Vincent Holveck, TerreAzur (Groupe Pomona)
« Le grossiste est la forme la plus aboutie du circuit court »
Pour le directeur des achats Produits de la Mer et Fruits et Légumes de TerreAzur (Groupe Pomona), seul un professionnel expert de la logistiqique du dernier kilomètre et des produits à durée de vie courte est à même d'offrir les garanties de sécurité sanitaire et de service pour la diffusion des produits locaux.


FLD : Depuis plusieurs années déjà, avec les différentes crises sanitaires qui n'ont pas épargné la filière européenne des fruits et légumes, la demande pour des produits locaux se fait de plus en plus pressante. L'amont s'est organisé de telle façon à répondre à cette demande. Le développement des circuits courts est une réalité qui viendrait concurrencer les opérateurs traditionnels tels que TerreAzur. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
VINCENT HOLVECK : Je ne vois pas comment les circuits courts viendraient nous concurrencer alors que nous en sommes la forme la plus aboutie. Nous sommes des circuits courts ! Par ailleurs, nous nous demandons pourquoi opposer circuits courts et chaînes plus longues. Ils sont complémentaires. Ainsi, en Ile-de-France, la production régionale de fruits et légumes avoisine 137 000 t et la consommation francilienne, 920 000 t. Il y a là un différentiel de 783 000 t qu'il faut bien assurer. Le produit régional est très positif mais il doit se penser comme un élément d'un ensemble plus large. Chez TerreAzur, nous avons un raisonnement excentrique : nous allons du local au national puis à l'international.
Pour répondre plus précisément à votre question, nous sommes absolument convaincus que la diffusion des productions régionales de fruits et légumes doit être sécurisée par un professionnel expert des produits périssables et de la logistique du dernier kilomètre. Les visions simplificatrices pourraient bien s'avérer dans ce domaine ennemies de l'efficacité et de la sécurité alimentaire. La périssabilité des fruits et légumes et leur mode de consommation sont les points cruciaux qui ont forgé le savoir-faire de TerreAzur. Ces denrées ont une vie courte qui exigent une chaîne d'approvisionnement courte. Mais, elles sont aussi des produits fragiles, souvent consommés crus pour lesquels les meilleures conditions de sécurité alimentaire sont requises notamment pour la restauration collective. Le métier de grossiste à service complet (GASC), dont notre réseau est leader en France, offre toutes les garanties (entrepôts spécialisés, chaîne du froid, certifications nécessaires Iso 9001-14000-22000, précision du service logistique…).
En restauration hors domicile, « l'offre en circuit court direct n'apporte que des solutions partielles, voire discontinues ».
Quant au bilan carbone souvent mis en avant pour les livraisons directes, la vérité est contre-intuitive : les études de l'Ademe ont bien montré qu'en termes de CO2 un camion de 22 t – dont le chargement est optimisé en tournée quotidienne – est dix fois moins “polluant” qu'une flottille de petites estafettes qui effectuent des livraisons directes.
FLD : On a l'impression que le concept de circuits courts recouvre plusieurs types de distribution : vente à la ferme, magasins de producteurs... Est-ce que cela ne participerait pas à une certaine confusion ?
V. H. : En effet, sous la même expression on peut trouver deux significations très différentes : est-ce une notion de distance (production de proximité) ou de structure de la supply chain (chaîne courte) ? Les textes officiels ont opté pour cette dernière notion en faisant le distinguo entre circuit court direct, c'est-à-dire la vente par le producteur directement à l'utilisateur final (dans notre cas le restaurant), et circuit court indirect, qui inclut un intermédiaire dans l'acte de vente. Nous considérons que le circuit court doit s'exprimer dans cette seconde configuration et doit être sécurisé par un professionnel.
« On assiste au niveau de la restauration collective à une forte demande en produits locaux ou régionaux. »
A nous de bien expliquer notre rôle. Le grossiste à service complet est à même de sécuriser les process, assurer toute la traçabilité et peut gérer le rappel des lots. Ce point est primordial. N'oublions pas que la crise E. Coli a été en fin de compte générée dans le cadre d'un circuit court direct en Allemagne. Un autre apport du GASC est sa capacité à offrir un mix de produits, issus de filières courtes et de filières plus longues. Il peut proposer à sa clientèle des produits régionaux complétés par des produits plus lourds comme la banane, les agrumes ou les ananas, etc. Cela requiert un savoir-faire et une efficacité en matière de logistique et de commerce que le métier de grossiste a développé depuis de nombreuses années.
Nous garantissons également à nos clients l'exigence de diversité indispensable au bon équilibre alimentaire (dont le respect du PNNS). Le tout local, reconnaissons-le, peut présenter un caractère régressif : à l'heure où des politiques de santé sont déployées pour favoriser la consommation de fruits et légumes, une offre entièrement locale pourrait avoir l'effet inverse, le consommateur pouvant développer une forme de méfiance vis-à-vis de fruits et de légumes ne provenant pas de son environnement proche, la région. Ce qui au final, entraînerait une baisse de la consommation globale. Il faut donc se garder de tout excès.
FLD : Depuis quelques années, la restauration collective et commerciale tente de privilégier un approvisionnement en produits localement cultivés. Des structures se mettent en place, par exemple des sites Internet dédiés. Comment analysez-vous la situation ?
