitations sont devenus un sujet important car, depuis plusieurs années, l’insécurité ne se cantonne plus uniquement dans les villes mais est arrivée dans le monde rural où les forces de l’ordre y sont moins présentes. Cela crée un vrai malaise », indique Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA. Quatre ans après le lancement du plan, force est de constater que les agriculteurs ont été entendus même si le bilan reste mitigé. « L’intervention de gendarmes dans des réunions agricoles et la nomination de gendarmes référents ont permis de créer des liens. Je salue cette prise de conscience et l’implication des forces de l’ordre à nos côtés mais cela ne suffit pas. Il y a une diminution en nombre des vols mais pas forcément en valeur », poursuit Luc Smessaert. En effet, la mise en place de réseaux d’échanges d’informations vers les agriculteurs via les alertes SMS et les préconisations en matière de sécurisation des exploitations ont permis de réduire sensiblement les actes de délinquance. Mais tout n’est pas réglé pour autant. Aux quatre coins de la France, les vols souvent d’opportunité sont encore nombreux. Les objets les plus convoités sont ceux qui se trouvent dans des lieux ouverts ou peu sécurisés, avec parfois des quantités importantes destinées à la revente. Les producteurs des fruits et légumes sont particulièrement touchés comme en attestent les nombreux articles faisant la Une de la presse départementale. En octobre 2018, Serge Tardy, producteur de fruits, de noix et de légumes à La Buissière (38) déplorait un pillage généralisé dans ses vergers. « Si cela a toujours existé, le phénomène s’est amplifié depuis cinq ou six ans », témoignait-il dans les colonnes de Terre Dauphinoise. Dans la revue 78 Actu, c’est Jean-Claude Guehennec, agriculteur au Mesnill-le-Roi, qui a été visé. 500 kg de pommes de terre lui ont été dérobés. Le matériel d’irrigation, l’outillage, le carburant… et les petits matériels sont aussi très souvent visés. On recense également des vols plus spécifiques alimentant des réseaux criminels organisés tels que ceux d’engins agricoles, de GPS et leurs équipements ou encore de produits phytosanitaires. « Dans tous les cas, quelle que soit la nature du vol ou de la dégradation, les agriculteurs doivent déposer systématiquement plainte en vue d’aider à l’élucidation des affaires. Nous les appelons à ne surtout jamais chercher à faire justice eux-mêmes », insiste Luc Smessaert.

Et des vols organisés

En Seine-et-Marne, pas moins de 50 exploitations céréalières et maraîchères ont été concernées par des vols de GPS et leurs équipements depuis le début de cette année dont huit en une seule nuit. « Ces vols ont débuté il y a un an environ et ne cessent d’augmenter depuis six mois. Le préjudice subi par les agriculteurs peut aller de 3 000 € pour le vol d’un GPS à plus de 10 000 € lorsqu’ils dérobent également les équipements associés. Quant aux vols de carburants, nous n’en parlons même plus ! », se désole Stéphane Dupuis de la FDSEA 77. Et pourtant, pas moins 50 000 SMS ont été envoyés par la gendarmerie en trois ans en Seine-et-Marne. Ils ont été envoyés sur des zonages précis regroupant quelques cantons ou sur tout le département dans le cadre du plan départemental de sécurité. « Nous travaillons en étroite collaboration avec la gendarmerie qui a déployé 26 référents sur le territoire. Des rendez-vous collectifs mais aussi personnalisés sont organisés en vue d’aider les agriculteurs à mieux sécuriser leurs exploitations », poursuit-il. Des mesures nécessaires mais pas suffisantes. « Des antennes GPS ont été retrouvées en Belgique. Nous sommes face à des réseaux de criminalité organisés », poursuit-il. D’autres grandes affaires faisant assez régulièrement la Une de la presse concernent les vols de produits phytosanitaires dont nombre d’exploitations arboricoles et maraîchères font actuellement les frais dans le Sud-est de la France.

« Quelle que soit l’importance du vol ou de la dégradation, les agriculteurs doivent systématiquement déposer plainte en vue d’aider à l’élucidation des affaires. Nous les appelons à ne surtout jamais chercher à faire justice eux-mêmes », indique Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA

En pratique

Pour déposer plainte ou réaliser le signalement d’un fait inhabituel ou d’une personne suspecte, composer le 17 ou appeler la brigade de gendarmerie locale

Préserver les traces et indices avant l’arrivée des enquêteurs pour ne pas souiller la scène de vols ou de dégradations et perturber les éléments d’enquête

