Marie-Monique Robin, journaliste
Le futur selon Marie-Monique Robin
Le 16 octobre, en première partie de soirée, Arte diffusera le troisième opus agricole de Marie-Monique Robin “Les moissons du futur”. Même si elle s’en défend, c’est une vraie militante de l’agroécologie et des circuits courts et bien sûr de l’agriculture sans pesticide. Son discours va à l’encontre de la pensée dite “dominante”. Il circule, fait des émules car le sujet est fondamental : nourrir le monde est une urgence.



Contrairement à ses deux précédents reportages (“Le monde selon Monsanto” et “Notre poison quotidien”), « “Les moissons du futur” s’inscrit dans la droite lignée des deux autres, mais donne une autre approche qui va vers la solution plutôt que l’identification du problème comme je l’avais fait auparavant », explique Marie-Monique Robin. Ce 90 minutes est produit par M2R Films, société de production créée en février 2011. A l’image des AMAP dont elle défend le principe, Marie-Monique Robin a en effet lancé un crowd-founding pour financer son documentaire. Une première du genre. Au total, 10 % du budget du film provient de près de 2 000 souscriptions toutes égales à 30 euros. « On ne voulait pas recevoir de l’argent, mais plutôt qu’il y ait des préachats du DVD », explique David Charrasse, en charge de la société de production. 40 % du budget du film est financé par Arte, le diffuseur, SOS Faim Belgique, a financé son développement (enquête et recherche), soit l’équivalent de 25 % du budget du film, le reste se partage entre CFRT, RTBF et la Télévision Suisse.
« J’ai participé à des dizaines et des dizaines de débats dont celui qui ouvre ce film [Mots croisés avec Jean-René Buisson (Ania), Bruno Le Maire (à l’époque ministre de l’Agriculture) et José Bové, qui se trouvait à ses côtés, NDLR] où l’on entendait régulièrement que l’agroécologie (cf. encadré) ne pourrait pas nourrir le monde. Alors je suis partie de cette affirmation lancée par Bruno Le Maire “Ne faisons pas croire aux Français que l’on pourra cultiver des pommes, des poires ou des fruits sans aucun pesticide, ça a toujours existé sinon vous ne produirez pas suffisamment de produits”, et de Jean-René Buisson “Il faut rappeler qu’il n’y a pas de solution totalement alternative aux pesticides et comment nourrit-on les gens ? Je vous rappelle les chiffres, si l’on produit sans pesticide, c’est 40 % de production en moins et 50 % de coût en plus”, alors je suis allée voir sur le terrain. On arrive à la fin du reportage avec le constat suivant : si on ne nourrit pas le monde, c’est à cause des pesticides. » Il lui aura fallu un an et demi pour réaliser son film.
Démontrer qu’il est possible de produire et de commercialiser autrement
Elle s’est donc attachée à montrer qu’il était possible d’alimenter le monde entier sans l’usage de pesticides. Interrogée quant à la non-présence des “agrochimistes” dans son nouveau reportage, elle justifie : « J’ai considéré que je leur avais déjà laissé la parole à plusieurs reprises dans les précédents. Là, j’ai voulu apporter des solutions, répondre à la question que l’on me pose régulièrement : “Peut-on faire autrement ?” » Pour conforter son enquête, elle s’est appuyée sur les propos d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation qui, à Genève au siège de l’ONU, début 2011, martelait en parlant de son rapport : « Je le présente alors que les prix agricoles mondiaux ont augmenté pendant huit mois consécutifs. Cette crise, que nous affrontons, n’est pas seulement une crise de l’offre, c’est une crise de la pauvreté, de la nutrition et, enfin, c’est une crise écologique. Des méthodes de production qui sont non durables accélèrent le changement climatique et la dégradation des sols et puisent les réserves d’eau douce menaçant à terme notre capacité à nourrir la planète. Au sein de la communauté scientifique, un constat s’impose : il faut changer de cap. Les recettes anciennes ne valent plus. Aujourd’hui, les politiques de soutien à l’agriculture visaient à orienter celle-ci vers l’agriculture industrielle. Il faut à présent qu’elles s’orientent vers l’agroécologie partout ou cela est possible. » Intervenant au Mexique, en juin de la même année, Olivier de Schutter souligne : « en même temps que cette crise [la crise de la tortilla, où les prix du maïs avaient augmenté de 50 %, NDLR], la production de maïs était au-dessus de la moyenne et les importations aussi. Pourtant, le prix a augmenté parce qu’un petit nombre d’entreprises très puissantes dominant le système de distribution du maïs a utilisé son pouvoir sur le marché pour imposer ce pic de prix aux consommateurs. Il nous faut des politiques qui permettent aux pays de se nourrir eux-mêmes. C’est cela le droit à l’alimentation. Pour cela il faut protéger les producteurs contre les abus des grands acheteurs de denrées alimentaires en développant les pratiques agroécologiques et en réduisant la dépendance de la production alimentaire par rapport aux énergies fossiles. Il faut réduire l’impact environnemental de l’agriculture pratiquée aujourd’hui. »
Le film “Les moissons du futur” s’attache par là même à démontrer les méfaits du libre-échange et de l’accord de l’Alena (Mexique-Etats-Unis-Canada) de 1992, considéré comme le laboratoire de la mondialisation du secteur agricole. Elle prend ainsi l’exemple de la production de l’oignon au Sénégal qui, à la suite d’une décision du gouvernement de fermer les frontières aux importations venues de pays européens pendant la production nationale, a permis de développer la récolte locale. Or, pour éviter les fortes fluctuations de prix en cas de production massive, le pays manque cruellement de lieux de stockage.
