Aller au contenu principal

Francis Palombi
« Le commerçant reprend la main en centre-ville »

Avec son projet de “coopérative de développement économique”, la Confédération des commerçants de France veut agir pour la revitalisation des centres-villes, grands perdants des Trente Glorieuses. Son président détaille pour fld le dispositif.

FLD : Comment se porte le commerce alimentaire indépendant dans une période caractérisée par une économie en souffrance ?

Francis Palombi : Je serais tenté de dire qu'une crise, une situation difficile, c'est quelquefois un mal pour un bien. Les commerçants alimentaires indépendants ont su faire preuve de résilience. Dans un contexte de crise, ils ont renforcé leur action sur la qualité et leur savoir-faire. En évoluant dans un environnement législatif parfois peu amène. Face au chômage dans le pays, nos gouvernants ont parfois des réactions épidermiques se traduisant dans la loi par des mesures simplificatrices. Du coup, pourrait devenir primeur qui veut, en se dispensant de formation. A cela, nos professionnels ont dit non et ont su protéger leur savoir-faire. L'action de l'UNFD dans ce domaine est exemplaire. Les actions se développent autour de la formation – voir le centre de formation sur le Min de Toulouse – et le savoir-faire alimentaire descend aujourd'hui dans les écoles.

FLD : La GMS a quand même amélioré son offre en produits et en services...

F. P. : Je ne le nie pas. La GMS et le hard discount sont aussi inscrits dans cette même mouvance d'une plus grande qualité. Mais, globalement, celle-ci a beaucoup augmenté sous l'impulsion de nos indépendants. Je le dis par conviction, non par idéologie. En tout cas, pour le consommateur, c'est fabuleux.

FLD : Quelles qualités doivent mettre en avant les détaillants à vos yeux ?

F. P. : Pour qu'existe un équilibre entre les différentes formes de distribution, ils doivent savoir se différencier par leur qualité, leur accueil, la beauté de leur étalage... Ils doivent aussi entrer dans l'ère d'Internet, qui n'est pas synonyme, à mes yeux, d'appauvrissement, voire de disparition du magasin en dur. En tout cas, nous ferons tout pour que cette vision positive du métier soit mise en valeur. Sans jamais oublier que le commerce, c'est un tout. C'est un ensemble qui repose sur des piliers différents. Les indépendants en sont un. Il ne s'agira jamais pour moi de mettre en opposition telle et telle forme de distribution.

FLD : Les Amap ou les magasins de producteurs sont donc aussi partie prenante ?

F. P. : Je ne prône certainement pas une distribution élitiste qui serait réservée à quelques bobos parisiens. Je dis simplement : attention à la légalité. Les primeurs connaissent bien le problème des ventes au déballage. Il faut laisser s'épanouir les initiatives, accompagner les changements dans la société mais toujours avec un souci d'équilibre, de partage et de justice. Si l'Etat ne joue pas son rôle d'encadrement et de protection, alors la distribution devient injuste. Sans règles, la liberté ne peut pas s'exercer.

FLD : Même pour ce projet de halles alimentaires parisiennes s'inscrivant ouvertement dans le prolongement du marché de producteurs vendant en direct chaque été place de la Bastille ?

F. P. : S'il s'agit d'actes ponctuels sous contrôle officiel avec des intervenants ayant la légitimité à être là, cela peut se concevoir. S'il revêt un caractère permanent, cela peut être préoccupant. Sur Paris, nous disposons déjà de fantastiques marchés de plein-vent. Soyez assurés que nos instances professionnelles se pencheront sur ce type de proposition. Mais je fais confiance à la Maire de Paris et à son équipe pour se battre afin qu'une forme d'équilibre soit maintenue.

FLD : Et les marchés de plein-vent...

F. P. : Les marchés non-sédentaires apportent une force supplémentaire au monde du commerce en général. Ils sont tout à fait inclus dans cette dynamique du commerce alimentaire que j'évoquais. Et ils participent au renforcement du lien social dans nos villes. Je viens de Langogne, petite ville de Lozère, qui dispose d'un très beau marché de plein-vent. Non loin, Mende, la préfecture, n'a pas cette chance, pour l'instant. Et bien cela impacte son activité commerciale globale.

« L'ère d'Internet n'est pas synonyme de l'appauvrissement ou de la disparition des magasins en dur. »

FLD : Avec tous ces efforts, peut-on croire au resserrement du lien entre consommateur et commerçant, lien qui s'est distendu ?

