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Laurent de Meillac, président de l’Association des producteurs européens de bananes
« L'Apeb, au centre de l'histoire de la banane »

De passage à Paris, Laurent de Meillac a rencontré fld pour détailler les grands hantiers qui l'attendent en tant que nouveau président de l'Apeb. Passionné par la anane et impliqué dans les organisations professionnelles depuis toujours, il nous pporte son regard sur l'évolution de l'organisation du marché européen et sur la uerre de la banane qu'il a vécue.

FLD : Vous venez d'être élu président de l'Association des producteurs européens de bananes (Apeb). Qui êtes-vous ?

LAURENT DE MEILLAC : Je suis un Martiniquais et producteur de bananes, très impliqué dans les organisations professionnelles. J'ai une grande préoccupation de la diversification. La plantation familiale à l'époque de mon grand-père était orientée vers la canne et le rhum et mon père a diversifié avec la banane. J'ai essayé en vain l'avocat, le citron vert, le maraîchage – j'ai été président de la Sicama (Sica maraîchère de Martinique), qui s'est arrêtée dans les années 1985-86. La diversification est difficile aux Antilles – d'ailleurs, les aides Posei pour la diversification ne sont pas totalement utilisées. Ça me plaît de servir la production et les Antilles, et j'ai une passion pour la banane, je baigne dedans depuis tout petit…

FLD : Quels seront les grands chantiers de l'Apeb sous votre présidence ?

L. d. M. : L'Apeb a pour but de défendre la filière communautaire (Guadeloupe, Martinique, Canaries, Madère) face à la concurrence internationale. Le problème aujourd'hui, c'est qu'un vent libéral souffle sur l'Europe qui ne défend pas ses productions. L'UE a commandité une étude sur le Posei avec une envie de réformer et malheureusement pas à la hausse. L'Apeb va se battre pour que l'enveloppe ne soit pas baissée. Il faut montrer à la DG Agri que l'argent est bien utilisé ! Nous attendons les conclusions de leur étude ainsi que de la nôtre d'ici septembre. Les budgets seront décidés en 2017 avant d'être étudiés par les Etats, pour une application au 1er janvier 2020. En parallèle, nous aimerions récupérer les budgets de communication (programme Rup, régions ultrapériphériques). Nous continuerons les actions afin d'améliorer les itinéraires culturaux pour une banane quasi bio. Nous avons le projet d'un Institut technique européen de la banane, qui est bien avancé. Enfin, côté communication, nous allons sortir une plaquette Apeb.

FLD : Quelles sont les caractéristiques des régions productrices européennes ?

L. d. M. : La banane européenne est produite dans les Rup et y est à la fois la première production agricole et le principal produit d'exportation. Il s'agit d'exploitations familiales et de petite taille : en moyenne 13 ha en Guadeloupe et Martinique, 1 ha dans les Canaries et quelques milliers de mètres carrés à Madère. En Afrique, la taille des plantations est en moyenne de 500-1 000 ha. En Amérique Centrale, où elles sont aux mains de grandes multinationales – Chiquita, Dole et Del Monte –, de 3000 à 5000 ha. Au sein même des Rup, nous avons des différences : climat tropical humide aux Antilles qui sont situées à huit jours de mer de la métropole, climat tropical sec à Madère et aux Canaries, situées à un et à un jour et demi. Mais nous sommes Européens malgré notre éloignement, c'est ce qui nous rapproche. A l'époque, nous nous étions rapprochés des îles caribéennes, des Africains, mais ils ne sont pas Européens et n'ont donc pas les mêmes intérêts.

FLD : Justement, comment a été créée l'Apeb ?

