Marché mondial-Russie
La France table sur la qualité de son offre
Marché mondial-Russie
Avec ses 140 millions d’habitants, la Russie est un marché de tout premier ordre. La France y est bien présente avec son produit phare, la pomme. Même le commerce du côté de l’Oural relève d’un parcours du combattant.









L’entrée de la Russie dans l’OMC va redistribuer les cartes en matière d’exportation de fruits. Quelques heures après son annonce le 16 décembre, l’agence de presse russe Interfax indiquait que la Russie pourrait réduire de moitié ses droits d’importation sur les pommes dès l’année prochaine : ils sont actuellement de 0,20 € le kilo et devraient alors passer à 0,06 €/kg, pour être abaissés à 0,03 €/kg pour 2017. En 2010, la France a exporté un peu plus de 29 500 t de pommes en Russie, ce qui constitue le premier fruit vers cette destination et sur les neuf premiers mois de 2011, plus de 26 300 t. « La Russie est, pour la France, un client à part entière, et non plus un simple pays émergent, souligne Eric Guasch, directeur de Cominpex, et vice-président de l’Affra (Association France-Russie pour l’agroalimentaire). C’est pourquoi nous mettons beaucoup d’espoirs dans l’entrée de la Russie dans l’Organisation mondiale du Commerce. Si, comme on l’a entendu, la Russie pouvait réduire de moitié ses droits d’importation sur les pommes en 2012 et en 2017, cela influerait positivement sur la compétitivité des exportateurs français qui en ont besoin et sur la rémunération des producteurs qui en ont fortement besoin. Nous insistons sur le fait que nous comptons sur le soutien des Pouvoirs publics pour que la France, après un léger recul, défende et augmente sa part de marché sur ce pays. »
Un marché alléchant mais complexe
Il est vrai que la Russie fait figure d’Eldorado pour bon nombre de pays producteurs. John Giles est directeur chez Promar International (groupe Genus-ABS), un cabinet d’études et de consulting au Royaume-Uni. Pour lui, la Russie demeure bel et bien « le joyau de la couronne ». « De tous les pays émergents de l’Europe de l’Est et de l’ancienne Union Soviétique, la Russie demeure toujours la plus intéressante jusqu’à présent, avec des importations de fruits frais devançant celles de tous les autres pays de la région. L’attraction du marché russe est indéniable avec 140 millions de consommateurs, une économie florissante et un revenu par personne en progression. A travers le pays, on note aussi des zones de très fort chaland. Depuis la chute du Communisme, la filière agricole locale ne peut subvenir complètement à la demande au moyen et au long termes. » Mais qui dit marché intéressant, dit pléthore de courtisans. « Les principaux fournisseurs internationaux visent plus ou moins ce marché, précise John Giles. Ce qui fait que l’environnement de ce dernier représente à bien des égards une concurrence parfaite où beaucoup de fournisseurs entendent travailler avec beaucoup d’acheteurs. Seule une approche au long terme peut offrir des chances de succès. » Certains pays producteurs sont de rudes concurrents, d’autant plus que des relations commerciales spéciales existent, comme l’explique Eric Guasch : « Les tonnages en pommes et poires ont été en légère baisse par rapport aux prévisions sur les mois de septembre, octobre et novembre. Nous connaissons une forte concurrence de certains pays de l’Est avec, cette année notamment, la Serbie qui bénéficie de conditions particulièrement avantageuses à l’entrée du pays (clause Nation la Plus Favorisée). Ainsi, la France doit s’acquitter de la TVA russe de 18 % plus 40 % de droits de douanes ad valorem. La Serbie n’a que la TVA à régler. Cela, au final, fait une différence de 0,30 à 0,40 euro du kilo, ce qui est loin d’être négligeable, considérant les volumes concernés. Nous avons du coup un vrai handicap au niveau du prix. La précocité de la saison a fait que nos volumes de Royal Gala étaient prêts à être exportés dès juillet, ce qui coïncidait bien avec les attentes de la Russie. Mais, trois semaines plus tard, les flux s’arrêtaient quasiment avec l’arrivée des autres pays fournisseurs. La Pologne, entre autres, que nous reconnaissons comme un concurrent traditionnel, mais aussi tous les pays baltes. Face à cette vague déferlante, la France ne peut être concurrentielle. Nous avons connu un niveau de rémunération très bas. »
Le poids des réglementations et des habitudes
