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Je suis le cuisinier des f&l frais à l'étranger

On le croise souvent sur les Salons, affairé à cuisiner les produits français sur le stand d'Interfel ou à expliquer comment émincer une échalote : Charles Soussin, chef aux multiples casquettes, a noué au fil des années une véritable passion pour la filière f&l frais et les rencontres qu'il y fait.

FLD : Vous êtes un chef un peu particulier. Quel est votre parcours ?

CHARLES SOUSSIN : Je suis un chef avec une entreprise en conseils culinaires “Cuisine Création Conseil”. En parallèle, je donne des cours au lycée hôtelier François Rabelais à Dugny (Seine-Saint-Denis) et à l'ESH à Clichy (Hauts-de-Seine). J'ai un parcours classique : une école hôtelière, un BTH – Brevet de technicien en hôtellerie, ça n'existe plus aujourd'hui – puis un BTS. J'ai fait de la gastronomie, deux-trois beaux établissements sur Paris, puis mon propre restaurant pendant quatre ans. C'est là que s'est faite la rencontre avec les f&l frais, d'abord avec Joël Thiebault [producteur fournissant les chefs, NDLR]. On s'est dit naturellement qu'il y avait quelque chose à faire. Puis l'aventure avec Interfel a commencé, de la découverte des abricots dans un champ des Vergers de l'Hermitage à leur promotion à Hong Kong.

FLD : Le monde des fruits et légumes a dû vous

surprendre... C. S. : C'était pour moi un monde nouveau. Avant je ne comprenais pas le côté “il faut attendre pour avoir ça”. Par exemple, la pomme Ariane c'est quinze années de recherche ! Ça m'impressionne. La qualité de ces gens, c'est la patience. Et ils sont réellement passionnés. C'est une belle aventure personnelle, avec les professionnels que je croise, des gens authentiques. Je suis quelqu'un d'humble, je prends le produit, et en le transformant, j'aide ces personnes à le vendre, à ouvrir des marchés. Il y a des millions d'euros en jeu, c'est important d'être bon, de répondre à leur demande. Je suis le cuisinier des f&l frais à l'étranger. Après, le produit fait son charme.

FLD : A quelle époque votre travail avec la filière a-t-il débuté ?

C. S. : L'aventure a commencé au début des années 2000. Lors du premier événement à Fruit Logistica, en 2003, nous avions fait des dégustations seulement en cru et végétal sur 20 m2 maxi. Professionnellement, il y avait un nouveau challenge : comment faire manger des pommes autrement que traditionnellement, avec le côté “à la française”. Car le client se rend dans un Salon où tout est un peu aseptisé. Le pari de départ était de les faire se sentir en France. On a bien grandi, des simples dégustations à l'ambiance “restaurant bord de Seine”. La Tour FL vient de là, d'abord au Sia puis à l'étranger. Aujourd'hui, un événement comme Berlin demande six mois de travail à l'amont, avec le choix des menus, des entreprises partenaires qui fournissent les produits une fois sur place… Berlin a été précurseur, puis Hong Kong. Il y a Moscou aussi mais avec l'embargo c'est compliqué, je ne pense pas que j'irai cette année. Mais on y vendait quatre pommes françaises dans un écrin pour 8 € ! Dubaï est une plaque pour le Moyen-Orient et un débouché pour les produits de niche comme Juliet.

FLD : Quelle est notre force à l'étranger ?

C. S. : Le savoir-faire des chefs, la cuisine qui est magique, le produit. Le côté premium et français, ça marche et ça rassure. Même si la notion de terroir est difficile à expliquer à un Chinois. Et quand on est cuisinier français à l'étranger, ça plaît beaucoup. La Tour Eiffel, le foie gras, la truffe, etc., c'est très français, ça fait rêver. C'est vrai que ça fait kitch, un peu désuet, mais ça marche encore. Tout ça est de bon augure pour le futur. Maintenant, il ne faut pas décevoir !

FLD : Avec quelles autres entreprises ou organisations travaillez-vous ?

