Transport maritime
Le client final, nouveau défi pour les armateurs
Alors que leurs tarifs reefer sont appelés à augmenter, les compagnies maritimes sont interpellées par leurs clients réclamant une meilleure prise en compte de leurs demandes.



La quatrième édition du colloque Cool Logistics Global – qui s’est tenue à Anvers (Belgique)du 24 au 26 septembre derniers – a été une belle occasion de faire le point sur le transport des denrées périssables, par bateau et avion. Plus de 200 participants – armements, chargeurs, prestataires de services – se seront retrouvés pour échanger sur les sujets chauds de la profession. Pourtant le transport maritime reefer ne se porte pas si mal vis-à-vis des autres types de produits qui, eux, évoluent dans un contexte économique difficile. Au point même que le cabinet conseil britannique Seabury LLC, lui, promet une progression des tonnages transportés oscillant entre 7 et 8 % pour l’année prochaine, continuant à profiter du recul du fret aérien au profit du maritime. Cependant, pour absorber cette progression, les armements doivent faire progresser leur flotte, renouveler leurs équipements. Hélas, la baisse des tarifs, nécessaires pour certaines compagnies afin de gagner des parts de marché, a limité la possibilité d’investir. Le colloque a montré cette année que ceci appartenait au passé.
Maersk Line fait l’événement
Un des moments forts de cette édition fut sans conteste le message délivré par Soren Skou, directeur général de Maersk Line, et certainement un de ceux qui aura entraîné le plus de commentaires de la part des participants, tous métiers confondus. Confirmant ce qu’on entendait déjà “dans les travées” de la profession depuis quelques temps, il a confirmé la hausse des tarifs reefer de la compagnie danoise à partir du 1er janvier prochain : 1 500 $ (1 160 €) par conteneur et par voyage, ce qui représente une progression globale de 30 %. Le patron de Maersk a parfaitement argumenté la décision de l’armateur : depuis les sept dernières années, les tarifs pratiqués n’ont pas permis de couvrir l’augmentation des coûts, particulièrement ceux liés au pétrole, et la rentabilité de l’activité est demeurée globalement basse (- 19 % en 2009 par exemple) laissant peu de marge pour l’investissement. De plus, il a souligné le développement du taux de service de Maersk et l’introduction de nouvelles technologies depuis ces trois, quatre dernières années, ce qui a un coût. De plus, pour Soren Skou, la filière devra investir d’ici à 2015 3,5 milliards de dollars (2,07 milliards d’euros) pour de nouveaux équipements, une somme portée à 7 Md$ (5,4 Md€) en y incluant les remplacements des plus anciens, somme que le prix demandé aujourd’hui ne permettra pas de financer. Le directeur général de Maersk a néanmoins voulu annoncer cette augmentation plusieurs semaines à l’avance afin de permettre aux chargeurs de se retourner. « Nous savons que nous nous exposons au risque de perdre quelques parts de marché. Nous espérons que cela ne sera pas le cas et que nous maintiendrons notre position, mais cette décision était absolument nécessaire », a-t-il conclu.
