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La patate douce, plus qu’une mode

La production française étant balbutiante (lire Etat des lieux de la production française et Graines Voltz souhaite construire une filière française structurée) la patate douce est une spécialité d’importateurs. La majorité d’entre eux la travaille, de diverses origines.

En mars-avril, la patate douce sud-africaine est "primeur".
© DSA Import

Savoureuse, originale, énergétique, riche en vitamines, minéraux et substances antioxydantes… La patate douce est désormais partout. « À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de statistiques sur les niveaux de consommation et le profil des consommateurs pour ce légume. Néanmoins, on constate qu’il est de plus en plus présent dans les rayons et que les achats se développent », note le CTIFL dans son Point Infos de janvier-février 2018. Suscitant l’intérêt des consommateurs en quête de voyages et d’exotismes, mais aussi des chefs et des médias, la patate douce a dépassé le cadre de la consommation “ethnique”.

En Europe, c’est un produit en plein essor. Les importations européennes sont passées de 37 000 t en 2000 à 249 000 t en 2015, soit une croissance de 600 % ! À cela s’ajoutent environ 20 000 t d’importations sous forme surgelée, elles-mêmes en forte croissance. Les principaux fournisseurs du marché européen sont les États-Unis (125 000 t en 2015), l’Égypte, Israël et le Honduras (environ 10 000 t chacun), le Sénégal et l’Afrique du Sud (2000 à 3 000 t). L’Espagne fournit 20 000 t à l’Europe, soit un doublement en deux ans. La France est le 3e pays importateur de l’UE, avec 18 000 t (dont 7 000 t d’Espagne, 5 000 t d’Israël et 4 000 t des Pays-Bas). Nous sommes loin derrière le Royaume-Uni (126 000 t) et les Pays-Bas (56 000 t).

Le Cirad précise qu’en 2017, selon des données venant des douanes françaises et d’Eurostat, la consommation apparente en France (importations moins exportations) a été de 40 000 t, contre 17 000 t en 2015 et 25 000 t en 2016 ! La progression est fulgurante. « Les principaux fournisseurs de la France en 2017 ont été dans l’ordre : Espagne (14 493 t), Etats-Unis (12 871 t), Portugal (3 176 t), Israël (2 646 t)… Ceci hors production française qui est difficile à estimer faute de statistiques officielles », explique à FLD Philippe Vernier, agronome plantes à racines et tubercules au Cirad.

 

La patate douce, un produit d’import

« En quelques années, la consommation de la patate douce a fortement progressé, confirme Sébastien Morlet, commercial chez l’importateur Georges Helfer. C’est une évolution naturelle, car c’est un très bon produit gustativement parlant, même si en France on la consomme seulement comme une pomme de terre. Les usages culinaires sont pourtant vastes, les populations ethniques d’Afrique du Nord ou centrale la consomment par exemple aussi en friture. Cet usage tend à se généraliser. En revanche, la consommation en dessert est quasi nulle en France alors qu’elle est très développée aux États-Unis : la patate douce peut remplacer le beurre et le sucre dans certaines recettes de gâteaux. Je pense qu’en France nous allons y venir. » Sébastien Morlet estime néanmoins qu’il y a des freins à la consommation : un référencement au rayon exotique, une taille/poids important des tubercules… « Je pense que le développement de la patate douce sera tiré par des petits calibres, du préemballé et un référencement au rayon pommes de terre. Les importateurs poussent les GMS à effectuer ces changements. Ils sont d’ailleurs déjà en cours dans certaines enseignes. »

Georges Helfer travaille la patate douce (variétés Beauregard et Evangeline) depuis huit ans, et de manière continue depuis trois ans, sur l’origine Honduras et un peu les États-Unis. L’origine Égypte a été testée mais non reconduite suite à une qualité insatisfaisante. Le Sénégal, origine en pleine croissance, est regardé avec intérêt. Côté calendrier, en France, Sébastien Morlet note une consommation soutenue de février à mai voire juin. « Lorsque le maraîchage de saison et les fruits comme le melon apparaissent sur les étals, la demande pour la patate douce ralentit énormément. Ma capacité de vente peut passer de 30 t/semaine durant la fin de l’hiver à 5 t/semaine de juin à août. » L’importateur ne propose pas de patates douces quand l’Espagne, la France et l’Égypte sont présentes sur le marché, à partir de septembre jusqu’en décembre-janvier. Avec 600 t environ, à destination des GMS et des grossistes, ce produit est pour le moment un complément de gamme pour l’importateur mais il y a une réelle volonté de le développer. « Il y a un vrai potentiel, d’autant plus qu’il y a en France une vraie offre et connaissance variétales de la pomme de terre sur lesquelles s’appuyer pour la patate douce. »