L. d. M. : L'Apeb a été créée en 1989 par Leopoldo Cologán Ponte, président de l'Asprocan (producteurs des Canaries), Mario Jardim Fernandez (président des Producteurs de Madère) et moi-même, alors vice-président de la Sicabam (Sica bananière de Martinique), juste avant la mise en place de l'OCMB (OCM banane) en 1993. Le marché unique était en route et il nous fallait faire quelque chose. Je me souviens qu'à l'époque Ray-mond Barre nous avait dit : « Ne laissez pas les fonctionnaires vous monter une usine à gaz. Il faut que vous alliez vous-mêmes leur expliquer ce dont vous avez vraiment besoin. » Nous nous sommes donc rapprochés des Canariens. Gérard Bally [qui a fondé l'association Eurodom en 1989 pour représenter les Rup, NDLR] s'est rendu en 1988 à Bruxelles pour faire du lobby à la Commission. L'Apeb est née et, depuis, a toujours été au centre de l'histoire de la banane.

FLD : Pourquoi une OCM dédiée à la banane ?

L. d. M. : Bonne question (rire). Je crois que c'est parce qu'un fonctionnaire européen, un Anglais, avait dit que la banane n'était ni un fruit ni un légume – ce n'est pas vrai d'ailleurs, car elle est à la fois un fruit quand elle est mûre, et un légume quand elle est verte et cuite comme une pomme de terre. Sérieusement, pourquoi une OCM particulière à la banane ? Parce que c'est, à mon avis, une production dirigée par des critères qui sont, à l'intérieur même des Rup, vraiment différents.

FLD : Quelle a été l'évolution du marché européen et de son organisation ?

L. d. M. : L'Europe est actuellement un marché de 5,7 Mt. La production communautaire est passée de 850 000 t en 2006 (16 % du marché) à 670 000 t (12 %). Les volumes ACP tournent autour du million de tonnes, le reste est pris par la banane dollar. Avant 1993 et l'OCMB, l'Europe était un marché protégé. Les bananes antillaises avaient un accès privilégié au marché français qui lui réservait deux tiers des volumes (décision de Charles de Gaulle), l'autre tiers allant aux ACP. Les Madériens envoyaient au Portugal. A l'époque, leur production était de 45 000 t – ils sont tombés à 12 000 t après 1993 et avoisinent aujourd'hui 17 000 t. L'Italie importait sans taxe de Somalie, qui était une colonie. Le Royaume-Uni, via le Commonwealth, avait des relations privilégiées avec Sainte-Lucie, Dominique, Grenade, Saint-Vincent et importait sans taxe ces origines ACP. Les bananes dollar étaient soumises à une taxe communautaire, la Tec, de 20 %. Dès la naissance de l'Europe en 1959, la France et l'Allemagne, importatrice de bananes dollar, se sont opposées sur cette taxe.

FLD : Et l'Espagne ?

L. d. M. : A cette époque, l'Espagne n'est pas encore dans l'UE et, de par sa Constitution, n'a pas le droit d'importer de bananes : les Canaries doivent approvisionner le marché espagnol, en produisant 420 000 t. En 1986, l'Espagne a intégré l'UE et les Canaries avaient le choix d'entrer ou non dans le marché unique. En 1988, je me suis rendu pour la première fois aux Canaries. Ils m'ont demandé mon avis et je leur ai dit : « Si vous êtes dans l'Europe et que vous avez un problème sur votre banane, l'Europe vous aidera. Si vous n'y êtes pas, vous serez considérés comme un pays tiers donc vous aurez des aides différentes ». Ils ont donc accepté.

FLD : Que s'est-il passé après la naissance de l'OCMB ?

L. d. M. : Dès le début, l'OCMB a été violemment attaquée par les Américains et Chiquita, via l'Allemagne. L'OCMB en 1993 prévoyait des quotas et un tarif douanier de 850 €/t en cas de dépassement pour les bananes dollar et de 750 €/t pour les ACP. Les quotas ont par la suite augmenté régulièrement. Ce régime de quotas était assuré par des licences d'importation. Les importateurs et mûrisseurs obtenaient des quotas en fonction de la quantité de bananes ACP et communautaires qu'ils commercialisaient. En parallèle, une aide directe était versée aux producteurs européens pour compenser leur perte de revenu provoquée par l'alignement du coût sur la banane dollar et ACP. Cela a fonctionné très mal car les Espagnols, avec leur marché protégé donc un écoulement privilégié, avaient des prix très élevés. Et comme cette aide était la différence entre la moyenne des prix communautaires et le prix du marché, les prix étant très élevés pour les Canariens et très bas pour les Antillais, les Antillais touchaient une compensation qui était faible. Paral-lèlement à cela, lorsque l'Europe s'est élargie de douze à quinze Etats (Autriche, Suède, Finlande en 1995), les quotas d'importation attribués à ces nouveaux membres se sont avérés largement supérieurs à leur consommation, ce qui a provoqué un sur-approvisionnement du marché européen et des prix absolument épouvantables.