C. S. : Il y en a beaucoup ! Pomanjou, HoneyCrunch. Oui, beaucoup de pommes c'est vrai (rire), j'aime la pomme, c'est un bon produit. Il y a aussi le travail avec Fleuron d'Anjou et l'échalote. Je me souviens, il y a dix ans, Yves Gidoin, directeur général de Fleuron d'Anjou, m'a emmené à San Francisco car le marché américain s'est ouvert, il fallait leur faire découvrir ce produit qu'ils ne connaissaient pas. Une poêle sur le feu, ça marche. C'est important de montrer ce qu'il y a derrière, nous sommes un chaînon supplémentaire du produit brut au produit fini. Je travaille aussi avec la filière du porc, au Vietnam, en Corée, à Taïwan. Avec d'autres entreprises ponctuellement. Au Salon de l'agriculture, j'étais sur onze stands Interfel, Pink Lady, Parmentine, mais également FranceAgriMer, le poisson sur le stand Pavillon France, l'interprofession du fromage de chèvre, le Cniel [Centre national interprofessionnel de l'économie laitière, NDLR]... On nourrit les gens, les politiques, il faut leur montrer la richesse et la diversité de nos produits, leur dire : « Voici ce que nous donnent la nature et les producteurs, voici ce qu'on en fait ». Les recettes sont spécifiques pour chaque partenariat, c'est ma signature.

« A l'étranger, le côté produit premium et français, ça marche et ça rassure. Même si c'est difficile d'expliquer la notion de terroir. »

« Les cuisiniers sont un chaînon supplémentaire du produit brut au produit fini. »

FLD : Et vous emmenez vos étudiants sur les

Salons ? C. S. : Oui, je les emmène en tant que salariés de mon entreprise. Au Salon de l'agriculture cette année, sur les trente-cinq personnes de l'équipe, dix sont des élèves du CAP. C'est important qu'ils voient les conditions réelles, le côté magique du restaurant éphémère, le résultat de leur travail. Par exemple, il y a quelques années à Berlin, on montait un décor, avec ces grands vases à remplir de pommes. Les élèves les lâchaient, les jetaient au fond. Je ne vous raconte pas quand les professionnels ont vu ça ! Mais lorsqu'on explique l'histoire du produit aux étudiants, ils comprennent mieux. Je les emmène aussi une fois par an à Rungis, c'est important et ils adorent.

FLD : N'est-ce pas compliqué de vendre les f&l

aux étudiants, de les rendre “sexy” ? C. S. : En réalité, le canal d'apprentissage est facile. Il y a forcément des f&l quand on cuisine, avec les oignons, l'ail… Puis vient l'apprentissage de l'épluchage. Il y a des petits morceaux mal coupés donc forcément on les goûte, on se rend compte que c'est pas mal. Au fur et à mesure que l'on apprend, on est curieux, on lit les étiquettes. Le plus difficile pour eux, je pense, est de différencier les fines herbes. On sent, on regarde...

FLD : Depuis quelques années, on observe une mode de la cuisine, que ce soit dans les émissions de télévision, dans les magazines féminins… Est-ce une bonne chose ? C. S. : C'est pas mal, ça permet de désacraliser la cuisine et les chefs. Mais attention à l'exagération ! A la télé, les chefs sont des rock stars mais on ne montre pas tout. La télé peut donner une fausse image de la cuisine aux jeunes d'aujourd'hui qui veulent l'immédiateté. Mais on doit montrer que la cuisine, ce n'est pas compliqué. Par exemple, tout le monde connaît l'expression “Les f&l frais, c'est bon pour la santé”. Mais lorsque j'en mange, je me dis : « Super, j'ai mangé un médicament »… Non ! On peut montrer que les f&l, c'est simple et accessible ! Il faut s'attacher à respecter un bon produit. C'est ce que je veux transmettre aux différents publics auxquels j'ai affaire : le grand public, les enfants à la cantine, à ceux qui n'ont pas d'argent, en formation, dans les prisons, aux journalistes de Elle, à des femmes maghrébines…

FLD : En prison ?