V. H. : Il est vrai que l'on assiste au niveau de la restauration collective à une forte demande en produits locaux ou régionaux. Cette demande a été stimulée par la loi, qui a eu un effet “push” sur la commande publique. La loi de modernisation de l'agriculture et la pêche, adoptée en juillet 2010, a conforté cette tendance et on assiste à des initiatives régionales sooutenues par des décideurs territoriaux.
Il faut bien comprendre qu'approvisionner la RHD est particulièrement complexe en raison de la diversité des types de clients et de leurs besoins. Laissez-moi prendre un exemple. TerreAzur sert un panel large de clients, des collectivités publiques de tous types en passant par les chaînes de restauration, les brasseries et jusqu'aux restaurateurs étoilés. Comment répondre à une telle diversité de demandes sans une structure forte capable de segmenter l'offre et d'offrir le bon produit au bon client ? Comment assurer à chacun d'entre eux une garantie de fraîcheur, de qualité et d'innocuité sanitaire régulière ? A toutes ces interrogations, l'offre en circuit court direct n'apporte que des solutions partielles, voire discontinues. D'ailleurs, il serait intéressant de se pencher sur les contraintes rencontrées par la restauration collective face aux aléas climatiques que croisent inévitablement les producteurs locaux de fruits et légumes.
FLD : Vous êtes aussi président de la division Commerce de gros et service de restauration au sein de Freshfel qui est la plate-forme unique pour la représentation de la filière fruits et légumes à Bruxelles. Comment appréhendez-vous l'évolution au niveau européen de la notion de circuits courts ?
V. H : Notons que l'UNCGFL (Union nationale des grossistes en fruits et légumes) et la CGI (Confédération française du commerce de gros et international) représentant le commerce interentreprises sont également mobilisées et actives sur ce sujet. Déjà, il faut savoir que le concept de circuits courts revêt presque autant de définitions qu'il y a de pays membres de l'Union européenne. Notre position pourrait se résumer en une phrase : « Ne confondons pas circuits courts et courts circuits ».
Derrière le jeu de mot, il y a une véritable mobilisation et une grande vigilance de la part des représentants du commerce interentreprises des fruits et légumes : celle de nous prémunir au niveau de la réforme de la Pac, de dispositifs d'aide à la création de circuits parallèles et qui entraîneraient de potentielles perturbations des circuits existants. En effet, dans la nouvelle Pac, le pilier 2 dédié au développement régional pourrait être le berceau de mesures qui favoriserait ce type de mesures. Il est établi que la migration de 5 % des flux de fruits et légumes vers ce type de canaux parallèles aurait des conséquences préjudiciables sur le modèle économique des acteurs en place. Sans compter au niveau européen comme au niveau français toutes les interrogations qui subsistent, notamment celles liées au contrôle sanitaire.
FLD : Cependant, on ne peut nier la demande du consommateur pour des produits locaux...
V. H : Il existe une véritable légitimité dans cette demande. La recherche de fruits et légumes produits localement, générant du lien social entre consommateur et producteur, et le retour à certaines valeurs sont tout à fait bien fondés. N'oublions pas non plus que depuis plusieurs années le consommateur est devenu un acteur important et influent dans la société. Il peut déclencher une mobilisation pour l'achat de tel produit ou entraîner un rejet d'un autre. Rappelons-nous les débuts de la crise E. Coli : des concombres espagnols avaient été mis en accusation avant d'être blanchis et nous avons vu les conséquences que cela a entraînées sur les ventes de concombres et de tomates en France. Nous sommes engagés dans un cycle où les produits régionaux et bio sont plébiscités ; sans doute serons-nous témoins, dans le futur, d'autres évolutions. La consommation des fruits et légumes est très sensible aux courants d'opinion, il faut savoir rester humble. Mais, l'important, c'est de toujours demeurer un capteur de ces tendances. C'est ce à quoi nous nous attachons au sein de TerreAzur.
Né en 1956 à Strasbourg, Vincent Holveck est diplômé de l'Institut européen d'études commerciales supérieures (aujourd'hui EM Strasbourg Business School). Entré à Pomona en 1979, il a été acheteur (Strasbourg, Mulhouse) et directeur TerreAzur (Pau et Toulouse). Il a dirigé Fruidor (2001-2006) et Refaly (2011-2013). Depuis le 2 janvier, il est directeur des achats Produits de la mer et Fruits et Légumes de TerreAzur.

TerreAzur dispose d'une offre régionale labellisée avec sa marque exclusive “Fruits et légumes de ma région”. Historiquement metteur en marché des producteurs des ceintures maraîchères ou des vergers régionaux, l'entreprise a structuré et marketé cet approvisionnement de proximité pour le promouvoir et apporter une réponse à la fois régionale et nationale à ses clients. L'organisation de TerreAzur en dix-huit régions avec l'ambion affichée d'être le grossiste leader sur chaque région, a facilité le déploiement de la démarche. Celle-ci est sécurisée par la signature de chartes entre les producteurs et TerreAzur qui développe la contractualisation. Conformément à l'engagement, un suivi mensuel consolidé au niveau national et régional est édité. TerreAzur s'engage sur des quotas d'approvisionnement régional répondant aux demandes des grands comptes clients. Les clients disposent aussi d'une cartographie, d'une géolocalisation des partenaires producteurs et d'une offre hebdomadaire disponible. TerreAzur met à diposition des outils de communication pour les restaurants ou les points de vente. La marque “Fruits et légumes de ma région” concerne aujourd'hui 1 300 producteurs : des indépendants mais aussi des coopératives et des expéditeurs régionaux qui trouvent ici un débouché local apprécié pour leurs produits.