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Mediterra 2012
La géopolitique au bout de la fourchette

Edité par le Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam), le rapport Mediterra 2012 vient d’être publié. Intitulé “La diète méditerranéenne : pour un développement régional durable”. Rencontre avec deux des auteurs Martine Padilla et Sébastien Abis.

« Quand on parle d’agriculture, quand on parle d’alimentation et quand on parle de Méditerranée, c’est d’abord d’histoire dont on parle » : en présentant le rapport Mediterra 2012 intitulé “La diète méditerranéenne : pour un développement régional durable”, Sébastien Abis, administrateur au Ciheam, a posé le décor en quelques mots. « La diète méditerranéenne prend son origine dans le terme grec diaita, c’est-à-dire mode de vie, ce qui n’est pas juste un régime alimentaire. C’est une façon de consommer. Le pêcheur crétois ne consommait pas simplement des produits, il faisait des kilomètres pour aller les conquérir et les rechercher. Les alimentations méditerranéennes, ce sont les mémoires vivantes de la région, de ces pays regroupant et renvoyant au brassage culturel incessant, aux croyances religieuses et aux échanges commerciaux. Pensons à la Rome antique, pensons à Venise, pensons aux interdits alimentaires religieux, pensons aux bazars et aux marchés méditerranéens, pensons aussi bien sûr au pain et à la symbolique politique et social qu’il a toujours véhiculée. La diète méditerranéenne, c’est aussi plus près de nous une construction scientifique, notamment depuis les études menées par Ancel Keys à partir des années 60 et 70 et l’élaboration de pyramides alimentaires toujours plus affinées. »
La deuxième grande étape proposée par Mediterra concerne les transformations sociales et démographiques qui pèsent forcément sur les modes de consommation dans la région. L’alimentation, cela fait des années en Méditerranée qu’elle fait sa révolution.
La troisième partie du rapport porte sur les dimensions écologiques et les ressources naturelles, avec une question en filigrane : « La diète méditerranéenne est-elle un modèle durable ? Quelle exploitation responsable des terres agricoles, de l’eau et de la biodiversité implique-t-elle ? »
La responsabilité sociale des acteurs constitue la quatrième étape du rapport : responsabilité en agriculture dans des exploitations où le travail des femmes mais aussi des enfants reste fréquent et dépourvu bien souvent de droits ; responsabilité dans la grande distribution où les questions sociales et environnementales obligent les grandes et moyennes surfaces à composer avec ces exigences.

Le terroir est porteur de dynamiques locales et de projets économiques
Dans sa cinquième partie, le rapport Mediterra s’attaque aux articulations à trouver entre l’alimentation et les organisations professionnelles, « sachant que le terroir, le mot terroir, l’approche terroir, dont le terme français est difficilement traductible dans d’autres langues, mais qui est repris de plus en plus dans le bassin méditerranéen, ce terme terroir devient attractif car porteur de dynamiques locales et de projets économiques », précise Sébastien Abis. La recherche et le développement sont également examinés car l’innovation alimentaire et l’utilisation des biotechnologies deviennent des impératifs pour l’industrie en Méditerranée.
Enfin, le rapport s’attarde sur les stratégies actuellement déployées par les distributeurs pour adapter les produits traditionnels méditerranéens aux espaces modernes de consommation, qu’il s’agisse des marques propres, de marques de distributeur ou de marques collectives territoriales : « des outils existent aujourd’hui et s’affermissent pour différencier l’offre et séduire le consommateur ». Le droit, les aspects juridiques sont aussi explorés dans le rapport avec la question de la protection des produits de la Méditerranée « à l’heure où, par exemple, d’autres pays dans le monde se mettent à développer les mêmes productions – nous pensons à la Chine qui développe sa production d’huile d’olive. Doit-on pour autant créer un label commun méditerranéen comme solution pour la région alors que ce processus, on le sait, juridiquement et sur le plan institutionnel est très compliqué, très complexe, voire controversé ? »
Mediterra examine aussi les échanges agricoles et la mondialisation pour observer la vitalité commerciale des produits de la Méditerranée. « Ces derniers temps, on a beaucoup commenté, parlé, du fameux accord du libre-échange entre le Maroc et l’Union européenne. Accord de libre-échange signé et accordé en 2012, soit dix-sept ans après le lancement du processus de Barcelone qui disait rapprocher les rives de la Méditerranée. Cette controverse a notamment porté sur les productions de fruits et légumes marocaines avec une concentration, pardonnez-moi l’expression, sur la tomate. Un chiffre très simple : en 2011, le Maroc a vendu 50 % de ses fruits et légumes à la Russie. Son premier partenaire, son premier client pour les fruits et légumes marocains aujourd’hui, c’est le marché russe. C’est un simple exemple qui illustre complètement qu’il y a une mondialisation des échanges agricoles en Méditerranée et que les pays de cette région commercent avec le monde entier. »
La septième étape du rapport revient spécifiquement sur la santé et la sûreté alimentaire en Europe. « Nous avons travaillé avec l’EFSA, explique Sébastien Abis. Nous avons cherché à livrer un panorama des systèmes actuels qui permettent de protéger les consommateurs et de renforcer la sécurité sanitaire des aliments sur le continent européen, sachant que l’EFSA regarde de plus en plus les modalités innovantes de coopération avec les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, notamment dans le cadre de la santé animale. »
La huitième grande partie a été rédigée par la consultante égyptienne Habiba Hassan Wassef et est consacrée aux politiques publiques et aux actions citoyennes, d’abord en revenant sur l’éducation alimentaire, sachant qu’il y a urgence, vu que le surpoids, l’obésité sont des fléaux réels dans la région. Si la faim reste contenue encore dans le bassin méditerranéen, la malnutrition, notamment des enfants, progresse.
L’action des collectivités territoriales et les synergies à promouvoir entre alimentation et tourisme font également l’outil d’un chapitre, considérant que les changements politiques en cours devraient laisser plus de place aux activités locales et à la gouvernance des territoires. Sébastien Abis pose « deux petites questions très simples. On oublie parfois dans l’équation sur nourrir la Méditerranée qu’il y a 300 millions de touristes chaque année dans le bassin méditerranéen. C’est 300 millions de bouches à nourrir aussi dans cet espace aux ressources limitées. »

