Exotiques
Le “mûr à point” demeure un marché de niche
Avec le mûrissage, les exotiques se sont généralisés. Si les fruits affinés sont désormais la norme, le “mûr à point” reste un marché premium.








Le marché des fruits tropicaux s'est fortement développé ces dernières années et le consommateur, sensible à l'achat d'impulsion, met davantage l'accent sur un produit gustatif et mûr, ce qui a été rendu possible par l'affinage des fruits climactériques (avocat, banane, mangue, kiwi, poire, pêche nectarine...). Ces fruits continuent de mûrir après récolte suite à un accroissement important de leur respiration et une synthèse d'éthylène juste avant de mûrir. L'affinage consiste donc à reproduire artificiellement ce qui se passe dans la nature : en injectant de l'éthylène dans une chambre hermétique, associé à une température et une hygrométrie contrôlées, on accélère l'évolution du fruit vers sa pleine maturité. « C'est la corrélation entre ces trois paramètres qui assure un travail de qualité et un produit sublimé », souligne Cyril Rouvière, responsable des ventes chez Kissao, importateur spécialiste du mûrissage de la mangue. Les fruits non climactériques (ananas, agrumes…) arrivent déjà mûrs (la qualité gustative est définie à la coupe) et la commercialisation doit se faire quasiment en flux tendu.
Chez AZ France, qui fournit l'ensemble des enseignes françaises, à part pour la banane, le processus de mûrissage se fait sans éthylène. Avocats, poires et kiwis sont concernés. « On joue sur la température, dans une chambre dans laquelle la ventilation est forcée pour garantir la plus forte homogénéité possible, explique Denis Ravanas, responsable qualité du groupe AZ France. On ne manipule pas la concentration en O2 et CO2 sauf lors du transport de fruits d'Amérique du Sud ou d'Afrique du Sud (conteneurs en atmosphère contrôlée). Le coût du mûrissage est difficile à établir de manière fiable. Il varie en fonction du produit, de la saison et des exigences clients. » Chez Anecoop, premier producteur européen de kakis, ces derniers sont mûris en chambre froide pour enlever l'astringence tout en conservant leur fermeté. « Le procédé, technique, réclame chaleur et hygrométrie. On enlève l'oxygène de l'air que l'on sature en dioxyde de carbone. La totalité des volumes de kaki Persimon est affinée », explique Jean-Luc Anglès, directeur commercial de Anecoop France. La qualité du travail de mûrissage ne peut se couper d'un gros travail en amont. « Nous ne travaillons que les variétés de mangues dites nobles comme la Kent, la Keith, la Maya, la Shelly…, souligne Cyril Rouvière. Il y a dix ans, les “belles” variétés à robe rouge comme la Tommy Atkins avaient le monopole des ventes en Europe malgré des qualités gustatives limitées. Le développement du dossier affiné a donc poussé les producteurs à s'adapter à la demande de ces variétés nobles. Mais la variété ne suffit pas et la qualité du travail de production est aussi importante. En tant que spécialiste et pionnier sur le dossier, Kissao a su rechercher et s'appuyer sur les meilleurs producteurs, qui respectent le temps de maturation interne du fruit pour fournir un bon produit de qualité affinable. » Coupée trop tôt (coupe blanche), une mangue n'aura pas eu le temps d'acquérir sa capacité à mûrir.
Proposer différents stades de maturité
Différents outils permettent de maîtriser et de proposer différents stades de maturité adaptés aux contraintes logistiques des clients : l'échelle colorimétrique pour la banane ou la mesure de fermeté pour l'avocat. Par exemple, pour un avocat décollé (pré-mûri), l'indice de pénétrométrie se situe entre 3 et 6 pour un embout de 0,28 cm2 et entre 0,5 et 2 pour un fruit mûr à point. « AZ vient de s'équiper d'une machine Sinclair pour effectuer des mesures de fermeté par résonance acoustique, ajoute Denis Ravanas. Cet important investissement présente un double avantage : c'est une méthode non destructrice et qui permet de contrôler tous les fruits un à un, en ligne. » AZ réalise aussi des prestations de service pour le mûrissage de banane. « Les GMS nous fournissent des volumes que nous faisons mûrir à façon. Nous l'avons fait longtemps en mangue pour une grande enseigne. » Chez Banagrumes, on affine les fruits à façon pour les clients. 35 % des volumes sont affinés, et ce secteur est en développement. « Nous pouvons fournir à nos clients, principalement des grossistes et détaillants primeurs, une maturité spécifique, explique Hélène Alarcon, directrice générale. Nous en avons fait notre marque de fabrique. » Aujourd'hui, clients et consommateurs semblent plébisciter le segment des fruits mûris. Au Cora Amphion (Rhône-Alpes), le “mûr à point” est disponible en pêche et nectarine (fruits mûris sur l'arbre, présentés en barquette 4 fruits à la marque Cora Dégustation), en avocat et en mangue. « Le “mûr à point” en avocat monte en puissance, précise François Degiron, chef produits frais et traditionnels. Pour favoriser les achats non programmés, nous avons mis en place une tête de gondole avec une segmentation en Hass : filet 1er prix, vrac et surtout la “barquette “mûr à point” 2 avocats calibre 14”. En six mois les volumes de cette dernière ont doublé ! Nos clients sont très demandeurs. Mais le “mûr à point” reste un marché haut de gamme donc de niche. »
Un succès auprès des chefs de rayon des GMS
Chez Kissao, on mûrit la mangue depuis 2005 et les ventes ont progressé chaque année sans communication particulière sur le fruit. « Deux aspects peuvent expliquer ce succès, expose Cyril Rouvière. D'une part, le consommateur a l'assurance d'acheter un fruit sain, qui évoluera bien chez lui et qu'il pourra consommer sous deux-trois jours. Il est donc satisfait et rede-vient plus rapidement un acheteur potentiel. D'autre part, le distributeur trouve son intérêt en augmentant la qualité produit dans son rayon. En effet, le mûrissage, en accélérant le processus naturel, révèle les problèmes que certains fruits auraient pu développer (la mangue est très sensible aux maladies, notamment l'anthracnose) et donc d'écarter ces fruits des préparations de commande. Le distributeur paye plus cher mais au final la diminution des écarts en rayon rend l'opération plus rentable pour le magasin. » Discours que confirme Denis Ravanas. L'ensemble des bananes et des poires fournies par AZ France sont mûries tandis qu'en kiwi et avocat, 60 à 70 % des fruits sont affinés, 15 à 20 % mûrs à point et 15 à 20 % laissés verts (pour le 1er prix ou les clients qui affinent eux-mêmes). « En avocat, le standard (vert) et le “mûr à point” existent depuis longtemps mais depuis cinq ans se développe l'avocat intermédiaire, le décollé », souligne Denis Ravanas. Chez Kissao, depuis trois ans, la part de l'affiné dépasse 85 % des ventes et le ratio continue de se creuser avec les ventes en dur ou en vert. « Aujourd'hui le dossier s'est élargi. Nous produisons de la mangue affinée en colis d'origine, mais aussi sous marque propre aux distributeurs ou stickée à l'unité. Nous avons développé avec nos partenaires distributeurs des cahiers des charges stricts », précise Cyril Rouvière.
Special Fruit a franchi le cap de la papaye et de l'exportation
D'autres pistes, comme la papaye, sont étudiées pour dupliquer le succès de l'avocat ou de la mangue. « La papaye est un exotique qui parle à tout le monde, même si elle est souvent méconnue en termes de goût, expose Cyril Rouvière. Les ventes ne décollent pas pour les mêmes raisons que la mangue il y a dix ans, avec des variétés dont les qualités gustatives sont faibles. Je pense que le mûrissage de la papaye pourra apporter une plus-value, en amenant les importateurs vers des variétés plus gustatives comme la Golden ou la Formosa. Mais il reste un long chemin à faire… Chez Kissao, nous avons eu quelques demandes pour l'affinage de la papaye. Pour l'instant, nous nous concentrons sur notre développement en mangue mais nous y réfléchissons activement pour l'avenir. » L'entreprise belge Special Fruit, 130 M€ de chiffre d'affaires, s'est lancée dès 2006 dans le “mûr à point” avec la mangue et l'avocat et a ajouté la papaye dans son segment Ready to Eat (prêt à consommer). L'entreprise dispose de douze chambres de mûrissage à l'éthylène dont quelques-unes peuvent aussi servir de chambre ULO. Aujourd'hui, la grande majorité des volumes de mangues et d'avocats sont vendus en Ready to Eat (80 % pour les mangues). Principalement destiné aux supermarchés de toute l'Europe, ce segment est particulièrement demandé au Benelux, en France et en Scandinavie. « Ready to Eat a pris de l'importance car les consommateurs ne veulent pas attendre que leurs fruits mûrissent tandis que les commerçants préfèrent exploiter autrement le peu d'espace dont ils disposent », souligne Ben Maes, directeur des Achats de Special Fruit. La part du volume vendu en Ready to Eat progresse chaque année, et si l'entreprise ne prévoit pas de nouveau développement ou investissement à court terme dans ce segment, elle table en revanche sur une croissance annuelle.