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Jean-Luc Reymond et Philippe Josse
Le chef, le local et le maraîcher

Rencontre dans les champs à Chailly en Bière entre le maraîcher Philippe Josse et le chef des restaurants du Méridien Montparnasse, Jean-Luc Reymond. Grâce à un contrat moral intitulé “100 % local”, les cartes des restaurants portent désormais l’origine des fruits et légumes de la région.Un essai à transformer en 2011 !

A la carte, légumes de Chailly de chez Philippe Josse, lapin de Favières, brie de Nangis, filet d’omble chevalier, pommes ou poires des vergers de Beaumont… Voilà en quelques ingrédients la toute nouvelle offre des grands hôtels parisiens du groupe Starwood. « C’est une demande particulière d’un client qui m’a fait réfléchir sur notre façon de nous approvisionner dans les restaurants de l’hôtel Méridien Montparnasse, se souvient Jean-Luc Reymond, chef exécutif au Méridien Montparnasse. Il était Américain et me demandait quelle était la spécialité gastronomique parisienne. Et j’ai été incapable de lui répondre. En province, je lui aurais répondu du tac au tac. Car partout où vous allez en région, il existe une spécialité culinaire. » Quelque temps plus tard, la démarche 100 % local était lancée dans l’ensemble des restaurants parisiens à l’initiative, entre autres, de Jean-Luc Reymond du groupe hôtelier haut de gamme Starwood. 100 % local, c’est un menu ou des plats concoctés à base de produits venant d’exploitations situées dans un rayon de 200 km autour de Paris. « Attention, ce n’est pas une vitrine, c’est une option que nous avons voulu mettre à la carte. On n’est pas dans du militantisme. Notre démarche, c’est du soutien à l’économie locale, de partager davantage avec l’agriculture de la région. » Et pour parfaire le travail, les chefs des cinq restaurants se sont rendus plusieurs fois chez les producteurs de fruits et légumes, voire même champagne et vin. C’est chez l’un d’eux que Jean-Luc Reymond avait fait le déplacement, mi-juin en notre compagnie, chez Philippe Josse, maraîcher à Chailly-en-Bière (Seine-et-Marne), à quelques kilomètres de Barbizon. Ce producteur sélectionné par le menu pour ses légumes et salades destinés à la démarche 100 % local a été choisi car il approvisionne le groupe Mandar qui fournit les restaurants haut de gamme du groupe Starwood. « C’est la première fois que des chefs viennent me voir, pour comprendre comment je travaille, s’enthousiasme Philippe Josse. Des responsables de centrales d’achat, j’en ai vus, car ils nous aident à préparer les campagnes, mais cela n’a jamais été jusqu’à des restaurateurs ou des grands chefs comme aujourd’hui Jean-Luc Reymond. Et c’est un vrai plaisir de voir comment ils travaillent nos produits. Car finalement, nous, producteurs on est tous dans nos métiers, on cultive, on cueille et puis finalement, on ne sait pas ce qui se passe après. » Ce souhait de revenir aux valeurs essentielles, Jean-Luc Reymond l’a vraiment porté à bout de bras, « cela nous garde en lien avec la réalité économique locale. Avec le poste que j’occupe c’est une démarche que j’ai pu engager. Et, le groupe Starwood m’a donné tous les supports pour le mettre en place dans cinq restaurants d’hôtel du groupe : Le Westin, Prince de Galles, Méridien Montparnasse, le Sheraton de Roissy et le Méridien Etoile et même de le décliner dans le restaurant Justine au Méridien Montparnasse. »

