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« La filière fruits et légumes devrait aider la RHD »

Le directeur général de Gira Conseil considère que la filière fruits et légumes ne profite pas de la bonne santé générale du secteur de la restauration hors foyer. Pour Bernard Boutboul, elle doit se rapprocher du restaurateur pour l'aider à élargir une offre qui ne satisfait actuellement pas ses convives.

FLD : Pourriez-vous nous dresser le portrait du secteur de la restauration hors foyer en 2015 ?

BERNARD BOUTBOUL : Le marché de la consommation alimentaire hors domicile se porte plutôt bien. Il est, en outre, générateur de chiffre d'affaires à long terme. Cela malgré le frein engendré par la crise économique que nous traversons depuis sept ans qui s'est traduit en 2014 par un recul de 0,3 % du chiffre d'affaires. En effet, le nombre de repas pris à l'extérieur ne fait que croître et il n'a jamais été en régression depuis vingt-cinq ans. Et, à cette heure, il devrait connaître une progression à deux chiffres s'il n'y avait pas eu la crise. Mais je pense qu'il y a des secteurs qui aimeraient bien être freinés avec une telle croissance. Il y a deux phénomènes sous nos yeux qui montrent que la consommation hors foyer va exploser dans le proche avenir. D'une part, le taux de retour au domicile à l'heure du déjeuner en semaine est en train de s'effondrer en France. Nous bougeons de plus en plus, de plus en plus loin et nous disposons de moins en moins de temps pour rentrer dans la journée. L'autre phénomène est plus lié au dîner et à la fin de semaine : les Français savent de moins en moins cuisiner et c'est vraiment loin de s'arranger...

FLD : Pourtant, la multiplication des sites dédiés à la gastronomie tout comme la multitude de programmes télé culinaires laisseraient à penser que le Français revient vers les cuisines.

B. B. : Tout ceci n'est que de la cuisine réalité. Quand vous éteignez votre poste de télévision, il n'en reste rien. Cuisiner demande, en premier lieu, un savoir-faire et ce n'est pas en regardant un programme d'une heure et demie qu'il s'acquiert. Cuisiner réclame ensuite du matériel spécifique et de l'espace. Avec des conditions de travail comme celles que l'on voit dans Master Chef ou Top Chef, bien sûr que l'on se remet à cuisiner. Mais la réalité est que nos cuisines ne sont pas du tout comme cela. Pour cuisiner, il faut faire des courses et, pour cela, il faut du temps. On ne désire pas consacrer du temps libre le week-end pour ce genre d'activité. Finalement, il y a tout un tas de freins qui fait que la situation ne va pas s'améliorer. Même si on récupère des trucs et des astuces à droite, à gauche, pour faire ce que j'appelle du bricolage culinaire à la maison !

« En France, seulement un repas sur sept est pris à l'extérieur alors qu'aux Etats-Unis, c'est un sur deux. Le développement de la restauration hors domicile chez nous tient aussi au fait de la perte progressive d'un savoir-faire culinaire. »

FLD : Sommes-nous en train de voir une évolution des habitudes en termes de restauration ?

B. B. : La France est très en retard : seulement un repas sur sept est pris à l'extérieur alors qu'aux Etats-Unis, c'est un sur deux. En France, le développement de la restauration hors domicile tient aussi au fait de la perte progressive d'un savoir-faire culinaire. De plus, le lien social qui fonde le comportement alimentaire des Français est en train de voler un peu en éclat. Même le dîner, dernier refuge du rendez-vous familial autour d'une table est remis en cause. La grande distribution ne s'y trompe pas en proposant aujourd'hui deux offres : un format familial et un autre extrêmement portionné. Je ne pense pas que l'émergence de la cellule monoparentale et des célibataires soit seule responsable de cela.

FLD : Le marché de la restauration est multiple avec l'émergence de nouveaux concepts (les food trucks par exemple). Peut-on néanmoins tracer les grandes lignes du secteur ?