Le modèle alimentaire méditerranéen n’existe plus en Méditerranée
Pour le compte de Mediterra, Martine Padilla, administratrice principale du Ciheam, s’est penchée sur la consommation alimentaire régionale et son attractivité au niveau international. « Notre modèle méditerranéen référence n’existe pratiquement plus en Méditerranée, sauf sur certaines catégories de population. En quarante ans, tous les pays se sont éloignés de ce fameux modèle, y compris le pays symbole de l’alimentation méditerranéenne, la Grèce. On est passé d’une alimentation essentiellement végétale à une alimentation de plus en plus carnée. » Ainsi, en quarante ans, la consommation de produits d’origine animale a doublé en Italie, en Grèce, en Espagne. Toujours plus de sucres, de sodas, de biscuits. « Il est quand même caractéristique aujourd’hui que l’on consomme des boissons sucrées à la place de l’eau pour accompagner des plats traditionnels. » Conséquence : l’obésité déferle aussi sur la Méditerranée, surtout en Grèce où « un adulte sur trois est aujourd’hui obèse. Et près de la moitié des enfants est en surpoids en Crète ». Désormais, un étudiant hollandais consomme beaucoup plus de céréales non raffinées, de légumes et d’huile d’olive qu’un étudiant grec.
« Sortons de la Méditerranée et regardons ce qui se passe dans le monde », propose Martine Padilla qui pose trois questions : « Est-ce qu’on peut parler vraiment de méditerranéisation des modes alimentaires dans le monde ? Si oui, sous quelles formes se manifeste-t-elle ? Et finalement, à qui profite-t-elle ? » L’auteur constate une « très timide méditerranéisation dans certains pays comme le Canada, la Suède ou encore le Royaume-Uni, mais rien vraiment de convaincant ». On ne peut pas parler globalement de méditerranéisation de l’alimentation dans le monde. Ce que l’on observe en revanche, c’est que certains produits méditerranéens éveillent vraiment un engouement très important de certains pays, notamment l’Australie ou la Chine. « Là, il y a des nouveaux marchés très importants. L’Australie et la Chine sont extrêmement intéressées par l’huile d’olive, par les olives, par le vin et par certains fruits et légumes. » L’évolution des importations l’huile d’olive en Australie ou en Chine est, ces dernières années, très importante. « C’est un marché absolument fantastique. Mais pas seulement, prévient Martine Padilla. Car si ces pays importent, ils se mettent à produire. Ce qui veut dire que ces pays s’intéressent à nos produits méditerranéens et se portent déjà en tant que concurrents des pays méditerranéens. C’est un message d’alerte qu’il faut lancer aux producteurs de la région ». Donc, les pays hors Méditerranée importent de plus en plus de produits méditerranéens et, de l’autre côté, les pays méditerranéens exportent toujours plus de produits. « Mais c’est au détriment de leur consommation locale. Les Méditerranéens se démunissent de leurs produits de qualité qu’ils exportent hors Méditerranée. Et eux consomment d’autres types d’aliments, notamment les aliments industrialisés. » Il y a en fait une déconnexion entre la production de certains pays du Sud-méditerranéen et les exportations.
Ainsi, en dix ans, le Liban a diminué légèrement sa production de fruits et légumes et, dans le même temps, a vu ses exportations augmenter de plus de 84 %. C’est vraiment une production locale pour l’exportation avant tout. « Ainsi, le reste du monde devient, pour la production agricole, un sérieux concurrent de la zone méditerranéenne. Ce qui est grave pour le patrimoine agricole alimentaire. »
Si ailleurs dans le monde les consommateurs sont sensibles au territoire méditerranéen, avec toutes les références qui sont derrière ce mot on pourrait penser qu’un merveilleux marché international s’ouvre pour l’économie méditerranéenne mais cela peut être au risque, au mépris d’un épuisement des ressources locales. « Il est temps vraiment de mettre en alerte les pays méditerranéens en disant attention, l’alimentation méditerranéenne aujourd’hui est intéressante pour tout le monde mais elle va surtout profiter aux non-Méditerranéens si on ne prend pas garde à préserver notre patrimoine. »
Dernier espoir, l’inscription par l’Unesco de l’alimentation méditerranéenne au patrimoine immatériel de l’humanité. « Cela pourrait créer un sursaut chez les Méditerranéens dans les années qui viennent. Espérons que ce soit cette voie-là qui soit prise très prochainement », conclut Martine Padilla.

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