 

Des petits volumes vers l’industrie

DSA Import, filiale d’Innatis, et le producteur sud-africain Dutoit se sont lancés dans l’aventure patate douce en 2010. « À l’époque nous faisions deux conteneurs, se souvient Arnaud Le Gualès, responsable de DSA Import. Aujourd’hui nous en faisons 60-70 ! Nous sommes arrivés sur un marché principalement approvisionné par l’origine États-Unis, qui propose de la patate douce 12 mois sur 12, avec un argument de vente, celui du calendrier : en mars-avril, la patate douce sud-africaine est “primeur” donc avec un meilleur gustatif. Aujourd’hui, les volumes américains se sont stabilisés, mais ceux de nouvelles origines se sont fortement développés : Afrique du Sud, Honduras, Israël, Espagne, et maintenant l’origine France. Selon nos clients GMS, le marché de la patate douce connaît une croissance annuelle à deux chiffres, du jamais-vu chez les autresfruits et légumes. »

DSA travaille les deux couleurs de patate douce : la chair blanche (peau rouge) avec les variétés Bosbok et Murasaki, destinées aux grossistes et marchés de spécialistes ; et la chair orange (peau orange) avec Beauregard, Evangeline, Bellevue et Orleans, pour les GMS. Le premier critère de segmentation sur la patate douce est la couleur de la chair. Puis le calibrage : S, M, L1, L2 et XL. « Les clients nous demandent de plus en plus une segmentation sur le conditionnement : en barquettes, en flowpack. C’est plus cher mais on y viendra », souligne Arnaud Le Gualès. L’entreprise DSA commercialise sur six mois, de mars à septembre, avant de laisser la place aux origines européennes qu’elle ne peut pas concurrencer en termes de prix. DSA avec Innatis avaient d’ailleurs essayé de produire en origine France dans l’Anjou, mais le climat était trop humide.
« Le succès est là, c’est un bon produit, dans l’air du temps, à l’époque traité comme un exotique mais qui tend aujourd’hui à être traité à part, comme le fait Carrefour. » Dutoit a la volonté de développer les volumes mais il y a une problématique de foncier. Dutoit représente environ 80 % de l’export sud-africain de patates douces, avec 2 000 t dont 1 500 t sur l’Europe. 1 300 t sont pour DSA, qui les commercialise en frais (1 000 t) et depuis deux ans, à l’industrie, 300 t. DSA livre sous contrat à un industriel « qui transforme la patate douce en frites, mais aussi en cubes. Selon notre client, l’activité industrielle sur la patate douce explose ». Mais il y a la question du prix, qui est un facteur limitant. L’industrie a besoin d’un produit peu cher…

 

Du marché français au marché européen

L’Israélien Mehadrin produit des patates douces depuis six ans. Environ 2 000 t sont récoltées d’août à mars-avril et vendues sur le marché français. Il s’agit d’un tubercule à chair orange, variété Georgia Jet puis Beauregard en fin de saison. « Nous avons vu les premières années une croissance exponentielle de ce produit, due surtout à une prise de conscience des centrales d’achats, qui plaçaient auparavant la patate douce dans la catégorie des exotiques donc lui laissaient très peu de linéaires, explique Serge Dubois, directeur commercial de Mehadrin France. La patate douce est devenue plébiscitée par les chefs, elle n’a plus été réservée à uniquement quelques segments de population. De plus, la patate douce est de plus en plus référencée vers le rayon pomme de terre. » Mehadrin fait état d’une demande soutenue pour son produit, après un petit fléchissement il y a deux-trois ans lorsque l’origine France a tenté d’émerger. « Bien sûr que nous voulons développer la patate douce, affirme Serge Dubois. Nous sommes très attentifs à la concurrence, l’origine française pour laquelle nous ne pouvons rien, mais aussi l’Espagne qui a un calendrier de commercialisation similaire au nôtre et qui est présente avec des prix très bas. Notre origine est appréciée par le consommateur, il y a un bon potentiel, nous devons trouver le bon prix. Après la bonne performance en France, nous avons sûrement une place à prendre sur le marché européen. Nous nous positionnerons à très court terme. »

 

Lire aussi les autres articles du dossier FLD :

- Etat des lieux de la production française

- Graines Voltz souhaite construire une filière française structurée

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