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Luc Mbarga Atangana, ministre du Commerce du Cameroun
Le commerce au service du développement

Il est la voix de l’Afrique à l’OMC, le trouble-fête des négociations bien huilées entre pays de bonne compagnie. Fld a rencontré Luc Mbarga Atangana, ancien secrétaire général de l’Assobacam – Association bananière du Cameroun –, ministre du Commerce du Cameroun.

Juillet 2008 : à Genève, dans les locaux vétustes de l’Organisation mondiale du commerce, les 153 pays membres se préparent à vivre un psychodrame comme seul ce type de structure internationale en a le secret. L’enjeu : la conclusion du cycle de Doha, le cycle de libéralisation des relations commerciales multilatérales lancé en 2001, et mis en échec depuis. A la manœuvre, Pascal Lamy, un Français, directeur général de l’OMC, et Peter Mandelson, un Anglais, Commissaire européen au Commerce. Ces deux membres de la gauche européenne sont prêts à tout pour faire aboutir ces négociations. C’est pour eux une question de fierté, d’engagement personnel. La “ministérielle” de juillet a été bien préparée. Une “mini-ministérielle”, rassemblant les représentants des sept grandes puissances commerciales (Union européenne, Etats-Unis, Chine, Brésil, Australie, Inde, Japon), a été organisée auparavant pour lever les derniers blocages. Et pour que la fête ne soit pas perturbée par des dossiers “mineurs”, Lamy et Mandelson ont négocié directement avec les Etats-Unis un accord sur la question des importations européennes de bananes. Si Doha passe, le dossier banane est réglé, et le monde libéral va connaître un nouveau départ.

Mais voilà, dans leur précipitation à conclure, MM. Lamy et Mandelson ont omis un léger détail : le cycle de Doha est dit cycle du développement. L’enjeu est bien de libéraliser les échanges Nord-Sud, de faire tomber les barrières douanières et protectionnistes des pays riches du Nord, pour qu’ils s’ouvrent aux produits et productions des pays du Sud. Ce “détail”, un homme ne l’a pas oublié. Luc Mbarga Atangana est, depuis le 8 décembre 2004, ministre du Commerce de la République du Cameroun. Il a été reconduit deux fois dans ses fonctions. Il connaît bien l’OMC et ses rouages. Depuis de longs mois, il est le porte-parole des pays ACP dans ce qu’il est commun d’appeler la guerre de la banane. Pour lui, pas question que le cycle du développement ne se conclut sans les pays en développement. « Le système commercial multilatéral de l’OMC a oublié les bases du cycle de Doha. Nous appelons à un adjornamento, un retour aux sources », explique Luc Mbarga Atangana. « Le Kennedy round, rappelle-t-il, avait pour objet de promouvoir le développement par le biais du commerce. Aujourd’hui on promeut le commerce. » C’est le Kennedy Round qui a installé l’idée de traitement différencié. Mais depuis, ce principe a été plus que bousculé. « Aujourd’hui, les pays les moins avancés (PMA) et les pays insulaires bénéficient, à juste titre, de ce traitement différencié. Mais le Cameroun, qui n’est ni un PMA ni un pays émergent, est classé comme la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud. Ce n’est pas possible, ce n’est pas équitable », s’indigne le ministre du Commerce. Et de rappeler que l’échec du cycle de Doha était prévisible. « Le ver était dans le fruit. A partir du moment où l’on avait choisi un nombre restreint de pays pour penser pour tout le monde, on allait droit dans le mur. Nous avions prévenu et les faits nous ont donné raison. » Le Cameroun, comme tous les autres pays, doit « défendre des intérêts précis, notamment ceux de la filière banane » (cf.encadré). Pour Luc Mbarga Atangana, vouloir s’obstiner à relancer le cycle de Doha ne servirait à rien. « Il y a eu une sortie de piste. Une reprise des négociations serait contraire aux objectifs. Il faut repenser les règles de l’OMC. On ne peut pas gérer les problèmes du XXIe siècle avec les règles du XXe siècle. Le monde a changé. Faut-il poursuivre avec les mêmes moyens, les mêmes instruments ? Il y a matière à réfléchir. Il faut que l’OMC batte sa coulpe. » L’OMC n’a pas battu sa coulpe, le Commissaire Mandelson est rentré dans son pays, et la crise financière a révélé aux dirigeants du monde qu’il fallait revoir le fonctionnement de l’ensemble des structures internationales…

Les conditions du décollage économique du Cameroun sont réunies

Cet homme, qui est entré en politique presque par hasard (mais « tout citoyen fait de la politique », remarque-t-il), n’hésite pas à rappeler quelques principes de base. « La politique c’est le sens de la mesure, c’est la recherche du consensus. Au basket, le passage en force est toujours sanctionné. » Et il se plaît à citer tantôt Mitterrand « Il faut laisser du temps au temps », tantôt La Fontaine « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». En juillet dernier, la tortue Mbarga, a eu raison du lièvre Lamy.

Mais être ministre du Commerce du Cameroun, ce n’est pas seulement s’occuper de la banane et de l’OMC. « Je suis devenu ministre du Commerce dans un contexte de crise. Crise alimentaire, inflation, problème du pouvoir d’achat. Il fallait pouvoir combattre l’inflation, se rappelle Luc Mbarga Atangana. Cela vous amène à vous surpasser, à aller au-delà de vous-même. Il y a eu un moment où l’on a pu craindre que certains produits comme le riz viennent à manquer (politiques protectionnistes de pays traditionnellement fournisseurs comme la Chine ou l’Inde). Mais le Cameroun n’a pas connu de rupture d’approvisionnement. Le défi a été relevé », ajoute-t-il fièrement. Autre difficulté : les atouts et le rôle central du Cameroun dans la sous-région ont été bridés par le contexte économique d’ajustements structurels imposés par la Banque mondiale et le FMI. « Il fallait assainir notre situation financière, reconnaît le ministre.Mais cette politique a empêché le pays de développer des projets structurants. Nous sommes à la fin des derniers programmes d’ajustement. Nous allons pouvoir relancer l’appareil productif. Les conditions du décollage économique sont véritablement réunies. » Et l’homme politique africain reprend le dessus : « Il est essentiel de poser les conditions d’un développement autonome plutôt que de se trouver tributaire des importations. La libéralisation économique doit passer par des cercles concentriques. » Le Cameroun fait partie de deux espaces économiques : la CEMAC (1) et la CEAC (2). La CEMAC représente un marché de 30 millions d’habitants, dont la moitié pour le Cameroun. Le Cameroun est “la mamelle nourricière” de ces Etats riches de la manne pétrolière. Ces pays “captent” la production du Cameroun, véritable grenier de la sous-région. La CEAC (105 millions d’habitants) est constituée de pays demandeurs de produits industriels, semi-industriels et alimentaires. Enfin, il y a le puissant voisin nigérian qui pèse à lui seul près de 150 millions de consommateurs. Un ministre du Commerce doit donc s’occuper à la fois du droit de la concurrence et des conditions du développement de la libre-entreprise dans son pays, tout en participant aux négociations commerciales internationales et en veillant à l’essor des exportations. Quand nous avons rencontré Luc Mbarga Atangana à Rungis, il venait du Québec où il avait représenté son pays au Sommet de la Francophonie. Et il partait pour la Tunisie pour une rencontre bilatérale : « le commerce intra-africain, ça, c’est très important », souligne-t-il.

(1) CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
(2) CEAC : Communauté économique des Etats d’Afrique centrale.

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