Les leaders en Europe - Fruit Logistica - Pays-Bas
La crise économique fait vaciller le modèle néerlandais
Les deux dernières années ont été difficiles pour la filière fruits et légumes aux Pays-Bas au point que certains s’interrogent sur son avenir. Au même moment, les serristes s’investissent largement dans le développement durable.
La production néerlandaise, après avoir reculé pendant trois ans, semble reprendre du poil de la bête. Les superficies consacrées aux cultures légumières (de loin les plus importantes dans le pays) sont en légère augmentation, passant de 3,21 à 3,24 millions de tonnes entre 2007 et 2008 (dernières données disponibles). Le pays demeure le premier producteur européen de concombres (425 000 t), le deuxième pour le poivron (335 000 t) et le troisième pour la tomate (730 000 t). Il est troisième producteur mondial de champignons avec 255 000 t.
Cependant, la crise économique sévissant ces derniers mois a eu un impact fort sur l’économie néerlandaise et par contre-coup sur les ventes de légumes et de fruits dans le pays. Selon certaines sources, le recul du chiffre d’affaires des producteurs serait de 10 à 15 % sur les deux dernières campagnes, en partie à cause d’un marché européen qui s’est contracté (particulièrement au Royaume-Uni) et d’un taux de change peu favorable entre l’euro et la livre sterling. Longtemps, parangon de stabilité, la filière frémit quelque peu ces derniers mois.
Une distribution en recomposition
Sans que l’on puisse vraiment parler de “guerre des prix” entre les distributeurs néerlandais à l’image de ce qui peut se passer au Royaume-Uni, force est de reconnaître que la situation s’est plutôt tendue avec la crise. Pour preuve, la Mission économique Ubifrance de La Haye souligne que les dépenses publi-promotionnelles des distributeurs ont augmenté et représentent, en 2009, 13 % du chiffre d’affaires des distributeurs en moyenne (contre 11 % l’année précédente). L’enseigne phare de la distribution néerlandaise, Albert Heijn, réputée pour son offre qualitative, a réussi à maintenir son développement en termes de ventes. C’est plutôt pour le reste des opérateurs que le paysage change. En effet, la distribution alimentaire néerlandaise, mise à part Albert Heijn, reste en général familiale et très dispersée. Effet corollaire de la crise qui voit les consommateurs arbitrer leurs dépenses alimentaires selon les prix, ce sont ces supermarchés positionnés sur le milieu de gamme qui risquent de faire les frais de la situation économique actuelle. Cela pourrait les amener à se regrouper, voire se concentrer, d’autant plus que les analystes prévoient aussi la montée en puissance du format hard discount, encore sous-représenté dans le pays. Longtemps contenues, les enseignes allemandes comme Lidl ou Aldi ont renforcé leurs positions, spécialement lors du premier trimestre 2009, en voyant le nombre de leurs clients progresser et leur panier moyen augmenter. En revanche, le commerce traditionnel et les magasins spécialisés ont vu leur fréquentation diminuer, en raison de leur positionnement prix certes mais aussi sûrement à cause de leur incapacité à s’aligner sur les horaires des supermarchés.
Réflexion sur la mise en marché
La recomposition de la mise en marché de la production fruitière et légumière néerlandaise ne date certes pas des derniers mois. Pendant longtemps, elle fut organisée autour des ventes au cadran, les “veilings” en néerlandais. Cependant, face à une demande plus pointue de la part de la grande distribution répondant elle-même aux nouveaux désirs de sa clientèle, ces cadrans ont été amenés à créer des sociétés commerciales, considérées plus aptes et plus flexibles pour répondre aux distributeurs. Aujourd’hui, les “veilings” sont réduits à la part congrue : ils existent toujours pour les fruits (Fruitmasters et Zaltbommel) et des légumes sont toujours mis aux enchères dégressives à Venlo (criée Zon) ou encore par un petit cadran pour les légumes de plein champ chez The Greenery. Parallèlement, la mise en marché au niveau des serristes s’est fortement concentrée ne laissant que deux ou trois organisations de producteurs.
Le cas le plus probant de cette mutation en profondeur de la mise en marché aux Pays-Bas fut la mise en place de The Greenery qui, aujourd’hui, assure environ 40 % de la mise en marché de la production légumière néerlandaise (41 % pour le concombre, 57 % pour la tomate et le poivron). Au fil des années, l’entreprise, propriété de la coopérative VTN, a connu un fort développement externe qui l’a fait entrer de plain-pied dans l’import-export. Avec l’ouverture de sa plate-forme de distribution de Barendrecht en juin 2008, The Greenery est devenu prestataire de l’enseigne Plus Retail et de ses 278 supermarchés. Cependant, les campagnes 2008 et 2009 ont été particulièrement difficiles pour les producteurs hollandais poussant certainement à la réflexion sur le modèle dominant. A l’automne dernier, c’est un des principaux producteurs de tomates, Prominent, qui a « mis les pieds dans le plat » en évoquant la possibilité de commercialiser sous sa propre marque les produits passant jusque-là passant par The Greenery.
