La chronique
Le local et la valeur du temps
Que partagent de plus en plus d’assiettes de pays industrialisés ? Un ingrédient : le “consommer local”.
One Hundred Miles ! Ce défi qui consiste à essayer de s’alimenter en ne consommant que des produits cultivés (ou produits) dans un rayon de moins de 150 km a été lancé aux Etats-Unis en 2005, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement. L’objectif de réduction d’émissions carbone, de traçabilité et de retour à une consommation saisonnière a conduit à la tendance qu’on lui connaît aujourd’hui. Selon le Natural Marketing Institute (mars 2011), 71 % des Français affirment important pour eux d’acheter des produits locaux, privilégiant ainsi le circuit court. Plus de la moitié (57 %) trouve même préférable d’acheter des produits locaux plutôt que des produits bio venus de loin.
Un phénomène de mode ? Peut-être… mais qui repose sur une tendance de plus en plus lourde. Le panier paysan, proposé par les AMAP, connaît un succès grandissant, de même que les attentions portées par les filières du frais à la production régionale. Système U, Intermarché, Leclerc rendent aujourd’hui visible leur offre locale de fruits et légumes. Leclerc annonce d’ailleurs un objectif de 15 % du chiffre d’affaires composé de local.
Au-delà de sa vocation écologique et économique (devenir tous acteurs du circuit économique local) pourquoi le circuit court a-t-il un tel succès ? Parce qu’il pose comme centrale la question du temps.
L’accélération est vécue de plus en plus douloureusement. L’accélération technique (transport, communication), l’accélération du changement social (structures des familles, rapport au travail) et l’accélération du rythme de la vie même, le stress qui en découle, l’impression de fuite sans fin en avant, déstabilisent les univers mentaux.
Le “slow” est une des postures qui permet de faire face, ou tout du moins de contribuer à reprendre le contrôle. La slow food en est une des figures. L’art de la soupe, l’art du mijoté deviennent un nouvel étalon temporel. Une promesse de qualité et de pérennité. L’origine des produits, la tradition des recettes, le respect des saisons, la patience que nécessite la préparation d’un repas, la transformation des aliments (autre variante de ce nouvel art de vivre du “faire soi-même”), la durée du repas sont les marqueurs de ce désir de se resynchroniser.
Dans cette tendance “slow local”, des imaginaires puissants sont convoqués : le temps, l’espace, le rapport à la nourriture, mais aussi une façon de pouvoir agir par soi-même et sur soi-même dans un monde en mutation.