Développer la production locale et limiter les méfaits du libre-échange
Elle martèle le discours en donnant la parole à Ulrich Hoffmann, directeur de la Cnuced (1). « Dans le domaine agricole, le concept du libre-échange est tout simplement une farce, en agriculture il y a toujours des entorses à la règle. Ces entorses ont pour conséquence que les grands producteurs et particulièrement ceux des pays développés profitent largement du marché mondial. Ils tirent avantage de subventions pour la production, pour avoir de l’énergie et de l’électricité bon marché. Résultat, ces producteurs sont incapables de dire aujourd’hui quels sont leurs coûts réels et leurs revenus réels. La majorité des coûts de production comme la pollution des eaux ou l’énorme consommation d’énergie n’est pas prise en compte. Les prix de leurs produits sont complètement faussés (.). Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer pour assurer la sécurité alimentaire de leurs pays, que ce soit l’accès aux terres ou pour promouvoir des méthodes agroécologiques permettant d’augmenter la productivité agricole qui, aujourd’hui, est parfois inférieure à celle des années 60. Pour encourager la production, ils peuvent prendre des mesures temporaires interdisant les importations pouvant concurrencer les produits locaux. Là aussi il y a, je crois, un nouveau consensus au sein des organisations de l’ONU. »
A la question “Cela permettra-t-il de nourrir le monde ?”, il répond : « Nous vivons un incroyable paradoxe : le monde compte presque un milliard de personnes qui ne mangent pas à leur faim mais, d’un autre côté, nous produisons un volume d’aliments et de calories alimentaires qui nous permettrait de nourrir 12 à 14 milliards de personnes, soit plus du double de la population actuelle. Le problème ce n’est donc pas l’offre, mais la distribution des aliments. »
Avec l’exemple de la Milpa (2), de l’action de l’ICRAF (3) ou encore de la commercialisation de f&l japonaise Tekei créée dans les années 70, qui a essaimé partout dans le monde et en France sous le nom d’AMAP, Marie-Monique Robin montre comment enrichir les sols, produire davantage sans intrant et fertilisant chimique. A la suite du reportage, une question résiste : “Qui croire ?” Si effectivement l’agroécologie fonctionne au Mexique, qu’au Malawi, l’agroforesterie a présenté des résultats intéressants, que les Tekei au Japon ont un franc succès, pourquoi ne pas avoir pris des exemples en France ? Quel message donne-t-il aux agriculteurs qui ont investi dans de nouvelles installations pour satisfaire la demande du marché ? Si les AMAP permettent de rapprocher producteurs et consommateurs, comment peuvent-elles approvisionner les grandes métropoles ? En prenant l’exemple de Paris, elles sont confrontées à des listes d’attente de consommateurs faute d’agriculteurs. Marie-Monique Robin soutient : « Il y a des modifications urbaines qui s’opèrent en France. C’est le cas de la ceinture verte à Toulouse. Certaines pratiques évoluent... »
En prenant le cas des fruits et légumes, au cours des huit premiers mois de l’année 2012, leurs ventes en France ont eu lieu majoritairement en GMS (58,6 % des volumes), devant le hard discount (14,4 %), les marchés (11,9 %), les primeurs (9 %) et les autres circuits (6,1 %). Selon FranceAgriMer, même si les tendances évoluent : « Les marchés et primeurs ont vu leurs parts de marché s’accroître, au détriment des GMS. Les autres circuits (vente directe, achats via Internet, etc.) restent marginaux mais continuent de voir leur part de marché progresser (+ 0,3 point sur un an à 4,7 %) et compte tenu d’un budget des ménages sous pression, le prix demeure le premier critère de choix du consommateur » et le gain de temps ne doit pas être occulté, « la proportion de ménages ayant testé ce produit [le drive, NDLR] gagne cette année 3,1 points ». Quant à l’agriculture bio, même si les ventes progressent chaque année (+ 7 % prévus en 2012), elle ne représente encore que 3 % du marché alimentaire français (3,9 Md€).
Plus qu’un bouleversement agricole, c’est une révolution que l’on entend en creux
Que dire de la spéculation sur les matières premières, jugées valeurs refuge, de la nécessité d’une main-d’œuvre supplémentaire, de la spéculation foncière ? Il ne s’agit pas d’occulter le message ni d’opposer. « Je ne stigmatise pas les agriculteurs, je veux leur faire prendre conscience que si rien n’évolue, on finira par les montrer du doigt en les traitant d’empoisonneurs », martèle-t-elle au sortir de la projection. Ainsi, si ce reportage a pour mission de réveiller les consciences, à consommer davantage écologique et en circuit court, c’est une révolution non pas agricole mais sociétale que l’on entend en creux. Que deviennent les producteurs qui ont investi ? Les transporteurs ? Les grossistes ? La grande distribution ? Les primeurs ? Les petits commerçants et toutes leurs familles et tous les emplois indirects que représentent ces secteurs d’activité ? Si l’agroécologie et l’agroforesterie peuvent être LA solution, il faudrait du temps pour que ces techniques culturales se démocratisent, que la recherche progresse chaque année un peu plus. Mais, comme le rappelle Olivier de Schutter aux Mexicains : « El hambre no espera » (la faim n’attend pas). La prochaine enquête de Marie-Monique Robin sera plus qu’intéressante puisqu’elle a décidé de s’attaquer à la croissance. Rendez-vous est pris.
(1) Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
(2) Pratique agricole ancestrale au Mexique de polyculture sur un même champ mêlant maïs-légumineuse-courge plutôt que la monoculture.
(3) Centre mondial de l’agroforesterie basé au Kenya.