B. B. : Il faut savoir que nous avons plusieurs façons de segmenter le marché dont une est par le mode de distribution. En France, il en existe deux : le service à table (SAT) et la vente au comptoir (VAC). Dans le premier, vous commandez, vous consommez et vous payez. Dans le second, vous commandez, vous payez et vous consommez ailleurs. C'est ce qu'on appelle aussi la vente à emporter. Ce qui est intéressant, ici, c'est qu'en chiffre d'affaires, la vente au comptoir est passé devant le service à table en 2012. Le communiqué que nous avions édité alors a été peu repris en France mais, en revanche, l'information a fait grand bruit à l'étranger qui se demandait ce qui avait bien pu se passer dans le pays de la gastronomie. Ainsi, sur les 87 milliards d'euros que représente le marché du hors domicile, 52 % sont réalisés par la vente à emporter. Avec une particularité française : nos compatriotes sont des fans de vente à emporter mais, en revanche, ils sont un des rares peuples dans le monde à ne pas manger et boire en mouvement. En France, on ne boit ni ne mange dans la rue. Cela pose d'ailleurs un sacré problème pour les acteurs de la restauration rapide qui doivent impérativement avoir des places assises.

« Il y a un gros souci avec les fruits et légumes en consommation hors domicile. Et sûrement plus pour le légume que pour le fruit. Lorsque vous étudiez les différentes analyses sur les ventes de desserts en restauration hors foyer, le fruit n'apparaît qu'en dix-huitième position, et encore sous la forme de tartes. »

FLD : Il existerait donc une spécificité bien française...

B. B. : Tout à fait. Depuis quinze ans, nous affirmons qu'il existe trois modèles dans le monde. Le modèle anglo-saxon, déstructuré et solitaire, se caractérise par la rapidité du repas, la démultiplication de prises alimentaires dans la journée et la rareté du lien social. Ensuite, il y a le modèle latin, complètement à l'inverse du précédent : repas plutôt structuré, temps passé plus important, importance de la table comme lieu social. Et puis il y a le modèle français, extrêmement complexe, qui est un hybride des deux, avec comme conséquence le fait que les chaînes américaines se sont toutes cassé le nez sur le marché français. Le cas de McDonald's France est atypique : sa réussite tient à ce qu'il a demandé son autonomie à la maison mère américaine en 2004. Le coup de génie de l'enseigne a été alors de franciser la gamme tout en l'élargissant autour de son ADN, succinctement le triptyque burger-frite-soda.

FLD : Cette enseigne est connue pour avoir introduit avec succès salades et fruits à croquer en France. D'une manière générale, comment se comportent les fruits et légumes dans l'offre hors foyer ?

B. B. : Il y a un gros souci avec les fruits et légumes en consommation hors domicile. Et sûrement plus pour le légume que pour le fruit. Lorsque vous étudiez les différentes analyses sur les ventes de desserts en restauration hors foyer, le fruit n'apparaît qu'en dix-huitième position, et encore sous la forme de tartes. L'offre existe dans les cartes de restaurants, mais elle est écrasée par la très forte prédominance du chocolat dans la consommation des Français. La mousse au chocolat est le leader incontesté des desserts en restauration dans notre pays et je ne vois pas ce qui pourrait la concurrencer. En revanche, il y a une offre en fruits qui commence à grimper dans le classement, c'est la salade de fruits. Et ce n'est pas le fait du service à table : c'est la restauration rapide qui réhabilite en quelque sorte cette offre. A la charge des restaurateurs traditionnels, il faut dire que neuf fois sur dix, la salade de fruits qu'ils proposent est trop sucrée, baigne dans un sirop... Nous avons remarqué que lorsqu'un restaurant propose des fruits frais découpés, cela marche. Et cela est normal. Regardez le succès de la fraîche découpe en distribution. Les acteurs de la restauration rapide ( Cojean, Brioche Dorée...) nous expliquent qu'entre avril et septembre la salade des fruits est leader en vente. Si un restaurateur proposait cela, cela marcherait. Simplement, il ne le fait pas.