La saisonnalité fait réfléchir les chefs du groupe Starwood sur de nouvelles recettes
Pour autant, monter une telle opération n’a pas été des plus simples. « A force d’être dans notre tour d’ivoire, on a perdu petit à petit les valeurs de notre métier, le travail des produits de saison. Alors avec cette nouvelle démarche, on est sorti de nos cuisines pour retourner aux sources. Grâce à ce nouveau dialogue avec les producteurs, on s’est vite aperçu de la difficulté de travailler la saisonnalité des produits. Faire des plats à base de légumes d’hiver, par exemple, n’a pas été des plus simples. Cela nous a conduits à réaliser un lourd travail de réflexion, d’être plus créatifs aussi quant à l’élaboration de nouvelles recettes. » Mais plus que tout, le chef exécutif du Méridien Montparnasse estime que la démarche locale consiste à mettre à plat de manière quasi complète l’approvisionnement des restaurants du groupe. « Jusqu’ici, pour se fournir en légumes ou en fruits, on ne se posait pas la question de la disponibilité. On bénéficiait d’une facilité à avoir des produits toute l’année. » Si la démarche 100 % local ne concerne encore qu’une faible partie des approvisionnements des restaurants, pour la confection de menus et maintenant la déclinaison à la carte d’une entrée, un plat et un dessert, la création d’un corner spécial petit-déjeuner avec le pain Poujauran, les confitures Andrésy, etc., Jean-Luc Reymond estime que l’aventure pourrait aller plus loin. Même si les débuts ont été périlleux. « Si nous étions tous sceptiques au démarrage, notamment parce que cela nous faisait enlever des produits de luxe fort appréciés de nos clients, après plusieurs mois d’essais, le pari s’avère concluant. Et, malgré la période hivernale, où l’offre devient plus restreinte en fruits et légumes, on a eu de très bons retours et cela nous a confortés dans l’idée qu’il n’y avait pas lieu de se tracasser ! »
Pour mener à bien cette démarche, l’hôtel Méridien Montparnasse a fait appel à son fournisseur de référence, le groupe Mandar installé sur le marché international de Rungis et c’est par lui que Philippe Josse a pu entrer dans la ronde des producteurs locaux sélectionnés. « Le 100 % local, chez nous, n’est pas imposé aux clients. »
Quant au volet financier et les prix d’achat de ces productions locales, Jean-Luc Reymond est catégorique. « Ils sont plus chers aux vus des volumes, qui ne représentent pour l’heure que 2 % de notre approvisionnement en fruits et légumes, par exemple. Nous, nous n’avons pas voulu nous battre sur les prix. Le surcoût est de 15 à 20 % sur les prix habituels mais on est vraiment sur des produits de niche comme les légumes que peut nous proposer Philippe Josse : le panais, le radis noir, le céleri, les différents choux… Au total, on reçoit l’équivalent de quinze caisses, soit trois à quatre colis 100 % local et nous sommes garants sur le paiement de ces volumes. C’est un contrat moral que nous avons pris avec les producteurs locaux. » Pour l’heure, les chefs parisiens du groupe Starwood ont décidé d’un galop d’essai pour une véritable mise en œuvre en 2011. Il faut dire que la campagne 2010 est très particulière, certaines productions ayant pris du retard et d’autres nouvellement testées se sont avérées infructueuses.

Un appel d’offres pour l’ensemble des f&l avec Mandar englobant le 100 % local
Comme toute commande fournisseur, ce contrat a fait l’objet d’un appel d’offres auquel Mandar a répondu pour l’ensemble de la gamme fruits et légumes. Et c’est grâce à ce nouveau challenge que Philippe Josse s’est, lui aussi, remis en question. « Cette démarche 100 % local, cela nous a permis de réfléchir sur nos productions, de nous interroger aussi sur des productions que nous avions abandonnées au profit de la salade, indique-t-il. Pour ce faire, j’ai loué des terres du côté du Loiret avec un peu de serres et un terrain plus léger sablonneux dans le Sud de la Seine-et-Marne à la lisière entre les deux départements. » Avec ce nouveau contrat moral, les possibilités d’arrivages de légumes sont davantage surveillées par les chefs. Ainsi, des initiatives sont prises en interne. « Il y a quelque temps, un de mes chefs est venu me voir en me disant “J’ai vu qu’il y avait du panais de disponible chez Josse, j’ai une petite idée de recette !” Alors je lui en ai commandé via la démarche 100 % local, souligne Jean-Luc Reymond. Avant, nous ne nous posions pas la question de la disponibilité des légumes en fonction du climat ou de la saison. Maintenant, on est davantage dans la réalité agricole, plus proches de la nature. L’idée, c’est vraiment d’avoir un réel partenariat entre Philippe Josse et nous. On a créé une proximité. Nous ne sommes pas là pour envoyer des mails et des fax, mais plutôt d’être au courant en temps réel des légumes disponibles selon les semaines. Cela permet de faire circuler davantage l’information et par la suite dans nos cuisines d’être en accord avec ce contrat moral que nous avons signé. » Pour autant, quelques calages sont encore nécessaires. Ce qui explique que 2010 sera une année “coup d’essai” tant pour les chefs du groupe que les producteurs. « Je souhaite que l’année prochaine, nous soyons davantage proactifs, en particulier sur la disponibilité des légumes qui seront disponibles chez Philippe Josse. Parce que, si on ne s’accorde pas, on n’y arrivera pas », martèle Jean-Luc Reymond. En clair, il faut trouver le bon équilibre dans les approvisionnements. A ce jour, le Méridien Montparnasse annonce qu’en termes de volumes en restauration, le 100 % local représente au maximum 2 à 3 % des approvisionnements. « Ce n’est pas ça qui fait la différence. La différence, ce sont nos clients qui la feront, qui en parleront autour d’eux. En tant que grande chaîne hôtelière, nous nous devons d’être présents sur tous les créneaux. On aura toujours des clients qui viendront chez nous pour manger du foie gras, du saumon fumé… Nous étendons juste notre marge de manœuvre sur la notion de saisonnalité pour pouvoir communiquer auprès d’une certaine clientèle tout en restant cohérents avec ce que l’on fait depuis toujours. » Après, Jean-Luc Reymond estime qu’il doit être garant du bon fonctionnement des approvisionnements de ses deux restaurants. « Aujourd’hui, pour le 100 % local, c’est moi qui gère les volumes et je sais où sont les limites d’un tel programme. Pour éviter de tuer ce nouveau partenariat, nous devons être un des clients de Philippe Josse, par exemple, mais pas de manière exclusive. Il ne doit pas dépendre totalement de nous. » En clair, jouer la carte du local tout en restant raisonnable quant à la demande en termes de volumes. « L’approvisionnement par le 100 % local commence à sortir du cadre. C’est en train de se déployer, on développe même un banquet spécial jusqu’à 200 personnes spécial 100 % local. Mais il nous faut rester raisonnable car nous n’avons pas dans l’idée que les producteurs deviennent totalement dépendants de nos commandes, c’est comme cela que je vois la chose, nous devons développer cette offre tout en restant  conscients de l’activité des producteurs partenaires de l’opération. »

