Marc Spielrein, ancien président de la Semmaris
Le protecteur du marché de Rungis
Marc Spielrein a quitté récemment la présidence de la Semmaris après dix-huit années à la tête du marché de Rungis. Il a accepté pour fld de revenir sur son expérience et ses combats pour agrandir le marché, le redynamiser et rétablir son image.


Le parcours professionnel de Marc Spielrein a été partagé entre le service de l’Etat et l’entreprise : Hôpitaux de Paris, Direction de la prévision au ministère des Finances, différents cabinets ministériels (Santé, Intérieur, Condition féminine), d’une part ; Fougerolles Coignet, directeur de la stratégie chez Spie Batignolles ou encore Serete dont il est directeur général en 1994 avant de prendre le poste de PDG de la Semmaris, d’autre part. « On n’est jamais vraiment candidat à un tel poste mais on peut s’y intéresser, remarque Marc Spielrein. Le reste relève de la décision régalienne. Ma double expérience était adaptée pour une société d’économie mixte (Sem), dont la mission est d’assurer une mission de service public. De plus, j’avais eu l’occasion de croiser Libert Bou ou encore Michel Giraud, à l’Intérieur et Yann Menguy à la Datar, tous trois ayant été PDG de la Semmaris, donc la maison ne m’était pas inconnue. »
« Ce qui m’a tout de suite marqué à mon arrivée, c’est la qualité des entreprises présentes et de leurs dirigeants. Sur un espace restreint, plus d’un millier de sociétés assuraient une performance économique remarquable. Le marché avait été créé en 1969 et 1972 pour les produits carnés et aucun investissement significatif n’avait été mené depuis lors. Ce qui n’est pas blâmable en soi. Mais, l’outil de travail, flambant neuf à ses débuts, avait une vingtaine d’années et il commençait à vieillir. Autre constat à mon arrivée : la forte dégradation de la situation financière de la Semmaris, qui avait enregistré perte sur perte pendant vingt-cinq ans. Ma dernière découverte a été le doute qui existait quant à la pérennité du marché, dans une époque où la grande distribution prenait de plus en plus d’ampleur. Combien de fois ne m’a-t-on pas demandé à l’époque si je n’avais pas été nommé uniquement pour fermer le marché ? Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » C’est finalement autour de ces constats que s’est bâtie la mission du nouveau PDG de la Semmaris, même si celui-ci n’accepte pas vraiment le terme : « Il y avait d’abord une urgence : le rétablissement du compte de résultats de la Semmaris. Cela est passé, entre autres, par une remise à plat des relations avec nos fournisseurs. L’entreprise était trop souvent subordonnée à ces derniers, au travers de contrats qui ne donnaient pas satisfaction. Ceci demande un effort continu mais nous avons pu enregistrer rapidement des résultats. Aujourd’hui, les fonds propres de la Sem dépassent les 70 ME après distribution des dividendes. Et je me permets de rappeler qu’à mon arrivée, il était négatif de 6 M€. »
Dix-huit ans de développement
La modernisation de l’outil de travail a été aussi un engagement constant de la Semmaris durant ces années : entre 1995 et 2012, 400 M€ ont ainsi été investis. Par exemple, pour faire face aux deux crises de l’ESB qui ont entraîné un durcissement des réglementations en termes d’hygiène alimentaire. « Heureusement que nous avions commencé le travail avant ces deux crises, se souvient Marc Spielrein. Autrement, j’ai bien peur que nous aurions été emportés par elles ». Cette période va aussi permettre de réviser profondément la clé de répartition financière pour les travaux de modernisation des bâtiments. « La règle qui prévalait jusqu’alors, c’était celle des trois tiers : un tiers pour l’organisme gestionnaire, un tiers pour les grossistes, et le reste sous forme de subvention. Cela ne convenait plus à une époque où les aides publiques tendaient à disparaître. L’idée a été de rechercher en premier lieu une rentabilité suffisante pour l’investissement engagé par la Semmaris puis de vérifier que cela soit tout aussi rentable pour les grossistes. En fait, nous sommes passés d’une approche budgétaire à une approche d’entreprise. » Les nouveaux chantiers qui ont ponctué ces dix-huit dernières années ont été menés de la même manière et, en premier lieu, l’extension du marché sur la zone EuroDelta : « Le marché disposait là d’une réserve foncière intéressante de 12 ha, non valorisée jusqu’alors. Au début, relancer le projet d’extension s’est heurté à un certain scepticisme voire à un fort doute, se souvient Marc Spielrein. Les opérateurs s’inquiétaient d’une éventuelle concurrence s’installant à leurs portes. Aujourd’hui, cela n’a plus cours avec cette zone entièrement louée à des entreprises de tout premier plan – SDV, Univeg pour ne citer qu’eux –, qui ne concurrencent pas les grossistes mais apportent au marché une complémentarité des services pour sa clientèle. C’est ici le modèle économique du marché : favoriser les synergies entre les différents acteurs commerciaux de Rungis. »