FLD : Et vous dites que la situation est encore plus grave pour les légumes...

B. B. : C'est une vraie catastrophe. Il y a 145 000 restaurants SAT en France : 78 % des légumes servis en accompagnement dans ces établissements sont des frites. Et les Français en redemandent. Il faut dire que les industriels ont fait de très gros efforts pour améliorer la qualité des frites qu'ils proposent, et continuent de le faire. On ne retrouve peut-être pas cela chez les grands du légume industriel : je pense qu'ils ne sont pas allés assez loin dans l'offre pour la restauration. Regardez comme il est difficile de trouver un bon haricot vert en restauration. Et pourtant le consommateur, de plus en plus attentif à sa santé, n'attend que cela. Mais lorsque l'on est plusieurs fois déçu par un légume mal préparé, insipide, on s'en détourne. N'oublions pas qu'en France, aller au restaurant, c'est un plaisir, et ce plaisir s'exprime par le goût. Avec l'engouement actuel pour le hamburger, que l'on n'accompagne pas naturellement d'un gratin de courgette – n'est ce pas –, la place de la frite va encore se renforcer. Nous avons accompagné des restaurants pour qu'ils étoffent leur offre en légumes. Leurs clients ont été surpris mais sont quand même restés sur la frite, quitte à s'étonner ensuite qu'il n'y ait plus que cela comme proposition d'accompagnement, une fois que le restaurateur ait abandonné le reste. On baigne en plein paradoxe.

FLD : Cette situation, plutôt délicate pour les fruits et légumes, peut-elle être améliorée ? Qui, selon vous, devrait prendre en charge la reconquête des cuisines ?

B. B. : Je pense que la filière fruits et légumes devrait monter en première ligne. J'entends par cela qu'elle vienne aider, assister les restaurateurs. Il existe encore aujourd'hui trop d'entre eux qui ne connaissent pas les usages, la saisonnalité des produits. Demandez à un restaurateur quelle variété utiliser pour la confection d'une tarte aux pommes. Vous ne serez pas déçu de la réponse. Il y a un énorme travail d'apprentissage, d'information à fournir. Dans le cas des légumes, on fait face à un vrai problème de restitution du produit dans l'assiette. Ce n'est généralement pas très goûteux. C'est un problème de connaissances techniques. Dire que le consommateur ne veut pas de légumes, c'est faux. Il faut déclencher en lui une autre envie que celle de choisir systématiquement des frites. Il faudrait aussi aller plus loin que la simple formation. Pourquoi ne pas créer une sorte de “mallette à outils” ? Les moyens techniques existent (vidéo, site online...). Nous interrogeons régulièrement les industriels agroalimentaires pour leur demander où sont distribués leurs produits en restauration. Ils ne le savent pas. En revanche, ils peuvent vous indiquer les tonnages qui vont chez Metro, Promocash ou Brake. Savent-ils ce que les clients des restaurants pensent de leurs produits ? Non. Monter en première ligne, c'est se rapprocher du restaurateur et lui apporter une assistance. Ce n'est pas le rôle à mes yeux des distributeurs cités plus haut : généralistes, ils ne peuvent pas les accompagner aussi finement que la filière. Si les restaurants sont aidés sur leur offre fruits et légumes, ils décolleront. Ne nous trompons pas : ils sont très demandeurs.

Bio Express

Autodidacte, Bernard Boutboul a commencé sa carrière dans la restauration où, durant onze ans, il a accumulé les expériences (livreur, serveur, chef de rang, maître d'hôtel, manager...). En 1989, il crée Gira Conseil, un cabinet d'accompagnement spécialisé dans le marketing et la stratégie de développement dans le domaine de la restauration.

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