F. P. : Nous vivons avec l'héritage des Trente Glorieuses qui ont vu l'émergence de la grande distribution et un urbanisme commercial délibérément anarchique qui a vidé les centres-villes. Et les collectivités ont baissé les bras sur ce sujet. L'époque évolue : le consommateur n'est plus celui des années 60-70 qui remplissait à ras bord son chariot. Nous sentons bien que les collectivités locales et territoriales, tout comme l'Etat, veulent reprendre la main. On est aujourd'hui en train de rectifier le tir. Lentement, cependant. La mutation de la distribution – toute la distribution, je ne fais pas d'ostracisme, nous ne sommes plus à l'époque de Gérard Nicoud* – entraîne cet effet qualitatif global. Dans cette évolution, nos indépendants prennent leur part. Alors oui, je dirais qu'il y a un retour de la confiance.

FLD : La Confédération a publié, en 2013, un Livre blanc listant plusieurs recommandations en faveur du commerce. L'une d'elles portait sur la fiscalité locale, où en est-on ?

F. P. : L'évolution récente de la législation (disparition de la taxe professionnelle) n'a pas été vraiment défavorable mais ses effets n'ont pas été unifiés : certaines entreprises paient moins qu'au temps de la taxe professionnelle, d'autres plus.

On ne peut cacher que l'évolution de la fiscalité locale est une source d'inquiétude aujourd'hui. Spécialement en ce qui concerne la réforme de la valeur locative. Certes celle-ci n'ayant pas évolué depuis les années 70 devait évoluer, mais nous constatons que les échanges au sein des commissions de concertation mises en place par les Pouvoirs publics semblent plus au bénéfice de la périphérie que des centres-villes. Si cela se confirme, il y a un risque important d'explosion du prix du foncier dans les prochains mois.

FLD : Revitaliser le commerce en centre-ville est un enjeu. La Confédération participe aussi à ce chantier avec un projet novateur...

F. P. : Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait au Québec : depuis les années 80, une loi permet la création de société de développement commercial (SDC) regroupant commerçants, artisans, professions libérales au sein d'un périmètre (un quartier par exemple) défini en concertation avec la municipalité qui est partie prenante. La SDC assure la gestion commerciale du périmètre.

Je dis bien gestion, et pas seulement l'animation. On pense parfois qu'un beau marché de Noël, une bonne braderie d'été suffisent à revitaliser un centre. Ce n'est pas vrai. La SDC dispose de vrais pouvoirs : droit de préemption sur les commerces vides, urbanisme, circulation... C'est ce modèle que nous voulons transposer en France avec ce que nous appelons les “coopératives de développement économique”.

« Si l'Etat ne joue pas son rôle d'encadrement et de protection, alors la distribution devient injuste. Sans règle, la liberté ne peut pas s'exercer. »

FLD : Quels avantages pourra-t-on tirer de ce dispositif ?

F. P. : C'est une véritable reprise en main par le commerçant-entrepreneur de la zone où il vit, où il travaille. Ce n'est pas l'acteur public qui fixe les règles du jeu tout seul, c'est le collectif d'entrepreneurs. Nombreux sont les cas où la municipalité met en place une Union de commerçants, nomme un manager de centre-ville et considère que l'affaire est pliée. Mais cela fonctionne rarement parce que les décisions ne descendent pas jusqu'à l'entrepreneur.

FLD : Comment la coopérative se financera-telle pour ces actions ?

F. P. : Au Québec, c'est simple : la cotisation est obligatoire. Cela n'est pas transposable en France où le droit d'adhésion est réglementé. Nous préférons donner envie d'adhérer à la coopérative parce que le retour sur investissement vaut bien la cotisation. Le but est que les associés aient un retour personnalisé de l'action de la coopérative : formation, mutualisation... D'autre part, le budget de la coopérative pourrait aussi être abondé par une dotation des municipalités.

FLD : Les adhérents seront-ils uniquement des indépendants ?

F. P. : Absolument pas. Nous ne pratiquerons aucune exclusion. Tout le monde est bienvenu. Actuellement, nous voyons bien que les succursalistes ou les franchisés ne peuvent pas participer aux travaux des unions commerciales. La coopérative les intégrera. D'autre part, les municipalités feront partie du conseil d'administration de la coopérative, au même titre que les chambres consulaires. Mais, là non plus, nous ne forçons personne : alternativement les maires pourront être présents comme membres consultatifs, sans droit de vote sur les décisions.

