Agrumes
Le déverdissage est commercial
Le consommateur achetant avec les yeux, les petits agrumes et oranges précoces sont traditionnellement déverdis.
Il est courant que les agrumes restent partiellement verts tout en ayant atteint une maturité interne optimale. C'est notamment le cas des variétés précoces et des productions en zone chaude (Maroc, Espagne). C'est en effet l'écart entre les températures diurnes et nocturnes qui va provoquer une dégradation des chlorophylles, responsables de la couleur verte de l'épiderme, faisant ainsi apparaître les pigments orange (caroténoïdes) de l'agrume. En cas de températures trop douces, le fruit conserve un reflet vert, une “verdeur” de l'épiderme. Mais aux yeux du consommateur européen, la coloration uniforme de l'épiderme du fruit est non seulement un critère de présentation mais aussi un critère de maturité : pour être commercialisables, petits agrumes et oranges précoces de zones chaudes sont donc déverdis artificiellement soit sur l'arbre, soit après récolte en chambres de déverdissage.
« Le déverdissage est presque automatique pour les variétés précoces, c'est-à-dire de septembre-octobre jusqu'à mi-novembre pour l'hémisphère Nord, explique Jean-Luc Anglès, directeur commercial de Anecoop France. Plus on avance dans la saison, moins il faudra déverdir. » Soit un arrêt du déverdissage à partir du 15-20 novembre.
En cas de températures trop douces, le fruit conserve un reflet vert, une “verdeur” de l'épiderme.
Ainsi, chez Anecoop, 80 à 90 % des volumes précoces sont déverdis. Jean-Marie Texier, directeur des achats de Fontestad France, nuance : « Il est difficile d'estimer la part de volumes déverdis, cela dépend des conditions climatiques hivernales. L'idéal est un écart de température jour/nuit de 10-12 °C. Par exemple l'hiver dernier a été trop doux, il a fallu déverdir même en décembre-janvier. En ce moment il fait très chaud en Espagne, 40 ° la journée et 25 ° la nuit, ce n'est pas assez froid ! »
Le déverdissage se fait en chambre
Chez Fontestad, le déverdissage se fait en chambre de déverdissage avec de l'éthylène, un gaz naturellement produit par les fruits climactériques et auquel les agrumes sont sensibles. « Suite à la récolte, qui se fait au sécateur et en deux ou trois passages, les fruits sont envoyés en station de conditionnement pour un précalibrage sur la taille et la couleur. Tout est fait automatiquement par des machines. Les fruits présentant un épiderme avec plus de 50 % de vert sont destinés à rester six-sept jours en chambre de déverdissage et ceux avec 30 % de reflets trois-quatre jours, tandis que les fruits déjà colorés, souvent ceux le plus à l'extérieur sur les arbres, ne passent pas par l'étape de déverdissage », explique Jean-Marie Texier. A l'intérieur des chambres, la concentration en éthylène est strictement contrôlée, ainsi que la température, l'humidité et la ventilation. Le nouvel entrepôt de Fontestad, 47 000 m2 (en cinq parties dont une spécialement pour les produits non traités après récolte) et en service depuis deux mois, dispose de 10 000 m2 , soit une capacité de 12 000 t pour le déverdissage et la conservation des agrumes. Chez Anecoop, le déverdissage consiste à placer les agrumes en chambre, à une certaine température (généralement 20 à 22 °C) et que l'on sature en humidité. « Le plus important est de précalibrer les fruits au niveau de la coloration avant l'entrée en chambre. Ainsi, les lots de même couleur seront placés ensemble pour être déverdis sur le même laps de temps. Notre surcoût n'est pas si énorme, puisqu'il s'agit d'utiliser une chambre froide en hiver », précise Jean-Luc Anglès.
Le consommateur achète avec les yeux
Le déverdissage n'altère en rien la qualité organoleptique du fruit (le mûrissement interne des agrumes est terminé avant la récolte). Mais il peut fragiliser le fruit. « On cause un vieillissement prématuré de la peau, donc on réduit sa durée de vie », précise Jean-Luc Anglès. Il y a aussi le surcoût à prendre en compte aussi le déverdissage ne se justifie-t-il économiquement que dans le cas des exportations de grande valeur ou des marchés nationaux. Dans la plupart des pays tropicaux, la population locale s'accommode volontiers d'agrumes verts, mais parfaitement mûrs à l'intérieur. « Aujourd'hui pour le consommateur européen, une orange c'est orange, constate Jean-Luc Anglès en évoquant la période de Noël, durant laquelle les agrumes étaient traditionnellement consommés en Europe et où ils sont naturellement colorés. Dans les régions productrices, comme l'Espagne, cette problématique est moins présente : il est plus facile d'expliquer à un Espagnol qu'un agrume peut être mûr et vert. En France, je ne vois pas les mentalités changer, même si les Corses font de la communication à ce sujet. » Même constat pour Jean-Marie Texier : « Les consommateurs européens et russes aiment les fruits colorés, ils achètent avec les yeux. Mais ce n'est pas parce qu'un agrume est vert qu'il n'est pas mûr ! Même aux grossistes et enseignes, il faut expliquer. Par exemple, quand il pleut, on évite de déverdir chez Fontestad car avec l'humidité les agrumes risquent d'évoluer plus vite. Et on déverdit moins longtemps, deux jours au lieu de quatre par exemple. Il est nécessaire de prévenir et d'expliquer cela à nos clients, sous peine de voir la marchandise refusée. » Et d'évoquer l'échec de la clémentine verte marocaine sur le marché français, où seuls les Corses ont réussi à s'implanter.
Les agrumes non déverdis peuvent être proposés avec une ou deux feuilles
L'étape de déverdissage est souvent réalisée dans le pays producteur. Chez l'importateur de fruits et légumes Banagrumes implanté à Rungis, les agrumes (9 000 t lors de la dernière campagne sur 21 000 t tous fruits confondus en moyenne), sont déverdis avant importation, en production. La vente des agrumes doit ensuite se faire rapidement, sous deux jours, pour garantir la fraîcheur des fruits. Banagrumes travaille diverses origines : principalement l'Espagne et l'Italie (notamment pour la Newhall de Sicile) et la Floride en pamplemousse, mais aussi l'Australie, l'Uruguay, l'Argentine et l'Afrique du Sud en contre-saison. 50 % des volumes sont vendus sous marque Brio. Plus tard dans la saison, Banagrumes peut proposer des fruits non déverdis (puisque les températures basses en production ont coloré l'épiderme du fruit). Dans ce cas, les agrumes peuvent être présentés avec feuilles (ce qui n'est pas possible si le fruit est déverdi, le processus desséchant les feuilles). « Nous avons ainsi l'orange de Sicile ou la clémentine espagnole avec feuille. Ce côté nature plaît beaucoup aux consommateurs qui sont à la recherche de naturalité et de fraîcheur », souligne Hélène Alarcon, directrice générale.
Outre le côté commercial, le déverdissage peut être vu comme une sécurité par rapport aux imprévus en verger (climatiques, ravageurs). Ainsi, le déverdissage à l'éthylène est toléré en agriculture bio « uniquement dans le cadre d'une stratégie visant à empêcher les attaques de la mouche des fruits » (règlement européen n° 404/2008 modifiant l'annexe II du règlement (CEE) n° 2092/91 du Conseil concernant le mode de production biologique de produits agricoles relativement à l'autorisation d'utiliser (…) de l'éthylène).