C. S. : C'était en fait un endroit d'insertion où tous étaient passés par la case prison. La cuisine était la clé d'entrée pour leur apprendre un métier, pour partager des choses. J'ai fait ça six mois. C'est de l'éducation ou plutôt de la rééducation de personnes de 50 ans. Le fait de pouvoir donner, avec des règles, c'est plutôt sympa. La preuve, je suis prof' dans le 93, je ne pourrais pas le faire ailleurs. Aujourd'hui c'est compliqué d'enseigner, il faut s'adapter. Mais j'aime le fait de donner une chance, d'emmener un jeune jusqu'au bout. Sur une douzaine d'étudiants, si un ou deux devient cuisinier, je suis content.

FLD : Quels sont les f&l “du moment” ?

C. S. : On observe depuis quelque temps l'installation du légume ancien. Les agrumes reviennent à la mode, il y a aussi les légumes de couleur. C'est pas mal, ça permet aux consommateurs – et peut-être aux producteurs – d'avoir une nouvelle clé d'entrée. Les mini-légumes, c'est la haute couture de la cuisine. On sait que ça existe, ce n'est pas pour tous les jours mais de temps en temps, pour se faire plaisir. Il y a un réel intérêt, gustatif et pour la santé, pour les “fruits santé”, comme la grenade, la canneberge. L'astringence de la canneberge apporte un goût nouveau aux f&l. Les fruits rouges reviennent à la mode, c'est novateur et ça fait le lien avec des produits plus traditionnels comme la fraise. Enfin, les fruits secs permettent d'égayer des plats en attendant les légumes primeurs, après trois mois d'hiver à manger des choux et des carottes.

FLD : Est-ce vrai que les innovations sont souvent

testées en restauration ? C. S. : La restauration est un bon canal d'essai. Le secteur agroalimentaire va faire un essai avec un chef pour expérimenter une recette, puis l'adapter du côté artisanal à industriel. J'en ai fait en conseil. Mais je reste fidèle aux f&l frais, même si ça me ferme des portes.

FLD : Que pensez-vous de la crise sociétale

actuelle ? Le bio, les attaques médiatiques, etc. ? C. S. : Sur le bio, je pense que le consommateur va forcément y passer. “Bio” n'est pas le bon terme, il faudrait plutôt dire le “bien manger”, le “faire attention”. Après la guerre, il a fallu assurer les volumes. Mais aujourd'hui ces volumes on les a, et du monde entier. Le cuisinier a le pouvoir de choisir ce qu'il va manger : un poulet Label rouge ou de batterie ? On nous donne le choix de nous éduquer. Entre deux mêmes pommes, une française et une de Nouvelle-Zélande, le consommateur va choisir la pomme française car il y a un terroir, une histoire. Sur les attaques médiatiques, à mon niveau je pense que je peux être un contre-pied, avec mon expérience et mes rencontres. Je sais que la majorité des professionnels de la filière f&l sont sérieux, ils ne font pas n'importe quoi et sont attachés à la terre. Mais la société veut tout, un beau f&l frais dans un pays avec la plus grande garantie sanitaire. Le consommateur français est un enfant gâté.

FLD : Quel est, à votre avis, le plus gros problème

en restauration ? C. S. : La formation. Une anecdote parlante : à l'époque avec Interfel, nous avions la mission de montrer à des chefs de cuisine de cantine que l'on peut faire 1 500 couverts avec des plats f&l. Mais dans les cuisines, ils n'avaient que deux couteaux ! De manière générale, la formation est problématique. Par exemple, les primeurs sont des affineurs mais tous ne le savent pas. La création d'un CAP Primeur est une bonne chose. J'aimerais beaucoup intervenir en tant que professeur pour eux.

FLD : Quelle est votre plus grande réussite ?

C. S. : Je suis un enfant gâté, je fais le métier dont j'ai rêvé ! Plus ma famille, c'est hyper important.

« La création d'un CAP primeur est une bonne chose. J'aimerais beaucoup intervenir en tant que professeur pour eux. »

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