Rungis dans le monde
Une des caractéristiques de la mandature de Marc Spielrein a été l’internationalisation des activités de la Semmaris. Une cellule dédiée à l’ingénierie internationale existait déjà et une des premières tâches a été « de faire que l’intervention de la Semmaris sur certains projets extérieurs soit effectivement payée... Ensuite, nous sommes progressivement montés en compétence tout en assurant le transfert générationnel au sein du service. Il a fallu aussi définir des méthodes de travail. J’ai pu ainsi apporter mon expérience issue de mon parcours professionnel. » L’ingénierie à l’international s’est concentrée sur les pays émergents : « La Chine a été un terrain propice. C’est un pays aux productions multiples, à la culture gastronomique forte mais dont le système de distribution laisse encore à désirer. Les autorités chinoises ont conscience de ces lacunes et la ferme volonté d’y remédier. Nous avons eu des contacts qualifiés sur place et travaillé sur les aspects logistiques et de sécurité alimentaire. Au contraire, l’Inde est un marché plus difficile, à cause du statut fédéral du pays et d’une perception de l’alimentation, fortement empreint de religion. En Russie, nous travaillons essentiellement sur Moscou et, depuis neuf mois, avec un investisseur privé pour la création d’un marché au sud de la capitale russe. »
La réaction de l’actionnariat de la Semmaris a été diverse : pour Marc Spielrein, les grossistes ont compris l’intérêt de la démarche (ils ont peu ou prou une activité internationale, en sourcing ou en export) tout comme les Pouvoirs publics. Les réticences sont plutôt venues de l’actionnaire privé. « Opérateur régional, Altarea a plus considéré le risque lié à l’internationalisation que l’opportunité offerte. Pourtant, dans une entreprise, si vous voulez réaliser des profits, il faut savoir aussi accepter certains risques, pour justifier, justement, ceux-ci. C’est la capacité d’initiative d’une entreprise qui permet cela. Sinon, il ne s’agit que d’une rente de situation, ce qui ne serait pas acceptable », analyse-t-il en rappelant qu’entre 2001 et 2012, la Semmaris a versé 19 M€ de dividendes à son actionnariat.
Des investissements consistants
L’arrivée de la foncière Altarea, à hauteur de 33,34 % du capital social, en 2007 a été un événement majeur avec un « effet excellent sur le bilan de l’entreprise, reconnaît Marc Spielrein. L’actionnariat s’en trouvait équilibré entre Etat, collectivités et grossistes et un opérateur privé. Et surtout, les 27 M€ de dettes de la Semmaris se sont transformés en fonds propres, ce qui a offert de nouveaux moyens pour le développement du marché. » Ce qui s’est traduit dans les faits par deux plans stratégiques, dont le dernier, débuté cette année, court jusqu’en 2016 impliquant environ 40 M€ d’investissements chaque année. Les années 2000, ce sont aussi la première installation de Metro Cash & Carry dans Paris intra-muros et la réforme du statut des Min remettant en cause le périmètre de protection rebaptisé “de référence” des marchés. Marc Spielrein ne cache pas son étonnement : « Cela ne pouvait pas être accepté par les grossistes du marché. Par les textes de 2003, le périmètre de référence était maintenu jusqu’en 2034. Pourquoi l’Etat, après s’être ainsi engagé, décidait de faire le contraire, et laisser un concurrent direct s’installer dans le périmètre ? C’était une question de contrat de confiance. S’en est suivi un débat au Parlement totalement contre-productif où s’est exercé un lobby parlementaire regrettable. Tout ceci n’est qu’une mauvaise querelle qui n’a enrichi personne. Mais, je ne pense pas que le sujet reviendra sur le tapis, ce dont je me réjouis. »
Libre de ses obligations vis-à-vis de la Semmaris, et se proposant d’apporter son expérience de dix-huit ans de gestion du premier marché de gros mondial comme consultant, Marc Spielrein peut désigner les défis que Rungis aura à relever à l’avenir. « La question de la durée de la concession du domaine public demeurera : il faudra trouver une solution afin que celle-ci corresponde à l’amortissement des investissements faits sur le marché. Une programmation dynamique d’investissements sera aussi nécessaire. Enfin, le marché devra aussi penser à son extension foncière avec comme objectif à 2020, de créer une deuxième zone EuroDelta, certainement sur la zone Senia tout proche. »