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Pascale Hébel
La France a loupé l'opération “Un fruit à la récré”

Directrice du département Consommation au Crédoc, Pascale Hébel a accordé une interview à Fld pour faire le point sur l'alimentation des Français durant les cinq dernières années et les changements survenus depuis la crise de 2008. Un éclairage plus qu'intéressant pour la filière fruits et légumes.

FLD : Quelles sont les principales modifications de consommation des cinq dernières années ?

PASCALE HÉBEL : En termes de consommation, il y a eu un très grand changement lié à la crise économique fin juin 2007. Et en 2008, nous avons connu une explosion des prix qui a conduit les consommateurs à changer leurs habitudes avec une hausse frôlant les 15 % dans l'ensemble des produits de consommation. Jamais nous n'avions connu une augmentation aussi forte.

FLD : Comment se sont comportés les prix des fruits et légumes durant cette période ?

P. H. : Contrairement à l'alimentaire d'une manière générale, pour les fruits et légumes les prix sont complètement liés aux effets climatiques. Ils ont donc été moins impactés par cette hausse générale des prix. Pour autant, il existe tout de même un bémol pour les fruits qui ont tendance à augmenter plus vite que l'alimentation dans sa globalité. C'est certainement lié aux intermédiaires et aux circuits de distribution. Sans doute qu'en 2008, la part liée aux intermédiaires a augmenté plus fortement.

FLD : Quelle analyse faites-vous de cette moindre consommation alimentaire ?

P. H. : Nous n'avons jamais connu une telle baisse des dépenses alimentaires comme celle que nous subissons depuis quelques années, et ce depuis les années soixante. D'habitude, en période de crise, l'alimentation ne baisse pas ou très peu. De nouvelles manières de consommer sont en effet apparues, telle la frugalité alimentaire qui se maintient encore aujourd'hui. Celle-ci consiste à s'alimenter en enlevant tout ce qui est superflu. Cela a été notamment le cas pour les produits light ou les aliments santé. Ainsi on a répertorié des gens qui se privent de certains aliments. On note vraiment une baisse des achats de viande, et plus particulièrement des produits vendus au kilo. On en arrive à ne plus consommer certains aliments, ce qui peut aussi conduire à l'insécurité alimentaire.

« Depuis 2008, de nouvelles manières de consommer sont apparues, comme la frugalité alimentaire et une prise de conscience écologique. »

FLD : Cette frugalité alimentaire touche-t-elle aussi les fruits et légumes ?

P. H. : La consommation de fruits et légumes n'a pas connu cette baisse générale. Et ce, en partie grâce à la communication lancée dans le cadre du Programme national de nutrition et santé (PNNS). Ce n'est vraiment pas sur ces produits que la baisse s'est fait ressentir. Si l'on prend l'année 2012, le pouvoir d'achat des ménages a chuté de 2 % alors que le budget pour l'alimentation a augmenté de 4 %. En clair, la tendance à la baisse de la consommation alimentaire s'est arrêtée. Mais plus spécifiquement ce que l'on constate pour les fruits et légumes, c'est un choix d'achat qui s'effectue entre les produits de la gamme fruits et légumes, la consommation se stabilisant plus qu'elle ne diminue. On note aussi des choix faits délibérément comme celui de ne plus consommer de fraises en hiver. Il y a ainsi une prise de conscience écologique dès 2008-2009.

FLD : Comment expliquez-vous cette prise de conscience écologique ?

P. H. : C'est un mouvement important qui s'est créé en même temps que la crise. On a vu naître le message “J'ai envie de consommer des produits made in France” ou “J'ai envie de produits locaux”. C'est un mouvement vraiment lié aux problèmes écologiques “Je ne veux pas des produits qui sont transportés par avion”, etc. C'est une attente très forte des consommateurs en période de crise. On avait eu un précédent de mouvement comme celui-là en 1993 avec des produits plébiscités car ils favorisaient l'emploi en France. Aujourd'hui c'est l'emploi et en même temps la lutte contre la pollution. En clair, on a enlevé le superflu et cela a entraîné une baisse générale dans le budget alimentaire. Les notions “Je fais à manger” ont fortement augmenté en 2008-2009 et cela a progressé encore un peu plus en 2012. La crise des lasagnes à base de viande de cheval a certainement fait progresser la consommation en légumes frais.

FLD : Quel est réellement l'impact du message “5 fruits et légumes par jour” du PNNS ?

P. H. : Si l'on se penche sur la consommation en fruits et légumes des Français, on note clairement une diminution du nombre de petits consommateurs de fruits et légumes entre les années 2007 et 2010. En revanche, ce que l'on voit, c'est la jeune génération (25-34 ans) qui ne consomme pas du tout de fruits et légumes. Là, le message santé n'a aucune prise. Ils restent non consommateurs tout comme les ménages les plus modestes. On note aussi que plus on a d'enfants, moins on consomme de fruits et légumes. Il ne s'agit pas dans ce cas d'un manque d'argent mais jouent le temps de préparation et le côté compliqué des fruits et légumes.

FLD : Comment se fait-il que le fruit disparaisse du repas ?