Cette situation potentiellement explosive a mené le groupe à mettre en place de nouvelles procédures en décembre. La principale décision a été la séparation entre la coopérative VTN et l’entreprise en tant que telle qui agiront désormais séparément. Afin de conserver les liens, deux types de “contrats” sont proposés : celui de “partenaire privilégié” qui prévoit des relations renforcées entre le producteur et The Greenery en tant que société dans le cadre d’une stratégie commerciale commune et celui de “transaction” qui laisse liberté aux producteurs de la coopérative de vendre sur le marché ou à The Greenery, qui leur proposera ses services (logistique, transport, emballage…). L’entreprise semble ainsi répondre aux troubles des producteurs de la coopérative quant à la part importante de l’importation dans le chiffre d’affaires.
Le trouble est certainement plus profond que certains voudraient le faire croire. Parlant devant la presse internationale lors de la dernière édition du salon HortiFair à Amsterdam, à l’automne dernier, Herman de Boon, président de l’Association néerlandaise du commerce inter-entreprises (et de la puissante Fédération horticole du pays) reconnaissait que la situation était difficile pour la filière. Il devait aussi se lancer dans un plaidoyer en faveur de “l’aiguille” « Sans les veilings, le système de valeurs de la filière n’est pas stable, expliquait-il. Dans le tumulte actuel, il n’est pas sûr que les producteurs puissent tirer leur épingle du jeu, au contraire des opérateurs commerciaux. Aujourd’hui, les importations progressent plus rapidement que la production nationale, ce qui pose la question du positionnement de la filière néerlandaise. Si la fonction d’import-export n’existait pas, cette dernière ne serait pas là où elle est aujourd’hui »
Serres : la révolution durable
Cette évolution de la filière légumière du pays intervient alors que l’agriculture néerlandaise est largement engagée dans le développement durable (le vocable “durzaam” est très à la mode ces temps-ci). Appuyés par le gouvernement du pays, d’importants projets ont été mis en place, dont l’un des moindres n’est pas “Agrologistiek” qui veut développer des pratiques durables dans le transport et la logistique des denrées alimentaires dans le pays. L’Association néerlandaise du commerce des fruits et légumes Frugi Venta, qui regroupe 450 adhérents, est partie prenante de ce projet.
Mais, c’est certainement sur la question de l’énergie, et de son économie, que les efforts des fabricants se sont particulièrement portés. Selon l’Université de Wageningen, l’énergie est le second poste de dépense (18 %) après celui de la main-d’œuvre (27 %) dans une serre. L’exemple le plus visuellement frappant de cette implication dans le domaine est l’existence d’un pipeline reliant le port de Rotterdam et les grandes serres de la région de Westland. Celui-ci transporte du CO2 qui sert au chauffage des serres. Succinctement résumée, la maîtrise de l’énergie au niveau de la serre permet aussi de générer de l’électricité que le producteur revend sur le marché néerlandais. Considérant que le prix du kilowatt-heure ayant été particulièrement élevé dernièrement, les serristes hollandais ont trouvé un revenu complémentaire appréciable. Et cela semble payer. Selon les derniers chiffres de Frugi Venta, la production d’électricité générée par les serres hollandaises a bondi de 14 % entre 2007 et 2008, ce qui fait que la capacité en électricité a doublé en deux années. Wageningen travaille d’autre part sur de nouveaux types de serres mettant en œuvre des technologies innovantes. C’est le cas d’une serre verre expérimentale dont le toit est partiellement courbé, permettant de créer un vrai four solaire. L’Univeristé a aussi participé au projet de serre Airco qui permet de réduire la fréquence d’ouverture des fenêtres optimisant la production et réduisant les coûts par rapport à une serre (semi) fermée. Certains prévoyaient, il y a encore quelque temps que, pour 2020, 10 % de la surface totale des serres (700 ha) devraient utiliser aquifère et serre fermée. La crise que connaît le secteur a calmé les velléités. Ainsi, pour Herman de Boon, cette dernière devrait engendrer un délai dans les prises de décisions qui pourraient rejeter le secteur cinq années en arrière en matière de développement des technologies innovantes.