Des framboises bientôt référencées dans le contrat 100 % local
Parallèlement au contrat signé avec Philippe Josse, Jean-Luc Reymond travaille avec cinq autres producteurs de fruits et légumes de la région, du côté de Versailles, dans le Gâtinais ou encore en Sologne en particulier pour la fraise. A propos de la cerise de Montmorency par exemple, l’hôtel Méridien la travaille un peu, mais la période est très courte (une quinzaine de jours tout au plus). Mais de nouvelles opportunités apparaissent grâce à certaines initiatives d’autres chefs du groupe Starwood. Au restaurant de l’hôtel Prince de Galles, par exemple, le chef travaille une framboise provenant d’un producteur qui ne cultive que ce fruit. « Le chef a fait circuler l’information sur ce petit producteur et nous allons bientôt passer nos commandes auprès de lui car il pourra nous fournir en fruits durant un mois un mois et demi. » De nouvelles opportunités qui recentrent donc davantage l’approvisionnement des restaurants du groupe sur une dimension plus humaine. Mais pour autant bien dans l’air du temps. Car le groupe hôtelier ne travaille pas le produit local seulement depuis trois ans. « On a toujours eu des produits de la région, mais on ne se posait pas la question de leurs provenances. On faisait des achats de fruits et légumes de manière globale et nous n’avions pas cet intérêt à se poser la question de la provenance à moins de 200 km de Paris. » En clair, d’un côté comme de l’autre, les mentalités évoluent petit à petit. Le chef Jean-Luc Reymond s’attache dorénavant davantage à la notion de provenance et de saisonnalité des produits même si pour l’heure cela ne porte que sur un volume faible d’approvisionnement en particulier en fruits et légumes. De l’autre, Philippe Josse s’est interrogé sur le devenir du marché des légumes et a remis au goût du jour des productions abandonnées depuis déjà plusieurs années. Sur les 112 ha dont il dispose, Philippe Josse est un spécialiste du légume et plus particulièrement de la salade. Pour approvisionner le Méridien Montparnasse, le maraîcher a planté quatre à cinq productions spécifiques. Pour ce faire, il a fait appel aux anciens salariés qui travaillaient avec ses parents. « Cela nous a sauvés car ils avaient la connaissance des techniques de culture. Ils nous ont aiguillés notamment sur les semis, quand il fallait semer en lune montante ou en lune descendante. Avec eux, on redécouvre des techniques que l’on avait un peu perdues. » Ainsi, panais, radis noirs, salsifis ou encore asperges commencent à ressortir des terres, après avoir été longtemps écartés faute de clientèle suffisante.

Philippe Josse réfute l’effet de mode
« La démarche 100 % local du Méridien ce n’est pas un effet de mode. Sa volonté c’est de réinstaller tout un système d’alimentation qui nous correspondait il fut un temps et que nous avons abandonné. Le principe c’est de le remettre au goût du jour. » Et de marteler : « Ce n’est pas un effet de mode. Sinon cela ne tiendrait pas. Personnellement, je ne me serais pas investi autant si je n’avais pas des gens compétents qui ont envie de mener à bien ce projet. Vous savez, tout cela représente des investissements : des semoirs à réaménager, à racheter, des multifraises… Alors si ça ne devait durer que six mois, ce n’est pas la peine ! »
En partenariat avec le groupe Mandar, Philippe Josse a établi tout un calendrier de culture afin que Jean-Luc Reymond puisse connaître à l’avance les prochaines productions de légumes disponibles. « Bien sûr cela dépend aussi du climat, cela peut varier d’une semaine ou deux tout au plus, mais là, par exemple, en juin, nous savons déjà, nous les chefs, sur quoi nous allons partir pour le menu de septembre ou les plats 100 % local ! Et c’est important chez nous de pouvoir anticiper. Chaque recette est établie avec une fiche technique. On ne laisse pas de place au hasard. Cela tue certes un peu la créativité mais on n’a pas le choix car nous travaillons sur du contractuel. Mais avec ce rapport privilégié avec le producteur, on peut affiner et changer si besoin en est quelques détails par le menu. Après, il faut bien comprendre que nous sommes un complexe de grande taille que nous avons des obligations vis-à-vis de nos clients, que tout fait partie d’un ensemble auquel participent aussi bien le service marketing, la direction comme les cuisines. »
Par ailleurs, le groupe Mandar n’est pas l’unique fournisseur de fruits et légumes frais des deux restaurants de l’hôtel. Des achats réguliers sont également menés auprès du groupe Charraire à Vitry-sur-Seine, ou encore Les Vergers Saint Eustache, implantés sur le marché de gros de Rungis.

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