Commerce de gros
« Il y a un besoin de développer dans la filière une culture axée sur le marché »
Stéphane Corthier, directeur général de Creno, livre ses impressions sur l’évolution de la filière f&l, et sur celle du réseau de grossistes qu’il a rejoint l’été dernier.
Fld Hebdo : Vous êtes arrivé à la direction générale du réseau l’été dernier. Votre parcours vous a emmené d’Intermarché à Exapaq, société de messagerie, entre autres. Comment s’est déroulée votre nomination ?
Stéphane Corthier : En 2012, Creno a décidé de modifier sa gouvernance. Jusqu’à présent, le directeur général de Creno Impex était président du réseau. Les adhérents ont notifié leur désir d’être plus impliqués dans la direction de leur réseau. Is voulaient aussi que l’aspect opérationnel soit séparé de la conduite plus politique de Creno. Cela a amené un changement de gouvernance avec la nomination d’un président adhérent, Etienne Gilles, et mon arrivée au poste de directeur général. Mon parcours m’a amené à travailler dans des entreprises en situation de changement. Il s’agit d’une évolution mais non d’une révolution. Nous évoluons dans un métier à faible marge, décentralisé – ce qui implique un management de la distance – et où le service est primordial. Je dirais que dans l’acronyme GASC (grossiste à service complet), le service complet (SC) est plus important que le côté grossiste (GA).
Fld Hebdo : Quel regard portez-vous sur les f&l ?
S. C. : Nous faisons face un peu à la quadrature du cercle. La consommation de f&l, en France comme dans l’Europe à 27, est en constante diminution. Les habitudes de consommation ont aussi évolué et la filière doit être à même de les anticiper. Cependant, les opérateurs ont parfois du mal à se positionner dans cette nouvelle donne. Aujourd’hui, la question posée est claire : comment satisfaire la promesse client qu’il soit consommateur final ou en B to B, que ce soit en termes de qualité, de saison... ? Lorsqu’elle ne peut pas être tenue, le consommateur attend une explication. Et on ne peut plus uniquement évoquer une météo défaillante. Il y a certainement besoin de développer dans la filière une culture plus axée sur le marché, sur ce qu’on appelle le “value for money”, littéralement “en avoir pour son argent”. C’est pourquoi chez Creno nous sommes engagés dans un plan stratégique de trois ans où nous revendiquons notre position de “prod-acteur”. Derrière le néologisme, il faut comprendre que notre rôle est de transformer une offre produit en une offre marketing. Un exemple, celui de la restauration collective, en plein développement ces dernières années : nous avons transformé une offre exprimée en poids en une autre définie par rapport au coût portion, donc des fruits à l’unité.
Fld Hebdo : Comme tout réseau de grossistes, la caractéristique de Creno est d’être un regroupement d’entreprises indépendantes ayant aussi leur propre politique. Comment cela s’intègre-t-il dans la stratégie du réseau ?
S. C. : Nos adhérents sont peut-être indépendants mais ils sont impliqués dans la politique du réseau. D’une certaine manière, nous avons les avantages des inconvénients. Certes, le cycle de décision peut être un peu plus long, le temps de fédérer, mais quand la décision est prise, la mise en place opérationnelle est plus rapide. Creno est plus qu’une fédération d’indépendants, c’est un modèle unique ayant un service Grands comptes, un service Approvisionnement au service des adhérents. Notre structure d’achats offre une sécurité financière à nos fournisseurs et la garantie d’avoir le produit pour nos adhérents. La réussite d’une démarche comme Jardin d’Ici est la preuve de cette politique. En fait, le raisonnement de Creno, c’est de mettre en commun ce qui est le plus performant sans empêcher les sociétés adhérentes de développer leur propre stratégie.
Fld Hebdo : Au sein du réseau, il y a aussi un adhérent, qui est filiale d’un grand groupe international (AFL et TransGourmet). Cela ne pose pas de problème ?
S. C. : Déjà, un grand groupe indépendant qui ne se soit jamais vendu, cela n’existe plus. Après, le fonctionnement au quotidien relève de l’émotionnel. Le vrai sujet, c’est de savoir si cela apporte quelque chose à un groupement comme le nôtre de travailler avec une entreprise internationale. Je dis oui si cela a été bien anticipé et qu’il n’y ait du coup pas d’entrave dans notre mode de fonctionnement qui est d’essence coopérative. Alors, menace ou opportunité ? Il s’agit d’une vraie valeur ajoutée pour Creno. Lorsque vous êtes en négociation en Afrique du Sud avec des exportateurs de poires ou de raisin de contre-saison, vous avez un poids certain. Nous sommes dans un métier où il y a une prime à la taille. Voyez certains de nos adhérents : AFL, Canavese, Le Saint ou encore Ame Haslé sur un modèle différent. Le grossiste qui achetait une palette et vendait des colis, c’est terminé. Nous devons assumer notre rôle dans la première mise en marché. Si nous sommes premiers sur le raisin d’Italie en France, si nous avons noué un partenariat gagnant avec la vallée du Rhône pour les fruits à noyau, c’est parce que, quelle que soit la saison, nous avons la possibilité d’écouler la production mais au-delà de traduire la demande venant de 15 000 clients et de remonter l’information à l’amont. Notre rôle, c’est de rendre “marchandisable” les produits.