Entrer sur le marché russe n’est pas aisé. Les exportateurs français le savent bien, eux qui ont dû faire face à des restrictions portant souvent sur le volet phytosanitaire. « En 2010, la France a exporté plus de 29 000 t de pommes et 3 700 t de poires, indique Daniel Soares, responsable Marchés extérieurs à Interfel. Nous étions aussi présents en tomates (2 700 t) et en carottes/navets (1 600 t). Nous avons connu une forte crise au début 2009, En juillet 2010, les autorités russes ont néanmoins aligné certaines de leur LMR sur celles de l’Union européenne. Sur les neuf premiers mois de 2011, la pomme a représenté plus de 26 300 t. » La situation précédente était particulièrement délicate : les niveaux russes demandés, par exemple pour les traitements contre le carpocapse, étaient cent fois inférieurs que ceux de l’Europe. On en était presque au niveau de la limite de détection. Et Eric Guasch de renchérir : « Nous avons aussi eu une bonne nouvelle en 2011 avec l’abrogation des certificats de sécurité, une obligation très contraignante nécessitant son établissement pour chaque expédition par un laboratoire accrédité, pas forcément en France. »
Pour bon nombre d’opérateurs, le marché manque encore de véritable transparence. Certains exportateurs ont exprimé des craintes sur la façon dont ils peuvent être payés. John Giles, lui, reste serein : « Selon les indicateurs internationaux, la Russie n’est probablement pas un marché plus risqué que beaucoup d’autres pays émergents à l’heure actuelle. L’existence de barrières non tarifaires sur les produits alimentaires par le gouvernement russe a certainement été un problème dans le passé, mais l’arrivée de la Russie au sein de l’OMC devrait rendre les choses plus faciles. Malgré les problèmes et les défis représentés par sur la Russie, le “gâteau” est important et réussir sur ce marché requiert du temps et des ressources. »
Une distribution très atomisée
Dire qu’un exportateur doit composer avec un nombre important d’interlocuteurs en Russie relève de la litote. En cinq ans, le nombre de magasins est passé de moins de 6 000 à plus de 10 000 avec une prédominance du format hard discount. D’autre part, le marché de la grande distribution alimentaire se caractérise par une extrême atomisation. Elle se concentre en réalité dans les principales villes à l’Ouest de l’Oural où 80 % de la population habite. Selon Ubifrance, le poids des 50 plus grands réseaux de distribution ne dépasse pas 40 % du chiffre d’affaires du secteur. Les grands enseignes ne se taillent pas la part du lion. Le principal distributeur russe X5 Retail n’assure que 6,8 % du chiffre d’affaires (source IGD) et le deuxième, Magnit, aligne 3 %. Cependant, ces deux enseignes représentent plus de la moitié des surfaces en 2010. Les distributeurs internationaux sont présents mais pareillement ne représentent pas une part conséquente de l’activité : Auchan (3,1 %), Real (0,3 %), Spar (0,4 %). Quant à Carrefour ou Walmart, ils ont préféré jeter l’éponge après avoir affiché dans un premier temps de fortes intentions d’implantation. Le rachat, courant 2010, de Kopeyka par X5 Retail sonne peut-être l’heure de la consolidation de la distribution alimentaire russe.
La qualité pour entraîner le reste de l’offre
Et cela d’autant plus que, comme le souligne Ubifrance, après une période de forte consommation, les Russes se montrent désormais beaucoup plus sensibles au prix. Les supermarchés et les discounters proposent désormais une gamme variée de produits alimentaires à prix bas. Ces derniers comptent pour 90 % du chiffre d’affaires de la grande distribution dans le pays. L’origine française, même s’il s’agit de produits de moyenne gamme, se positionne dans l’univers des “produits gourmets”. Dans un contexte de resserrement de la consommation, cela pourrait paraître handicapant. Mais pas obligatoirement comme l’explique Hervé Morel, de Fédepom : « La France a exporté sur la campagne 2010-2011 près de 120 000 t de pommes de terre vers la Russie, dont environ 25 000 t en direct, notamment grâce à la ligne maritime entre les ports de Dunkerque et de Saint-Pétersbourg. Même s’il s’agissait d’une année un peu atypique à cause de la forte demande russe consécutive à la sécheresse dans le pays, nos positions se renforcent puisqu’en 2007, les tonnages exportés ne représentaient pas plus de 20 000 t. En termes de marché, la pomme de terre française est considérée comme un produit haut de gamme : variétés à chair ferme, packaging, lavage... L’Allemagne, en revanche, a considéré la Russie plus comme un marché de dégagement. C’est ce positionnement qualitatif qui a permis aux opérateurs français d’introduire d’autres variétés de pommes de terre. Ainsi, on va pouvoir trouver dans certains supermarchés en centre-ville des “Charlotte” et des “Ratte” françaises emballées et, dans les banlieues où le pouvoir d’achat est moindre, la France arrive à passer sur le produit lavé vendu en vrac. »
Aborder le marché russe avec une qualité premium a finalement permis d’être présent sur une gamme plus large.