Vous le comprenez, cette coopérative est un projet économique, collaboratif et non politique. C'est tenter le rapprochement entre le politique et le citoyen. Ce qui est parfois plus difficile en France qu'au Québec, on est bien forcé de le reconnaître. Il n'empêche que pour créer cette structure officielle, il nous faudra une loi qui acte les principes pour le développement des centres-villes portés par les entrepreneurs. C'est ce à quoi nous nous attachons désormais.

FLD : Pour la mise en œuvre et le dépôt de cette loi, quel calendrier vous êtes-vous donné ?

F. P. : Un rapport d'une cinquantaine de pages a été rédigé pour une présentation à la secrétaire d'Etat au Commerce. Ensuite, la Confédération s'est attelée à la rédaction des statuts de ce type de coopérative, afin de proposer un modèle clés en main aux parties prenantes.

Ensuite, nous allons mener des expérimentations dans les communes de Cognac (Charente), de Saintes (Charente-Maritime) et de Langogne. La ville de Paris envisage aussi de tester cette coopérative dans certains arrondissements, dans la mesure où elle est complémentaire des autres procédures de revitalisation du centre-ville existant comme Vital'Quartier.

FLD : Le planning parlementaire risque d'être chargé dans les prochains mois...

F. P. : Notre ambition est que le texte de loi puisse être porté par la secrétaire d'Etat ou par un groupe de députés. Ceux que nous avons rencontrés n'ont pas de réticence sur le dossier mais plutôt sur le calendrier parlementaire, qui va être compliqué par l'approche des élections.

Cependant, nous ne sommes pas totalement frustrés par cela puisque les essais in vivo dans les villes tests seront en place avant 2017.

* La Confédération intersyndicale de défense et d'union nationale des travailleurs indépendants (Cidunati) et son président emblématique Gérard Nicoud ont incarné dans les années 70 une révolte anti-système et une opposition aux grandes surfaces et aux taxes.

110 ans au service des indépendants

Fondée en 1906, la Confédération des commerçants de France regroupe les entreprises du commerce de détail indépendant alimentaire et non-alimentaire. Elle se compose de plus de dix-sept fédérations professionnelles représentant 350 000 entreprises, 500 000 points de vente, soit plus de 900 000 personnes (salariés, chefs d'entreprises, etc.). On compte dans ses rangs l'UNFD et la Fédération nationale des marchés de France. La Confédération intervient tant sur un plan collectif pour la défense du commerce indépendant que sur un plan individuel pour appuyer les démarches particulières de ses membres. La Confédération fêtera son 110e anniversaire le 22 septembre prochain.

Les plus lus

Les chaufferettes Wiesel commercialisées par Filpack permettent un gain de température à l'allumage supérieur à celui des bougies.
Chaufferettes contre le gel en verger : un intérêt sur les petites parcelles très gélives

Le risque de gel fait son retour sur cette deuxième quinzaine d'avril. Plusieurs entreprises proposent des convecteurs à…

Parsada : ouverture ce 12 avril d'un appel à projets porté par FranceAgriMer

Initié au printemps 2023, le Plan stratégique pour mieux anticiper le potentiel retrait européen des substances actives et le…

verger abricot Drôme - Emmanuel Sapet
En Ardèche, de fortes pertes dans les vergers d'abricotiers sont à déplorer

Des chutes physiologiques importantes de fleurs sont à déplorer dans des vergers d'abricotiers d'Ardèche, de la Drôme et de l'…

Prix des fraises françaises : il n'est « pas lié aux faibles quantités espagnoles », revendique l’AOPn

Les fraises espagnoles sont pour le moment quasi absentes de nos étals français. Pourtant, ce n’est pas cette absence ou cette…

PNR BARONNIES PROVENCALES
L’IGP Abricot des Baronnies sur la rampe de lancement

L’abricot des Baronnies, qui attendait ce printemps la toute dernière validation de son IGP, est d’ores-et-déjà en ordre de…

Loi Agec et emballage plastique des fruits et légumes : le Conseil d’Etat rejette le recours, Plastalliance va porter plainte devant l’UE

Suite à l’audience du 4 avril, le Conseil d’Etat a rejeté, par ordonnance du 12 avril 2024, la requête de Plastalliance aux…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 354€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes