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« Il faut faire entendre la voix de l'agriculture française »

Ancienne présidente de Légumes de France et acteur économique de terrain, Angélique Delahaye vient d'être élue députée européenne. Un challenge qu'elle relève avec brio. Son seul mot d'ordre : avoir une vision politique claire et un projet pour la France et son agriculture.

FLD : Vous êtes nouvellement élue députée européenne, en quoi consiste votre rôle ?

ANGÉLIQUE DELAHAYE : Je siège au Parlement européen et suis élue pour la région Centre-Massif Central-Limousin. J'ai pris mes fonctions le 1er juillet officiellement et suis installée dans deux bureaux, l'un à Strasbourg pour le Parlement et l'autre à Bruxelles pour le traitement des dossiers de la Commission européenne. Je me suis positionnée sur deux Commissions au sein du Parlement européen : environnement et agriculture. Je suis titulaire à l'environnement et suppléante à la Commission agriculture. Michel Dantin est, lui, titulaire à l'agriculture et suppléant à l'environnement. Nous travaillerons bien sûr en lien étroit. Contrairement à ce que l'on peut penser, être suppléant ce n'est pas remplacer. Nous avons le même travail. Le suppléant ne peut pas être coordinateur, président ou vice-président. Et cela me convient. Ce qui m'intéresse, c'est le travail des dossiers. J'en profite pour vous faire remarquer que toutes les commissions n'ont pas le même nombre de sièges et je m'étonne de voir que la Commission agriculture est celle qui compte le moins de sièges alors que la politique agricole dispose du plus gros budget communautaire.

FLD : Comment en êtes-vous arrivée à briguer ce mandat européen ?

A. D. : C'est souvent les hasards de la vie. En tant que présidente de Légumes de France, je me suis rendu compte que ce n'est pas à Paris mais bien à Bruxelles que se prennent les vraies décisions. A Paris, il faut vérifier que les décisions européennes sont bien appliquées, et optimisées... par l'Etat. Car, très souvent, les dossiers ne sont pas traités comme dans les autres pays européens. Cela a été le cas de la crise E. Coli. Nous avons, en France, la propension à ajouter de la réglementation à la réglementation. C'est le cas des produits phytos et de tout ce qui touche à l'environnement.

FLD : Pourquoi l'Etat français ajoute-t-il de la réglementation à la réglementation ?

A. D. : C'est en partie lié au fait qu'en France on ne veut pas prendre de risque. On met trois parachutes, dix paires de bretelles et deux ceintures dès qu'il y a un risque. Mais aussi un manque de réactivité et d'anticipation. Pour la crise E. Coli, on est arrivé très tard à la Commission européenne pour réclamer des fonds. On n'a donc eu que ce qui restait, selon la règle du premier arrivé, premier servi. Quatre ans après, on me dit que sur les 250 M€, il reste 50 millions non utilisés... C'est dommage. Des pays comme la Pologne ou l'Espagne ne se sont pas embarrassés de scrupules eux ! Aussi je le dis à la filière f&l pour l'embargo russe. « Maniez-vous de bouger vos fesses » pour réclamer des indemnités auprès de la Commission européenne pour ne pas reproduire ce qui a eu lieu pour la crise E. Coli. Car il faudra partager 125 M€ entre vingt-huit pays et la Pologne et les Pays-Bas sont déjà prêts ! En clair, pour être le plus proche de la réalité, en France, on est plus royaliste que le roi !

FLD : Quel est le premier dossier que vous allez traiter au Parlement ?

Au sujet de l'embargo russe, je le dis à la filière : « Maniez-vous de bouger vos fesses » pour réclamer des indemnités auprès de la Commission européenne.