FLD : Mais ce système de quotas a fini par être démantelé ?

L. d. M. : Oui entre 1993 et 2006. En 2004, avec le nouvel élargissement de l'UE, l'Apeb a pu faire réajuster les quotas. 2005 a donc été la meilleure année en prix de tous les temps. Mais la guerre de la banane continuait. L'UE a décidé de supprimer les quotas et de passer au tarif unique, qu'elle avait proposé à 230 €/t pour prendre en compte l'effet sur les productions communautaires. Finalement, après les accords, le droit est tombé à 176 €/t en 2006. Et ils nous ont donné une enveloppe – alors là je vous garantis qu'il a fallu nous battre pour l'obtenir –, proposée à 242 M€, et finalement de 280 M€. On est donc sorti du régime des quotas pour un régime de tarif unique et le programme Posei. Ce, à la grande fureur des Américains et de Chiquita ! Canaries Madère L Guadeloupe et Martiniqu

FLD : Chiquita était furieux de la fin des quotas après l'avoir tant réclamée ? !

L. d. M. : Les Américains ne se rendaient pas compte qu'ils avaient une manne financière énorme avec les licences d'importation qui obligeaient les producteurs sud-américains à passer par eux. Chiquita a perdu des fournisseurs qui peuvent venir directement en Europe sans passer par ses licences d'importation. C'est un peu schématique quand même, car c'est Chiquita qui possède les bateaux, les infrastructures portuaires, etc., mais ça leur est plus compliqué de conserver leur hégémonie.

FLD : Le Posei est-il la seule aide accordée aux producteurs ?

L. d. M. : Oui, c'est la seule. Des “références historiques” ont été fixées : 241 000 t pour la Martinique et 74 000 t pour la Guadeloupe, 420 000 t pour les Canaries et 45 000 t pour Madère. Pour toucher les aides, nous avons un “droit de produire” de 80 % de la référence pour les Antilles, de 70 % pour les Canaries et aucune obligation pour Madère.

FLD : Pouvez-vous survivre sans le Posei ?

L. d. M. : Cette aide est nécessaire face à nos concurrents favorisés. Le tarif unique sera de 75 €/t en 2020 [sauf pour l'Equateur qui n'a pas encore d'accord bilatéral avec l'UE, NDLR] et les pays ACP bénéficient d'aides à l'investissement européennes. Les salaires n'ont rien à voir : 75 €/jour aux Antilles, 100 €/mois en Afrique. La banane fournit des emplois dans les RUP, où le taux de chômage est cinq fois plus important qu'en métropole. Mais sans aide, pas de bananes, et dans les Antilles il n'y a pas d'alternative de culture avec un impact équivalent. Les aides sont bien employées : moderniser les exploitations, baisser considérablement les pesticides avec de nouvelles méthodes de culture. Aux Antilles et aux Canaries, les traitements ont baissé de moitié ! La production a augmenté à Madère. Je peux affirmer que la banane communautaire est la plus propre du monde, la plus verte, la plus équitable, la plus responsable !

Impliqué dans les organisations

Laurent de Meillac a été président du Syndicat des producteurs de Martinique (19741998), vice-président de la Sicabam (Sica bananière de Martinique) pendant dix ans, vice-président de la Chambre d'agriculture de Martinique et président de la Sicama (Sica maraîchère de Martinique). Vice-président de l'Apeb (Association des producteurs européens de bananes) depuis 2004, il en a pris la présidence au départ du président “historique” Leopoldo Cologán Ponte fin 2015. Il est aussi administrateur de Felcoop, à l'époque pour la Sicama et désormais pour l'UGPBAN, dont il a participé à la création il y a dix ans.

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