Prévention des vols, du bon sens avant tout

Une étude faite en Ille-et-Vilaine a montré que 30 % des méfaits sont commis dans des locaux ouverts non verrouillés. Aussi, la gendarmerie d’Ille-et-Vilaine organise régulièrement des réunions de sensibilisation, des journées de formation et des consultations Sûreté des exploitations en lien avec la Chambre d’agriculture départementale. « L’objectif vise à rappeler aux agriculteurs les mesures de prévention à mettre en œuvre en vue de sécuriser au mieux leur exploitation. Il s’agit la plupart du temps de mesures de bon sens, souvent oubliées », explique le lieutenant Yvan Leroux de la gendarmerie de Montfort-sur-Meu (35). « Pour lutter contre les intrusions de voleurs, il faut leur compliquer l’accès pour les obliger à déployer plus d’efforts. En augmentant leur présence sur les lieux, le risque d’être détecté s’accroît », poursuit-il. Cela passe par la limitation du nombre de voies d’accès aux bâtiments, l’installation de haies défensives, de barrières et de portails à l’entrée de la propriété… Des systèmes de détection de mouvements avec éclairage, d’alarmes connectées, de caméras peuvent aussi être conseillés. A noter que la vidéo-surveillance nécessite au préalable une déclaration à la CNIL, voire une autorisation préfectorale lorsqu’elle est installée dans un lieu destiné à accueillir du public. Des consultations Sûreté de l’exploitation sont également proposées gratuitement par les gendarmeries en vue de réaliser un diagnostic et proposer des mesures de prévention personnalisées. Pour plus d’informations, consulter le site www.referentsurete.com.

D’autres initiatives se développent partout en France comme c’est le cas dans le Gard où le réseau « Alerte Agri » a vu le jour en 2015. « En lien avec la profession agricole, le procureur de la République a engagé un plan de sécurisation des exploitations. Cela a, entre autres, conduit à la désignation de deux à quatre référents par brigade de gendarmerie », indique Lionel Puech, ex-responsable syndical.

Des ruches équipées de GPS traceurs contre le vol

Depuis plusieurs années, le changement climatique et divers autres facteurs (traitements phytosanitaires, prédateurs…) ont entraîné une forte diminution du cheptel d’abeilles. « Du fait de la raréfaction des essaims liée à un taux de mortalité ayant atteint 30 % du cheptel français, les apiculteurs sont confrontés à des vols de plus en plus massifs. C’est ce qui nous a conduits à leur proposer la solution BeeGuard 2 en 1 », indique Christian Lubat, dirigeant de la jeune start-up toulousaine BeeGuard. Grâce à un petit boîtier GPS équipé de traceurs installé dans la ruche, ce dispositif permet non seulement la collecte de données utiles au suivi de l’activité de la ruche mais aussi sa géolocalisation. Dans le cas de déplacement des ruches, une alerte est envoyée sur le portable de l’apiculteur dès le premier mouvement. Grâce aux traceurs, cette solution a d’ores et déjà permis à certains des 2 000 apiculteurs équipés de retrouver leurs ruches. Une solution efficace qui ouvre le champ des possibles…

Produits phytosanitaires, un réseau criminel roumain démantelé

Le 28 novembre 2017, un réseau criminel organisé composé de onze malfaiteurs d’origine roumaine a été neutralisé. Responsables de vols de produits phytosanitaires dans le Nord, l’Ouest et l’Est de la France (principalement en Alsace), pour un préjudice total de près d’1 M€, ils ont été interpellés par la police roumaine dans leur pays mais également en Allemagne et en Belgique, avec l’appui de l’agence Europol. Ils ont été extradés et incarcérés en France dans l’attente de leur jugement.

« Nous sommes en présence d’un réseau très spécialisé dans le vol de produits phytosanitaires en grande quantité qui utilisait des circuits parallèles de revente en Roumanie. Il s’agissait d’une véritable entreprise criminelle très organisée », explique le colonel François Despres, chef de la Section de Recherches de Strasbourg. Volés la plupart du temps dans les locaux de structures d’approvisionnement, les produits phytosanitaires étaient acheminés en Roumanie pour être revendus sur des marchés parallèles à des agriculteurs locaux. « Il faut avoir à l’esprit que ces marchés se développent dans les pays où l’activité agricole est en forte croissance. Les groupes qui sévissent sont composés de vrais professionnels dans les filières ciblées », poursuit-il.

Initiée en mars 2017 par le TGI de Colmar, l’affaire « Phyto 67-68 » a mobilisé cinq enquêteurs français permanents et a pu aboutir grâce à la coopération européenne. « Nous avons beaucoup travaillé avec Europol, les polices allemandes, belges et roumaines. Depuis avril 2017, j’étais en contact avec la police roumaine qui a été très active dans le démantèlement de cette affaire. Sans cette coopération européenne, l’affaire n’aurait pas pu être résolue », tient à rajouter le colonel Despres.

Le dépôt de plainte, un élément clé

Un autre élément est primordial pour le chef de la Section de Recherches de Strasbourg. « La résolution d’une enquête résulte d’un ensemble d’éléments. C’est aussi à partir de signaux faibles que nous communiquent les unités de gendarmerie territoriales que nous avançons dans la résolution des affaires. Il est crucial que les agriculteurs déposent plainte lorsqu’ils sont confrontés à des vols même jugés minimes », explique-t-il.

Un conseil auquel des arboriculteurs drômois vont être sensibles. Depuis deux ou trois ans, nombre d’entre eux sont victimes de vols récurrents de produits phytosanitaires sur leurs exploitations. Bruno Darnaud est l’un d’entre eux. Localisé à Laroche de Glun, il a subi pas moins de trois vols en deux ans, deux en 2017 et un en 2018. « Depuis 2015, j’en suis à mon 5e vol dans des locaux pourtant difficiles d’accès. Désormais, je ne stocke plus de produits chez moi », explique l’arboriculteur résigné mais certain d’être victime d’un réseau de criminalité organisé.

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