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Cosimo Lacirignola, secrétaire général du Ciheam
Le Ciheam n'a ni frontière ni religion

Créé en 1962, le Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam) est une organisation intergouvernementale composée de treize Etats membres. Plus de 170 agents et de nombreux consultants travaillent quotidiennement pour ce centre névralgique. Son secrétaire général en explique les fondements.

Pour montrer que les enjeux agricoles et alimentaires sont importants dans la région méditerranéenne, Cosimo Lacirignola, secrétaire général du Ciheam, et Sébastien Abis, conseiller auprès du secrétariat général au Ciheam, soulignent l'importance de l'agriculture et les travaux réalisés par le Ciheam depuis plus de cinquante ans.

FLD : Vous êtes secrétaire général du Ciheam, en quoi consiste le rôle de cette organisation ?

COSIMO LACIRIGNOLA : Un organisme comme le Ciheam est une interface entre l'Europe et l'Afrique. C'est un lieu de diplomatie agricole qui n'a ni frontière, ni religion et qui traite les thèmes du “Comment nourrir nos enfants”. C'est un pont particulier aussi sur l'état des connaissances, la lutte contre le gaspillage et sur comment abreuver nos jeunes en savoir. Et, l'agriculture n'a pas un rôle mineur. Elle devient la protagoniste de la politique du changement du monde. Comment le Ciheam et ses connaissances peuvent jouer un rôle ? Notre trait commun, c'est la Méditerranée. Elle est le temple de la biodiversité et possède un système alimentaire durable : la diète méditerranéenne. Ce dialogue Nord-Sud permet de discuter de différentes agricultures, en prenant en compte la lutte contre le gaspillage de l'eau, de la terre. Il s'agit aussi de combattre nos comportements alimentaires. Car on jette l'équivalent de 130 à 250 kg/an/hab. d'aliments qui pourraient nourrir les 250 millions de personnes qui souffrent de la faim dans d'autres parties du monde.

FLD : Une réunion du 5+5 s'est tenue à Alger en novembre. Quelles en ont été les conclusions ?

C. L. : Cette réunion de dix ministres de l'Agriculture a fait le constat qu'il ne faut pas traiter de l'agriculture sur le thème de la concurrence mais plutôt en termes de complémentarité dans le cas de la sécurité alimentaire. C'est se mettre d'accord sur le plan de travail conjoint et comment diffuser les informations. Une des idées qui est née de cette réunion du 5+5 a porté sur la création d'un observatoire de la sécurité alimentaire. Pour nous, Ciheam, cela existe déjà avec nos travaux, nos recherches et nos coopérations.

« L'agriculture n'a pas un rôle mineur, elle devient la protagoniste de la politique du changement du monde. »

Le dialogue 5+5 a été créé il y a vingt ans et c'est la première fois qu'une telle réunion traite de l'agriculture dans l'agenda international. En 1995 le monde s'est réuni à Barcelone pour dire qu'il voulait une Méditerranée zone de paix partagée mais l'agriculture ne faisait pas partie des débats parce qu'on considérait que c'était le problème de la zone Sud de la Méditerranée. Mais, depuis, le monde a changé. On est passé de l'abondance à la pénurie et d'un système bipolaire au multipolarisme. L'Europe a donc totalement modifié l'accord pris avec la zone Sud de la Méditerranée.

SÉBASTIEN ABIS : Une des difficultés de la région méditerranéenne porte sur le fait de parler d'agriculture et de sécurité alimentaire. Cela est vrai pour le dialogue 5+5, pour le processus de Barcelone et plus encore pour l'Union pour la Méditerranée, qui n'a jamais su faire de ministérielles sur ce sujet. Au Ciheam, qui est une organisation internationale, les ministérielles existent depuis 1999. Une ministérielle sur l'agriculture s'est même tenue en 2003 à Venise sous la présidence italienne et Cosimo Lacirignola en était le grand initiateur.

FLD : Le monde est en mutation, comment le Ciheam appréhende-t-il ces changements ?