Les armateurs vont suivre
Cette prise de position de la première compagnie maritime mondiale n’a pas laissé les participants sans voix, bien au contraire. Dans la table ronde qui devait suivre, plusieurs avis se sont exprimés montrant au passage le clivage existant entre les armateurs et leurs clients chargeurs. Les premiers se sont résolument engagés dans la voie tracée par Maersk à l’instar de Rick Kimura, vice-président Reefer chez MOL, qui a confirmé que la compagnie japonaise serait aussi amenée à augmenter ses tarifs pour financer son programme d’investissement de 120 M$ (93 M€), introduisant de plus un traitement différent entre les routes Nord-Sud et Est-Ouest. Son de cloche similaire chez Kuehne + Nagel où l’on s’est félicité de la décision de Maersk et où son directeur Monde Reefer, Frank Ganse, a rappelé qu’actuellement les tarifs pour une traversée Asie-Europe à partir du plus important port reefer chinois (Qingdao) étaient inférieurs à ceux d’un conteneur en sec. Le mouvement est d’ailleurs enclenché : dans la même semaine, CMA CGM annonçait, de son côté, une hausse de ses tarifs reefer de 1 500 $ (1 160 €) entre la Nouvelle-Zélande et l’Asie. Le responsable Reefer de Safmarine, Marc Rooms, s’est prêté à un petit calcul : ramenée au produit, cette hausse ne représenterait que 0,06 $ (0,04 €) pour un kilo de pommes transporté du Cap à Rotterdam, ce qui pourrait être aisément reporté sur le consommateur. On laissera au producteur sud-africain de pommes le loisir de savoir si cette somme modique ne viendrait pas malgré tout grever ses coûts de production. L’autre question qui se posait était à qui allaient profiter les éventuels reports de parts de marché perdus par Maersk. En tout cas, pas aux plus petites compagnies maritimes qui n’auront pas de marge de manœuvre pour améliorer leurs positions tarifaires si elles veulent rester dans la course. Pas plus le reefer conventionnel, comme le souligne Marco Vermet, directeur Comptes chez Kloosterboer Vlissingen : « Maersk va sûrement perdre quelques positions mais ils ne sont pas naïfs. Ils ont certainement calculé finement cette augmentation. En tout cas, ce n’est pas le conventionnel qui pourra en profiter : la flotte est en constante baisse depuis plusieurs années et ce type de transport ne pourra pas absorber les tonnages remis sur le marché. Sur les autres liners peut être. Au-delà du prix, tout dépendra de leur fiabilité. »
Des chargeurs peu satisfaits
Et c’est là où le bât blesse. L’édition 2012 de Cool Logistics Global a bien montré, au fil des débats, que les chargeurs n’étaient pas tout le temps satisfaits du niveau de service de leurs transporteurs maritimes. Et certains participants n’y sont pas allés de main morte. Andy Connell, directeur Commercial Logistique chez Dole South Africa, faisait partie de ceux-là. Soulignant « l’incompétence » des compagnies maritimes, il a expliqué : « Si une restauration des tarifs doit être exercée, je veux qu’elle s’accompagne d’un engagement massif des armements pour faire marcher le transport maritime efficacement et proprement (.) Nous sommes prêts à payer plus si le service est là. Par exemple, pour nos exportations vers le Moyen-Orient nous payons une prime supplémentaire de 200 $ (154,70 €) par conteneur mais, à ce prix, nous avons l’assurance que le produit arrivera à temps. »
Plusieurs intervenants sont allés dans le même sens, signifiant aux transporteurs qu’il leur fallait certainement mieux prendre en compte les attentes des clients finaux, distributeurs et consommateurs. Ole Schack-Petersen, responsable Logistique Périssables chez Damco, a posé les données du problème : « La supply chain est aujourd’hui contrôlée majoritairement par l’interface grossiste/importateur et aussi par le producteur au départ. Mais nous voyons l’émergence d’un système hybride où interface et distribution se partagent ce contrôle. D’où l’importance de donner au distributeur les informations qui lui sont nécessaires pour son travail, les retards engendrés par la météo par exemple. Cela nous oblige à trouver un équilibre sain entre des engagements à long terme – les contrats – et les opportunités ponctuelles – les achats spots. Sinon, la distribution prendra l’entier contrôle de l’approvisionnement, transport compris. »
C’est en grande partie le message qu’a aussi voulu transmettre Nigel Jenney, directeur général du Fresh Produce Consortium, l’interprofession fruits et légumes britannique : « La grande distribution a une vision de plus en plus claire de la répartition des coûts dans la chaîne d’approvisionnement et sait de mieux en mieux faire la différence entre les mauvais coûts et les autres. » Regrettant ces ports « qui s’intéressent plus au conteneur qu’à ce qu’il y a dedans », il a lancé aux participants : « Faites quelque chose ou le distributeur et le consommateur le feront à votre place ! ».
Des pistes existent. Un meilleur partage de la responsabilité en fait partie : « Un navire, ce n’est pas un taxi que l’on appelle en claquant du doigt », comme l’ a fait remarquer un participant, mais la compagnie maritime facture une prestation pour laquelle le destinataire, transitaire ou autre, a le droit de lui demander des comptes. « Essayons de simplifier les procédures et arrêtons de nous blâmer les uns les autres », a appelé Brian Kristiansen, directeur Sourcing chez foodcareplus, un commissionnaire en transport. Ce serait en effet un bon départ.