Méditerranée
Le Maroc damne le pion à l’Espagne
Les régions du Souss-Massa-Drâa et Marrakech-Tensift-El-Haouz regroupent les productions de melons précoces des sociétés Chiron et Force Sud.


Avec 48 % des parts de marché sur le créneau hivernal, le Maroc a largement devancé l’Espagne qui ne maîtrise que 23 % des PDM. L’origine et la nouvelle concurrence, longtemps critiquées, sont aujourd’hui un passage obligatoire pour les entreprises de production de melons. Car elle offre des opportunités de développement. Fatima El Hadad Gauthier, du CIHEAM, qui est intervenue à Agadir en décembre lors d’une réunion du groupe de contact melon, l’explique de plusieurs raisons : complémentarité de gammes et de calendriers entre différentes zones de production, élargissement des débouchés, création de valeur et amélioration de la compétitivité, notamment par une meilleure rentabilisation des unités de conditionnement et les structures de commercialisation en France, transferts de compétences techniques et partage de savoir-faire. Et les entreprises françaises installées au Maroc ne manquent ni de projets ni de réalisations et se préparent à une campagne plus précoce.
Recentrage sur le Maroc
« J’avais raté l’Espagne, je ne pouvais pas me permettre de rater le Maroc, explique Bernard Chiron installé depuis deux ans à Guelmin à 250 km au Sud d’Agadir. L’idée de départ était de commercialiser au mois de mai autre chose que du melon local de serres chauffées. Pour ne pas risquer une rupture de clientèle, je me suis d’abord installé comme expéditeur à Marrakech mais les conditions climatiques incertaines, la pression foncière qui rend difficile la location de terres pour assurer les rotations, m’ont obligé d’en partir en 2008. J’ai alors regardé plus au Sud avant de fixer mon choix avec mon associé producteur à Guelmin, avec lequel nous définissons collectivement les plannings de production, les choix variétaux, la mise en place des cultures tests, etc. » C’est ainsi qu’est née la société “Les portes du Sahara” dont Bernard Chiron assure la commercialisation de la récolte qui devrait se situer cette saison autour de 1 200 t. Une ferme de 40 ha a d’abord été louée à laquelle s’ajoute pour cette année une seconde ferme qui porte la réserve foncière à 80 ha (63 ha en production sont dès cette saison consacrés au melon). Entre mars et mai, ils sont produits sous serres canariennes ou en plein champ mais avec « l’idée de couvrir le maximum de surfaces. » Des forages et des puits, des bassins de rétention ont été installés. « Il faut s’adapter à la salinité de l’eau. C’est pointu et très technique. » La ferme comporte également une station de conditionnement dotée de quatre chambres froides d’une capacité de 100 palettes, soit quatre camions. Néanmoins le conditionnement final et surtout le scannage et le contrôle qualité garantie continueront d’être réalisés à Chaval Blanc. L’augmentation des surfaces ouvre de nouvelles possibilités dont celle de la diversification variétale et des cultures. « Nous mettons en place des essais de Galia qualité garantie. C’est une opportunité intéressante car cueilli à maturité, le Galia est un melon goûteux et odorant. »
Une idée en entraînant une autre, Bernard Chiron réalise également des essais de cultures d’asperges vertes (entre autres) pour assurer une rotation et le nettoyage des sols après le melon. Enfin, l’entreprise “Les portes du Sahara” disposera de ses propres marques commerciales : Green Class pour le Charentais vert et l’asperge, Red Class pour le Charentais jaune, correspondant à la marque L’Accent, et enfin Yellow Class pour le Galia.
Bernard Chiron recentre donc son activité sur le Maroc. « Je n’ai plus qu’un partenariat occasionnel avec la République dominicaine et les Antilles, en fonction des demandes des clients. » Bernard Chiron s’est également penché sur la logistique. « Le transport ne sera pas du tout camion. Dès cette campagne, nous testerons le transport mixte à partir d’Agadir vers les ports de Barcelone ou de Sète, ce qui devrait limiter le coût de la logistique. Mais pour débuter, nous ne nous lancerons pas à 100 % dans ce nouveau mode de transport. »
La récolte à Guelmin s’étale entre le 15 mars et le 30 mai avec « avril à fond » et une seconde rotation est en place sur les mois d’octobre à décembre. Et sur cette période Bernard Chiron reste très prudent : « C’est un créneau très aléatoire. Deux opérateurs de plus et le produit coule. » Au final, l’entreprise Chiron avec ses différents sites de production commercialise du melon 9 mois sur 12. Mais Bernard Chiron sait déjà qu’il n’ira pas plus au Sud. « C’est une expérience économique et humaine intéressante. Les enjeux sont importants mais diversifier les sites de production est une excellente solution pour renforcer l’entreprise. »
La saison, pas forcément un marché porteur
Franck Muret est adhérent de l’OP Force Sud et installé près de Marrakech. Mais l’OP a des projets. « Le domaine du Chatelard a atteint sa vitesse de croisière, explique Jérôme Josseran, directeur commercial du bureau de vente de St Thibery. Effectivement, nous cherchons ailleurs. Nous avons des projets de développement au Maroc qui ne se situeront pas forcément à Marrakech où le climat nous convient mais où la pression foncière devient un élément limitant. A terme, c’est une région qui devra faire le choix du tourisme ou de l’agriculture. Nous y réfléchissons dans l’objectif de trouver un nouveau créneau, peut-être via une installation plus au Sud. Ceci étant ce projet est lié à une condition sine qua non : il ne verra le jour qu’à condition que l’un des adhérents de l’OP souhaite s’installer sur le nouveau site. » La production sera adaptée au site en fonction du sol, du créneau de production, des conditions de production, mais « la diversification n’est pas une priorité. » A Marrakech, le domaine du Chatelard est installé sur 150 ha (serres et plein champ) et produit près de 2 000t entre avril et juin. La nouveauté de la campagne 2009 a été le lancement commercial d’un melon Charentais vert bio. « Nous commençons à le produire début avril, sur une ferme située dans le désert à 70 km de Marrakech dont le potentiel se situe entre 500 à 600 t. Le bilan de la première année est plutôt satisfaisant même si le sentiment de “défricher” le marché a été important. Mais les quantités étaient conséquentes et la demande pour des produits différenciés l’était également. » Le melon bio de Force Sud stické AB est conditionné en fonction de la demande des réseaux commerciaux. Mais, ajoute Jérôme Josseran, « nous cherchons un conditionnement plus différenciatif, pour sortir du traditionnel filet et qui soit plus écologique. » La réflexion est en cours.
Depuis trois ans, Force Sud a installé une seconde rotation entre octobre et décembre. « C’est un marché aléatoire dont les résultats économiques sont très variables d’une année à l’autre. » En ce qui concerne la consommation de melons précoces, Jérôme Josseran a sa théorie : « Le discours sur la saisonnalité ou le terroir ne tiennent pas face aux actes d’achat des consommateurs et la consommation augmente. D’ailleurs, je pense qu’au niveau commercial, c’est l’offre qui fait la demande. Les acheteurs ne peuvent se contenter de rester sur le melon des Antilles qui a une image de fruit exotique et est vendu comme un fruit exotique. Le melon précoce est devenu un produit courant et ils ne peuvent pas se permettre de faire l’impasse. » L’implantation de Force Sud au Maroc a eu un effet positif sur l’activité de l’entreprise. « Le Maroc a boosté l’export. Nous sommes passés de 2 % à 15 % de ventes à l’étranger. » Les melons sont acheminés de Marrakech par camions, ce qui pose aussi la question de l’étiquetage environnemental. « Au départ de Marrakech, la route optimise les délais de livraison. Il n’en reste pas moins que l’étiquetage environnemental reste une préoccupation. Il risque d’avoir un impact négatif pour nos productions précoces au Maroc, mais nous aurons peut-être un avantage par rapport à d’autres origines. Donc tant que nous ne l’aurons pas vécu, il est impossible de dire si ce sera un handicap ou une chance. »
Si la diversification variétale n’est pas à l’ordre du jour au Maroc, en revanche Force Sud va lancer un nouveau produit en France : « Une mini-pastèque sans pépins, travaillé différemment qu’en Espagne et dont nous voulons faire de l’origine France, un de ses principaux atouts. »