A. D. : Sur l'agriculture, il y a le dossier de la fusion des programmes de promotion lait et f&l. On est dans un dossier technique pur. La Commission est partie bille en tête sur son idée de fusionner ces deux programmes. J'ai vu l'exposé et je le trouve assez déphasé de la réalité. En tant que présidente de la Commission communication d'Interfel, j'ai un avis étayé sur le dossier. On a pris toutes les informations et analyses nécessaires et on a même découvert que la filière lait n'était pas au courant… L'autre dossier concernera la révision de l'OCM f&l qui ne fait pas encore partie de l'OCM unique. Pour l'instant, il y a des débats au sein de la Commission agriculture sur la présentation faite par la DG Agri de la Commission européenne. Au sein du Parlement européen, tout n'est pas binaire comme en France, on peut trouver une majorité avec d'autres partis politiques. Tous les partis travaillent ensemble. Par exemple, il y a quelque temps, José Bové m'a invitée sur le sujet de l'accord TAFTA de libre-échange UE/ Etats-Unis. L'autre avantage au Parlement européen, c'est qu'il n'y a pas de gouvernement pour lequel il faut voter. On vote pour des projets et des idées. On est donc moins en opposition partisane. Cela suppose aussi d'avoir une vision politique et un projet pour la France et son agriculture.

FLD : Quel sera votre point de vue sur ces prochains dossiers ?

A. D. : Sur la fusion des programmes lait et f&l, il sera nécessaire de préciser à la Commission que cette fusion n'est pas forcément une bonne idée : pour Bruxelles c'est compréhensible, mais sur le terrain cela ne l'est pas. Les produits, les entreprises, les marchés des f&l et du lait sont différents. Mon engagement à l'Europe, c'est en tant qu'ancienne responsable politique et acteur économique du terrain, faire toucher du doigt que derrière des décisions politiques, il y a des réalités économiques, sociales et sociétales. Je prendrai l'exemple de l'embargo russe. La plupart de mes collègues députés n'imaginent pas les conséquences micro-économiques d'une telle décision. Ils sont sur de la macroéconomie et de la géopolitique. Moi, je suis exploitante agricole et je connais les impacts micro-économiques d'un tel embargo et je sais que derrière tout cela, il y a des gens qui travaillent… Aussi, début août, j'ai rencontré Michel Barnier à qui j'ai transmis le dossier de l'interprofession sur l'embargo. C'est lui qui l'a transmis à Dacian Ciolos. J'ai trouvé quel pouvait être mon rôle sur ce dossier, faire le lien entre le terrain et les décisions politiques. Il est important qu'à Bruxelles et Strasbourg on reçoive régulièrement des messages des filières françaises. Il est important de ne pas abandonner le champ européen à nos collègues des autres Etats membres...

FLD : Et sur les accords UE/Etats-Unis ?

A. D. : C'est vu sous l'angle de l'agriculture. Le point de difficulté, c'est l'agriculture dans cet accord. On risque de voir débarquer des produits interdits dans l'Europe, voire même des molécules non autorisées en Europe. C'est aussi la question des OGM. Sur ce sujet, je n'ai pas de décision arrêtée. Il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers, mais il ne faut pas s'interdire les recherches qui permettraient de mettre au point des solutions d'avenir pour répondre à de grands enjeux collectifs d'environnement ou d'auto-suffisance alimentaire, surtout dans les pays en voie de développement. Je suis donc extrêmement prudente. Si je me suis engagée, c'est pour faire entendre la voix de l'agriculture française et européenne. Mon questionnement porte sur ce qu'attendent les agriculteurs français de leur agriculture. Pour l'heure je ne vois pas la ligne. Avec l'agriculture, on ne peut plus raisonner uniquement franco-français.

FLD : Concernant les barrières non tarifaires, quelle position défendez-vous ?

A. D. : Je ne suis pas faite de religion. J'ai besoin de lire et d'intégrer un sujet pour me faire ma propre idée. Après, je suis députée française, je m'attache à ce que l'agriculture française ait toute sa place au sein de l'Europe. Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre le pourquoi des choses, de regarder les secteurs et quelles sont les moindres conséquences face aux décisions qui seront prises. Evidemment, je garde une sensibilité pour les f&l. Avec notre exploitation maraîchère, je me fais vite rappeler à l'ordre !

FLD : Et l'embargo russe ?

A. D. : J'ai écrit au commissaire européen pour que des mesures soient prises rapidement. Et je dois dire que Dacian Ciolos a été très réactif. Dire que les 125 M€ ne sont pas suffisants, ce n'est pas dans mes compétences. Je voulais savoir comment étaient redistribuées les enveloppes dans ces cas-là. Aujourd'hui je le sais. En parallèle, j'ai demandé à ce que soient mis en débat l'embargo russe et ses conséquences. Notamment pour savoir si les mesures prises par Poutine sont en accord avec les règles de l'OMC. Pour cela, il faut arriver à convaincre les 208 députés de mon groupe parlementaire (le PPE) et au total les 751 autres députés qui composent le Parlement européen. Il faut que le président de la délégation française le porte au débat et qu'il soit mis à l'ordre du jour en session plénière. Ce qui n'est pas une mince affaire.