C. L. : Face à ces mutations, il faut essayer d'imaginer de nouvelles relations. C'était tout le thème de notre 10e ministérielle du Ciheam, qui s'est tenue à Alger le 6 février. On a abordé les thèmes agricoles liés à l'eau, au modèle alimentaire (la diète méditerranéenne), aux liaisons entre la sécurité alimentaire et la durabilité. Il faut être à l'écoute des agriculteurs. C'est pour cela que nous avons abordé le troisième type de gaspillage qui est celui du savoir et des connaissances. Comment le monde peut-il sauver le monde ? C'est à travers les savoirs et l'intelligence, c'est la seule arme. Ce ne sont pas les capitaux, le pétrole et les investissements. On est dans la phase des savoirs avec la révolution Internet.

« La filière fruits et légumes doit faire un gros effort d'organisation logistique. Elle est naturellement stratégique si on traite du modèle alimentaire durable, les fruits et légumes en sont le cœur. »

Il faut arriver à mettre en face l'intelligence et les connaissances face aux besoins des différents modèles agricoles. Car les producteurs demandent des savoirs adaptés à leur territoire. En Méditerranée, on a ce problème. La connaissance donnée à la filière algérienne n'est pas forcément la même qu'en Tunisie. Donc il faut adapter cette connaissance et c'est ce que nous sommes en train de publier dans nos éditions et à travers nos formations.

FLD : Comment peut-on échanger ces savoirs ?

C. L. : J'ai lancé l'idée d'organiser une réunion des jeunes agriculteurs de la Méditerranée. Car si on parle de futur, il nous faut écouter les jeunes. Des associations existent déjà en Europe. A nous de faire en sorte qu'elles existent au Sud.

S. A. : Pourquoi Cosimo Lacirignola tient ce discours ? C'est parce qu'il y a plusieurs éléments. On continue à croire que les grands problèmes de la région méditerranéenne ce sont les religions, les cultures, etc. Mais les vrais enjeux de demain sont déjà présents aujourd'hui : eau, alimentation, accès aux ressources, sécurité alimentaire, emploi...

FLD : Comment lutter contre les émeutes de la faim ?

S. A. : Il y a d'abord un constat, les tensions sont exacerbées en Méditerranée. Pour nous Ciheam, ces sujets sur l'agriculture et la sécurité alimentaire ne sont pas nouveaux. Aujourd'hui davantage de personnes traitent ces sujets. Or, il faut le rappeler, il existe un instrument de coopération qui appartient aux pays de la Méditerranée : le Ciheam.

C. L. : Depuis vingt ans que je suis au Ciheam, jamais nous n'avons eu de problèmes liés à la xénophobie. Cela veut dire que la paix n'est pas un drapeau. La paix, on la construit tous les jours avec le dialogue et les échanges de connaissances sont une arme formidable. La Méditerranée ne doit pas être le point de fracture du monde, elle doit nous rappeler qu'elle est le berceau de notre civilisation.

FLD : Outre les ministérielles, quel est le rôle fondamental du Ciheam ?

S. A. : Historiquement, il a facilité la mobilité des jeunes, des compétences, des idées dans la région. Par-delà ce constat, aujourd'hui les ministres comprennent qu'ils ont une organisation avec une certaine expérience dans la région méditerranéenne qui est de taille modeste mais qui rayonne dans toute la région. C'est cela la réalité du Ciheam, ce n'est pas uniquement des ministres qui se rencontrent et des chercheurs qui réfléchissent !

C. L. : On a actuellement 90 projets de coopération de recherche qui impliquent plus de 600 institutions scientifiques de 52 pays. C'est un quart de la planète ! Quand on pense au Ciheam, on le voit comme un catalyseur, une enzyme qui stimule, qui provoque, qui travaille et c'est ce capital humain qui est notre vecteur, les jeunes étudiants deviennent nos ambassadeurs.

FLD : Et les fruits et légumes dans tout cela ?

