Gaspillage alimentaire
« Le gaspillage est envisagé par le droit sous l'angle du déchet »
Katia Merten-Lentz, avocat au barreau de Paris et de Bruxelles, du Cabinet Keller and Heckman, fait le point sur le gaspillage alimentaire d'un point de vue juridique.
FLD : Qu'est-ce que le gaspillage alimentaire ?
KATIA MERTEN-LENTZ : Il n'y a pas de définition réglementaire. Le gaspillage alimentaire est envisagé par le droit uniquement sous l'angle du déchet, c'est-à-dire ce qui est volontairement abandonné (droit de l'environnement en 1975, avant que la question du gaspillage n'émerge !). Au niveau européen, la directive 2008/98/UE établit une hiérarchie de la gestion des déchets : prévention, réutilisation, valorisation (énergétique par exemple) et élimination. Mais rien n'existe concrètement contre le gaspillage. Comment parler d'un sujet que le droit n'a même pas réussi à définir ? Des discussions sont en cours dans le cadre de l'économie circulaire.
FLD : Et au niveau français ?
K. M.-L. : Des initiatives existent. Le projet de loi de Ségolène Royal contenait une proposition anti-gaspi, qui a été retoquée par le Conseil constitutionnel pour vice de procédure. A la place, une Convention d'engagement volontaire a été signée par la distribution : dons avec des associations et interdiction de détruire les invendus consommables (javellisation) sont prévus. En contrepartie, les sanctions envisagées (amende de 3 750 € si destruction de stocks consommables) ont été mises de côté.
FLD : Quid du don alimentaire ou agricole ?
K. M.-L. : Associations caritatives et entreprises doivent respecter l'ensemble de la réglementation alimentaire, notamment hygiène mais aussi Inco (étiquetage). Le don est formalisé au sein d'une convention de partenariat, qui organise notamment le transfert de responsabilité et de propriété du don. En soit, il n'y a pas plus de difficultés que dans un circuit classique : l'association représente “simplement” un maillon supplémentaire de la chaîne et, en cas d'intoxication alimentaire, on doit pouvoir la remonter. Or, le règlement fondateur du droit européen de l'alimentation (178/2002) prévoit une responsabilité solidaire de tous les maillons. La convention de partenariat sert aussi à cela : préciser clairement à partir de quel moment la responsabilité et la propriété sont transférées.
FLD : Et la DLUO ?
K. M.-L. : Une des grandes causes du gaspillage vient du consommateur, qui ne comprend pas la différence entre DLC et DLUO (remplacée fin 2014 par la DDM, date de durabilité minimale). La Commission envisage plusieurs options pour simplifier ce “date marking” : amender la liste des aliments dispensés de DDM dans Inco, modifier les termes afin qu'ils soient mieux compris des consommateurs (au Royaume-Uni, on utilise les termes “use by” et “best before”). Ces discussions ont lieu dans le cadre du programme de travail pour 2015 de la Commission, qui devrait émettre une proposition législative pour promouvoir l'économie circulaire d'ici la fin de l'année.
Il existe de nombreux exemples de valorisation pour l'extraction de molécules : les phénols des salades (cosmétique), la pectine des pépins de pommes (texturant E440), etc.
FLD : Quelles autres solutions existent pour les entreprises ?
K. M.-L. : Mettre en place une “HACCP du gaspillage” ! Prenons le cas de la salade IVe gamme chez l'industriel. Il n'y a pas que la salade non consommable qui est jetée. C'est aussi le cas d'un sachet avec une étiquette mal positionnée ou des feuilles de salade qui tombent des tapis lors du process. Pour lutter contre le gaspillage, on peut regarder du côté technologique : des étiqueteuses plus performantes, des tapis plus larges, etc. Autre solution : exploiter le déchet. On peut extraire de ces salades des phénols, qui sont recherchés par la cosmétique. Il existe de nombreux exemples de valorisation par l'extraction de molécules : la pectine des pépins de pommes (texturant E440), la peau de pommes de terre, source de fibres et de protéines (enrichissement nutritif, stabilisateurs, exhausteurs de goût). Mais attention, cela est soumis aux règlements “nouveaux aliments” ou “nouveaux additifs/ enzymes”. Et le grand principe de ces règlements est l'autorisation préalable à la mise sur le marché.