P. H. : Actuellement chez les jeunes, le repas est très simplifié. L'entrée disparaît et le dessert est supprimé pour des raisons économiques. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce manque de fruits n'est pas compensé par la consommation de compotes. A ce stade, le message du “5 fruits et légumes par jour” est entendu par les ménages déjà consommateurs. En revanche, il est beaucoup moins perçu par les 25/34 ans. Chez les ados, il s'agit plus d'une frugalité alimentaire qu'autre chose et chez les jeunes adultes l'impact de la crise est beaucoup plus fort : on voit une baisse de la diversité alimentaire. C'est vraiment pour le fruit qu'il y a des différences.

FLD : Et les opérations “Un fruit à la récré” ont-elles un impact sur la consommation ?

P. H. : Leur effet se ressent chez les enfants car ils apprennent à manger différemment. Avec la crise c'est plus complexe. On observe par exemple chez les personnes âgées de plus de 65 ans que le fruit a été enlevé du repas et les plus jeunes passent de produits à marque à du 1er prix. En 2008, la suppression du fruit dans le repas se posait davantage pour la tranche des cadres et des cinquantenaires. Là, on note que cela touche les personnes plus âgées. Du côté des enfants, la France a loupé l'opération européenne “Un fruit à la récré” car c'est une filière qui n'a pas d'argent. Cela n'a marché que dans les régions où les productions sont bien présentes. Pourtant c'est la vraie solution car chez soi on ne mange pas forcément diversifié. L'école est un lieu où c'est possible. C'est clairement une histoire de volonté politique. C'est un message idéal pour les prochaines élections municipales, c'est évident !

FLD : En termes d'offre fruits et légumes, que pensez-vous de la fraîche découpe ?

P. H. : L'enseigne McDonald's est le plus gros vendeur de fruits découpés aujourd'hui. Si ce produit n'est pas plus cher qu'un yaourt, il aura toutes ses chances d'être largement privilégié par les consommateurs. Pour ce genre de produit snacking, personne ne regarde le prix au kilo. Je crois donc beaucoup au développement de cette offre. Les compotes prennent des parts sur la consommation de yaourts mais il faut autre chose que des compotes même si l'offre est variée.

FLD : Que préconisez-vous aux opérateurs de la filière fruits et légumes ?

P. H. : Il faut tenir compte du fait qu'on ne peut pas garder les fruits plus de trois jours. Cela participe à la mauvaise perception du prix des fruits et légumes. Pourtant il y a des choses à faire, en utilisant l'histoire du fruit ou du légume. Se pose aussi la question de la qualité des fruits ou des légumes qui peut ne pas être constante. Il faut y travailler. En melon c'est déjà le cas, ils ont réussi à trouver une variété à la qualité constante. Si l'on prend l'exemple du yaourt ou de la compote, leur qualité gustative reste identique. Alors que pour un fruit ou un légume frais ce n'est pas forcément le cas. En cela, nous avons enregistré de la part des consommateurs l'envie d'avoir des labels sur les légumes ou les fruits qui garantiraient la qualité gustative des produits. Ils attendent une marque, voire un label reconnaissable, qui assurerait la qualité gustative des fruits ou légumes. C'est le gros problème de ces produits : tant qu'il n'y aura pas de qualité gustative constante et pas de marque, les consommateurs ne verront que le prix du produit. Si l'on prend le cas d'un biscuit ou d'un yaourt, l'emballage a toute sa place, il peut être joli et, dans ce cas, personne ne pense un seul instant à regarder le prix. Et bien, les fruits et légumes tels qu'on les voit aujourd'hui, cela ne fait pas rêver...

FLD : Quelle est la principale donnée de votre dernière étude sur les fruits et légumes ?

P. H. : Dans notre dernière veille de consommation ce qui m'inquiète le plus, c'est la simplification du repas qui entraîne pour beaucoup la suppression automatique du fruit à la fin de celui-ci. C'est franchement très bizarre. Ce que l'on note aussi dans les cantines, c'est une non-valorisation de l'offre et c'est très dommage. Chez les jeunes parents, ne pas consommer de fruits entraîne de fait une non-consommation chez leurs enfants. En effet, on se nourrit souvent par mimétisme. Si personne n'en consomme dans la famille, ce n'est pas l'enfant seul qui va le faire...

FLD : Quelle autre particularité avez-vous notée ?

P. H. : Contrairement à ce que l'on pensait, l'arrivée d'un bébé chez de jeunes parents n'a pas forcément d'impact sur la consommation des fruits et légumes du foyer. Ce qui disparaît chez les jeunes couples, justement, c'est le fruit consommé, jugé comme chronophage et trop compliqué à manger.

FLD : Et les achats via le drive ? C'est une solution ?

P. H. : La France est une palette de diversité en produits du terroir. Or, bon nombre de ces produits correspondent à de petits volumes de vente que l'on ne repère pas forcément en grande surface. Là, l'offre drive a un atout à jouer en présentant toute cette richesse sur Internet. En parallèle, cette offre drive surfe sur cette conscience écologique et sur cette frugalité alimentaire dont je vous parlais tout à l'heure.

BIO EXPRESS

Après avoir pratiqué la recherche au sein de l'INRA, Pascale Hébel a participé à la réalisation d'études pour l'OCA, un observatoire de la consommation alimentaire avec le Crédoc. En 1998, elle travaille auprès d'ACNielsen, un leader pan-européen des panels consommation. Par la suite, elle est nommée directrice du département marketing au BIPE. Depuis octobre 2004, elle est directrice du département Consommation au Crédoc.

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