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« L'alimentation, un enjeu de société »

Didier Perréol, nouveau président de l'Agence Bio, est un homme de conviction, engagé et militant. Pionnier du “mouvement”, il est tombé dedans il y a plus de trente ans. Il conçoit le bio dans sa globalité incluant une nourriture saine et la préservation de l'environnement. Convaincu, il déclare qu'on peut nourrir la planète grâce au bio.

FLD : Quels sont vos projets pour ce mandat à l'Agence Bio ?

Didier Perréol : Un de mes premiers chantiers sera l'aide à la structuration de filière. Il faut réunir le monde agricole, les distributeurs et les transformateurs, et tenir compte de la demande des consommateurs. Face à celle-ci, on doit pouvoir emblaver, convertir des terres en bio, parce que le marché se développe. La demande en bio est croissante et ne va pas s'arrêter là. Mais encore faut-il le faire savoir au monde agricole. L'axe principal de mon mandat sera d'inciter mes collègues entrepreneurs à contractualiser, à s'engager sur des volumes et donner de la visibilité au monde agricole. Comme vous le savez, se convertir au bio se fait sur trois ans : on a une visibilité sur le long terme. L'engagement sur la durée et les volumes, c'est le vrai sujet pour la filière bio.

FLD : Vos autres projets ?

D. P. : Ma deuxième mission sera de continuer à expliquer le bio au consommateur, d'occuper l'espace médiatique. J'entends affirmer haut et fort que la filière bio est un espace de sécurité pour le consommateur parce qu'elle est tracée et qu'il y a des contrôles à toutes les étapes de la production. En bio, on privilégie aussi les produits de saison, c'est important de faire passer ce message aux consommateurs. Je suis un homme de médias, de communication et je pense qu'il faut faire beaucoup de pédagogie, il faut savoir expliquer les choses, que ce soit aux consommateurs ou auprès des professionnels amenés à travailler ou vendre des produits bio.

FLD : Certains acteurs du bio regrettent qu'il y ait une confusion entre bio et local. Votre avis ?

D. P. : En effet et c'est un peu regrettable, même si le bio s'inscrit dans une démarche globale. Si c'est local c'est bien, mais il faut d'abord privilé-gier le bio. Il faut bien distinguer la culture bio avec son cahier des charges rigoureux, exempt de pesticides, d'engrais chimiques, d'OGM et la production locale.

FLD : Les prix des f&l sont considérés trop chers par le consommateur, pas assez par le producteur. Certains acteurs de la filière militent pour des prix plus élevés et citent, en exemple, le bio. Le bio est-il plus cher ? Le mérite-t-il ?

D. P. : Oui. Le bio est automatiquement plus cher car il nécessite un coût de main-d'œuvre plus élevé. On doit aussi payer une certification pour le bio. Ce qui est une aberration ! C'est aberrant de devoir payer pour dire “Je suis propre, je suis net !”. Le bio demande aussi plus de connaissances techniques, surtout dans le domaine des fruits et légumes. S'il y a un problème sur la production, on ne peut pas faire le pompier avec les insecticides ! On sait aussi que la consommation de bio, notamment dans les cantines, entraîne moins de gaspillage… On parle souvent du prix mais, en fin de compte, le prix est vite gommé dans ces situations-là !

FLD : Moins de gaspillage ? Pour quelles raisons ?

D. P. : Nos produits sont mieux dosés déjà. On fait attention à ça. On essaie aussi de faire en sorte à ce qu'ils soient mieux préparés, mieux cuisinés. On privilégie la qualité.

FLD : Greenpeace fait un peu parler d'elle en ce moment. Elle a déclaré la guerre aux pesticides. Vous en pensez quoi ?

« On doit payer une certification pour être bio. Ce qui est une aberration ! C'est aberrant de devoir payer pour dire “Je suis propre !” »

D. P. : On ne peut que se réjouir et applaudir des deux mains que de telles organisations de notoriété internationale mettent ce sujet de santé publique sur la table. C'est un enjeu de société majeur. Ne pas parler à nos concitoyens des dangers qu'il y a avec les pesticides, c'est mentir. Pour moi, c'est un problème de société et de fond grave. C'est à la limite de la “non-assistance à personne en danger”. Je suis pour la transparence et pour l'information.

Bio express

Didier Perréol, a débuté sa carrière comme technico-commercial dans une société de vente d'aliments pour bétail après un Brevet de technicien agricole. Il est aujourd'hui “chef d'entreprise autodidacte, fils d'agriculteur, né en Ardèche, père de quatre enfants et convaincu qu'on doit soigner la nature” comme il aime à se définir. Président fondateur d'Ekibio, groupe de transformation de produits bio (neuf sociétés, 200 personnes au total), il est aussi vice-président du Synabio (Syndicat national des transformateurs de produits naturels et biologiques).

Fld : Autre thème d'actualité : pensez-vous qu'on peut “nourrir la planète” avec le bio ?