FLD : Quel regard portez-vous sur le marché ?

A. D. : Le marché des f&l depuis janvier n'était pas brillant. Dans notre exploitation, en juillet nous avions une baisse de revenus de 15 % en moyenne avec des disparités selon les produits allant de - 10 à - 25 %. Mon point de repère, c'est l'année 2011 et nous en sommes très proches cette année. En clair, je dirais que c'est une année noire pour le maraîchage français. L'embargo russe aura des conséquences à terme sur le marché de la pomme. Et en pêche/nectarine, nous avons vécu un très fort déséquilibre d'offre et de demande. On a produit plus que ce que les consommateurs ont bien voulu consommer… C'est pourquoi j'ai dit à Interfel combien il serait opportun de travailler sur la météosensibilité [Interfel travaille actuellement avec Metnext sur le cas de l'endive. La pomme pourrait suivre bientôt, NDLR] qui impacte nos productions fortement. Cette année, par exemple, on n'a jamais eu le bon produit qu'attendait le consommateur au bon moment. La météo a tout le temps été à contre-courant et la demande ne correspondait pas aux produits que nous proposions. Je le dis clairement : c'est la météo qui oriente le marché, le prix n'en est que la conséquence, et pas le premier critère d'achat du consommateur. Le consommateur doit se réapproprier les produits en termes de consommation et de préparation, et de conservation. En complément, pour une filière plus efficiente, l'axe de travail fondamental au sein d'Interfel devrait porter sur les conditions de transport et d'acheminement auprès du consommateur, de conservation des produits [sujet du prochain magazine, NDLR] et de saisonnalité des usages culinaires.

FLD : Et vos mandats à l'interprofession ?

A. D. : Je céderai, le 26 septembre prochain lors du Conseil d'administration d'Interfel, ma responsabilité en tant que présidente de la Commission communication et, de ce fait, de la présidence d'Aprifel. Christel Teyssèdre ferait très bien le travail, mais ce n'est pas à moi d'en juger, c'est au Conseil d'administration.

FLD : Vous partez à regret ?

A. D. : J'avais pris goût au travail interprofessionnel. Moi qui ai tant bataillé avec la grande distribution depuis quelques années, j'y ai trouvé une bonne équipe de professionnels qui avait laissé les armes aux vestiaires. Cela nous a permis d'avoir de la valeur ajoutée sur nombre de dossiers. La présidence de la Commission communication m'a passionnée. Je reste persuadée que c'est un vecteur d'augmentation de la consommation.

FLD : Et Solaal ?

A. D. : Je reste présidente de Solaal (SOLidarité des producteurs Agricoles et des filières ALimentaires). C'est le seul mandat national que je garde. C'est un dossier très différent des engagements traditionnels que j'avais au sein d'Interfel et du CTIFL. L'aide alimentaire, la lutte contre le gaspillage alimentaire vont de pair. Et Solaal n'a pas son pareil en Europe. J'ai le secret espoir que Solaal puisse essaimer partout en Europe. Dans le cadre de l'embargo russe, j'ai fait en sorte que l'aide alimentaire soit prise en compte. J'avais déjà bataillé en 2011 avec la crise E. Coli. Là, c'est directement dans le panel de mesures.

FLD : Que pensez-vous du redécoupage régional qui s'annonce ?

« C'est la météo qui oriente le marché, le prix n'en est que la conséquence, et pas le premier critère d'achat du consommateur. »

A. D. : Les régions font l'objet de politiques européennes et elles sont bénéficiaires de fonds européens. Pourquoi n'auraient-elles pas les mêmes circonférences que celles des députés européens ? Pourquoi ne pas faire des régions des identités culturelles, géographiques et agricoles ? Je pense à l'axe ligérien (régions Centre-Pays de Loire). Pour les fruits et légumes, cela aurait doublement du sens.

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