C. L. : Cette filière doit faire un gros effort d'organisation logistique. Elle est naturellement stratégique si on traite du modèle alimentaire durable, les fruits et légumes en sont le cœur. Il est nécessaire d'avoir une approche interculturelle, ce sont les autres qui doivent en parler, pas les agriculteurs. Il y a une communication importante à faire.

S. A. : Pourquoi les céréales sont-elles plus sensibles au marché ? Tout simplement parce que 20 à 25 % des céréales se retrouvent dans le commerce international, contre 10 % pour les fruits et 4 % pour les légumes. On ne parle donc pas de la même internationalisation du marché. Quand on parle d'agriculture, c'est forcément géopolitique.

C. L. : Le monde a changé. Le plus gros concurrent des agrumes espagnols, c'est la Chine. Pour faire face à cela, il faut un gradient plus grand, une organisation plus unie pour faire face à la Russie, la Chine, ou encore le Brésil.

FLD : Et la logistique en Méditerranée ?

S. A. : Prenons le cas du port du Pirée, après la révolution du conteneur, il y a la révolution immatérielle dans le transport maritime, les Chinois vont piloter le port à distance pour la manutention. Aujourd'hui on peut charger et décharger à distance comme on pilote un drone, grâce à l'innovation technologique et logistique.

C. L. : Le port de Rotterdam est le symbole même de l'axe Nord-Sud. Maintenant, la Méditerranée reçoit près de 30 % du commerce mondial. C'est d'ailleurs pour cette raison que les Chinois se sont intéressés à la Méditerranée et à ses ports. C'est pour cela que le thème du dernier rapport Mediterra (logistique et commerce) est d'importance.

Fld : Quelles sont les prochaines dates agricoles ?

S. A. : En 2015, il y a des rendez-vous qui vont sans doute confirmer ce retour des questions agricoles dans le discours international. Il y aura les 20 ans de la déclaration de Barcelone, sera-t-elle célébrée ou enterrée ? 2015 c'est la révision des objectifs du millénaire du développement, qu'il va falloir faire évoluer vers des objectifs de développement durable. Et puis c'est Coop 21 en France en décembre, ce sera une grande conférence sur le climat et la France entend mettre l'accent sur le climat et l'agriculture pour rappeler que les grands enjeux du changement climatique, c'est avant tout le monde agricole. Et puis c'est bien sûr l'exposition universelle de Milan dont le sujet est “Nourrir le monde”.

LOGISTIQUE ET COMMERCE : GRAND DÉFI DE LA MÉDITERRANÉE

Le 6 mars, le Ciheam organisait au ministère de l'Agriculture français la présentation de son tout dernier rapport Mediterra. Choisi par les treize Etats membres du Ciheam, le sujet de Mediterra 2014 porte sur la logistique et le commerce agroalimentaire en Méditerranée. Au total, 80 personnes se sont mobilisées pendant deux ans sur ce thème. Jusqu'ici, la question logistique était très peu traitée. C'est désormais chose faite et les fruits et légumes sont un cas d'école. A tel point que le rapport du Ciheam lui consacre 24 pages. « Sur un plan commercial les exportations de fruits et légumes de pays méditerranéens comme l'Egypte, le Maroc ou la Turquie ont eu tendance à s'accroître depuis le début du XXIe siècle. (..) De nouveaux débouchés ont émergé pour les agrumes et les légumes méditerranéens. La Russie constitue à cet égard le parfait exemple de nouvelle destination stratégique. (..) L'Espagne et le Maroc n'ont pas manqué le rendez-vous logistique et ont parfaitement su adapter leur potentiel productif aux exigences modernes de l'export. »

Mediterra 2014 : Logistique et commerce agroalimentaire. Un défi pour la Méditerranée. Presses de Sciences Po, 560 pages, 33 €.

Les treize pays qui sont membres du Ciheam, sont les suivants : Albanie, Algérie, Egypte, Espagne, France (membre fondateur), Grèce, Italie, Liban, Malte, Maroc, Portugal, Tunisie et Turquie. Le Ciheam est présent sur cinq sites : Chania (Grèce), Montpellier (France), Saragosse (Espagne), Bari (Italie) et le secrétariat général basé à Paris

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