D. P. : Oui. Je le pense et je l'affirme. D'ailleurs, il y a eu un rapport demandé par la FAO à Olivier De Schutter(1) ça fait déjà quelques années et il le dit clairement : le bio, par sa biodiversité, peut nourrir facilement la planète. Affirmer le contraire est un préjugé largement diffusé par le milieu de l'agrochimie. Si on veut que la nature nous respecte, il faut la respecter. Mais il faut aussi accompagner les producteurs au niveau agronomique. C'est un peu le défaut qu'on a en agriculture bio : on ne se fait pas assez accompagner à ce niveau-là, pour travailler plus sur les variétés par exemple. Si on veut redonner l'envie de manger des f&l au consommateur, avec de vraies saveurs, il faut donner le temps à la nature de pousser. Dans le bio, on préserve cette volonté de donner au fruit ou au légume le temps de se développer à son rythme. On respecte les cycles naturels de la vie. La plante se développe ensuite toute seule. On n'est pas obligé de faire de l'intensif, on peut faire du qualitatif. Le bio peut tout à fait nourrir la planète. La civilisation occidentale est surnourrie et, de l'autre côté de la planète, il y a des gens qui crèvent de faim. On a un problème de répartition. La migration de certaines populations dont on parle beaucoup en ce moment est aussi liée à des problèmes d'alimentation. Ils partent parce qu'ils n'ont pas de quoi se nourrir chez eux. L'alimentation nous amène aujourd'hui à réfléchir sur notre société. Ces trente dernières années, on a fait beaucoup de mal ! Ce n'est pas irréversible, mais il est grand temps de se poser des questions. Si on continue encore pendant vingt ans, ce sera irréversible : c'est clair ! L'humain se détruira par lui-même. Il n'y aura pas la place pour tout le monde.

FLD : Vous affirmez que le bio est une solution pour nourrir la planète. A quelle échéance ?

D. P. : Tout ça doit se faire dans des étapes d'organisation du monde agricole, de la transformation. On est loin du 100 % ! En France, on est à 4 % de surfaces engagées en bio aujourd'hui. Il faut se donner des objectifs, des étapes. Il faut mettre en place les infrastructures nécessaires à ce développement et faire évoluer les mentalités. Ce n'est pas une histoire de calendrier, c'est une histoire de volonté, d'information, de pédagogie. Il faut que ce soit accompagné et que ce soit fait à échelle planétaire. La COP 21 nous donne un bel exemple : 195 délégués de différents pays viendront parler de problèmes énergétiques mais, pour moi, les problèmes énergétiques et l'alimentation, ce n'est pas dissociable. On est sur un problème de santé humaine planétaire et d'équilibre de notre monde.

FLD : Dans certaines parties du globe, les conditions climatiques n'autorisent pas l'agriculture…

D. P.: Oui, mais justement, on accélère ça. On crée des déserts, on a des ressources d'eau qui, malheureusement, sont en train de s'épuiser et on crée des disparités qui sont importantes.

FLD : Malgré tout ça, vous semblez optimiste…

D. P. : C'est mon rôle. Il faut être optimiste et positif. Il faut faire prendre conscience que l'enjeu est important.

FLD : Le secteur du bio semble parler d'une seule voix pour défendre ses intérêts. Il arrive à se faire entendre. Pour la filière f&l de manière générale, c'est moins vrai. Des conseils ?

D. P. : Non, on ne peut pas dire qu'il y a vraiment une unité dans le bio. On a la même approche que dans le conventionnel sauf qu'on a peut-être affaire à des exploitations de plus petits volumes. Pour ce qui est de se faire entendre, nous sommes des petits Mickey par rapport à l'industrie agroalimentaire ! Mais dans le bio, nous partageons les mêmes valeurs, c'est peut-être ce qui fait la différence : respect de la nature, de l'environnement, de la terre et de la relation humaine.

FLD : Vous sortez un livre “Entreprendre pour un nouveau monde : la réussite autrement”(2). Pourquoi ?

« Pour ce qui est de se faire entendre, nous sommes des petits Mickey par rapport à l'industrie agrolimentaire ! »

D. P. : J'ai voulu montrer que l'on peut entreprendre, avoir une entreprise qui, économiquement, fonctionne bien, tout en préservant la nature et l'environnement et en se préoccupant du bienêtre de ses collaborateurs. Sur mes terres natales, j'ai créé une entreprise, je la développe, je crée de l'emploi. On a instauré dans un milieu rural un tissu macroéconomique en lien avec la nature : je suis dans un village de 2 000 habitants. Cette réussite est liée à la valeur et les engagements qu'il y a derrière. Quand on construit des filières, on crée des liens avec le monde agricole. Je suis fils d'agriculteur. Je suis donc plus à l'écoute de mes producteurs qu'une personne qui fait de la prestation de service, quand on discute de prix par exemple.

(1) Juriste belge, il a présenté un rapport intitulé “Agroécologie et droit à l'alimentation” en mars 2011 à l'ONU.

(2) Lire aussi p. 47.

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