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Guerre en Ukraine : flambée des coûts de production de fruits et légumes

Comme dans tant d’autres secteurs d’activité, la guerre en Ukraine fait peser de lourdes menaces sur la filière fruits et légumes. La hausse du coût de l’énergie a des conséquences en cascade. Avec une envolée inévitable des coûts de production. Sont-ils répercutables sur le prix de vente ?

Le secteur des serres chauffées subit directement les hausses successives de l'énergie dues à la guerre en Russie. « Nous sommes dans une situation dont on ne mesure ni l’ampleur, ni la durée », témoigne Laurent Bergé président de l'AOPn Tomates et concombres de France.
Le secteur des serres chauffées subit directement les hausses successives de l'énergie dues à la guerre en Russie. « Nous sommes dans une situation dont on ne mesure ni l’ampleur, ni la durée », témoigne Laurent Bergé président de l'AOPn Tomates et concombres de France.
© RFL

« Avec cette guerre russo-ukrainienne, nous sommes dans une situation totalement inédite avec beaucoup d’inconnues », indique Laurent Bergé, président de l’AOPn Tomates et concombres de France. « On vit quelque chose d’exceptionnel et qui nous interroge », ajoute Marc Kerangueven, président de Prince de Bretagne. « Et chaque jour, nous devons affronter un nouveau problème », surenchérit Sabine Alary, vice-présidente de l’Aneefel (Association nationale des expéditeurs-exportateurs de fruits et légumes). Et c’est sans doute cet effet domino qu’engendre cette crise qui est le plus difficile à vivre pour les acteurs de la filière.

La hausse du coût de l’énergie et son corollaire, l’inflation, affectant tous les coûts de la chaîne. « Les producteurs sont confrontés de manière douloureuse à la hausse de ces derniers alors qu’ils avaient déjà augmenté, avec la nécessité de mettre en place des stratégies de lutte contre le gel en 2021 », explique Vincent Guérin, économiste à l’ANPP (Association nationale pommes poires). Il y a, pour commencer, cette augmentation « insupportable », selon les mots de Laurent Bergé, de la facture énergétique. Le prix du KWh est actuellement en moyenne de 100 €, constate Marc Kerangueven, avec parfois des pics à 200 €.

« L’an dernier, il était compris entre 25 et 30 € ». Des chiffres qui mettent en danger les productions sous serre chauffée. « Cela nous oblige à réviser les calendriers de production, les itinéraires techniques et la stratégie climatique en baissant le chauffage avec le risque sanitaire que cela induit, sans oublier la baisse des rendements », poursuit Laurent Bergé qui évoque de possibles aléas de disponibilité en magasin. Et Marc Kerangueven craint que certains producteurs renoncent à emblaver. Prince de Bretagne a même nommé un Monsieur Energie chargé de surveiller au jour le jour le prix de celle-ci, pour décider en fonction de son évolution si les serres sont chauffées ou non.

Les emballages viennent à manquer

A cela s’ajoute le renchérissement des engrais. « Nos distributeurs nous ont mis en garde. Commandez maintenant car il faut s’attendre à une hausse prochaine de 80 % », indique Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France. Le prix des emballages s’emballe aussi. Celui du carton a pris 30 % et cette flambée devrait continuer. « Les fournisseurs de carton nous ont avertis qu’ils ne pourraient pas respecter les devis signés », souligne Sabine Alary, vice-présidente de l’Aneefel. Et encore, faut-il pouvoir disposer de ces emballages, notamment en bois.

« Nous sommes en rupture de paniers bois pour les fraises car les usines qui les produisaient, basées en Ukraine, ont fermé. Nous sommes passés au carton mais jusqu’à quand ? En plus, la loi Agec interdit le recours au plastique. Aussi nous demandons un moratoire sur cette loi en attendant de trouver une solution à cette désorganisation de la chaîne d’approvisionnement. Même pour les melons, se pose la question de la disponibilité des alvéoles », avertit Sabine Alary. A cette liste de problèmes non exhaustive, on peut encore citer la hausse du prix du GNR et du fuel, une multiplication par quatre du coût des palettes, une hausse de 41 % du prix des agrafes et de 50 % sur les films de paillage. Sans compter les délais qui s’allongent pour la maintenance du matériel et les problèmes de main-d’œuvre…

« La grande distribution doit apprendre à rogner ses marges »

La question qui se pose désormais est de savoir si les producteurs auront la possibilité de répercuter l’ensemble de ces hausses sur le prix de vente. « Les légumes, en moyenne, se vendent entre 2 et 2,50 €/kg. Il faudrait atteindre 2,80, voire 2,90 €/kg. Ce qui n’est encore qu’une moyenne. Pour la tomate, il faudrait ajouter au moins 0,60 €/kg », estime Jacques Rouchaussé. Mais cette valorisation qui serait nécessaire coïncidera-t-elle avec le pouvoir d’achat du consommateur, se demande Laurent Bergé. Et l’ensemble des acteurs d’en appeler notamment à la grande distribution. « Elle doit apprendre à rogner ses marges », poursuit le président de l’AOP Tomates. « Nous devons, chiffres à l’appui, discuter avec elle et avec les autres distributeurs pour que s’exprime une solidarité de filière », estime Vincent Guérin.

Des discussions ont déjà commencé. « La grande distribution se montre à l’écoute mais nous sommes conscients que c’est compliqué pour elle, étant en prise direct avec le consommateur qui estime d’ores et déjà que les fruits et légumes sont trop chers. Mais à un moment, ces hausses devront être répercutées », considère Stéphanie Prat, directrice de la FNPF (Fédération nationale des producteurs de fruits). « Nous avons toutefois la chance que le consommateur soit attentif à l’origine des produits. Or, en période de doute, l’origine France rassure », observe Jacques Rouchaussé.

La crise du Covid avait déjà soulevé la question de la souveraineté alimentaire. « Mais avec ce conflit, nous sommes face à un enjeu de sécurité alimentaire », estime Stéphanie Prat. Un avis partagé par l’ensemble des organisations professionnelles qui demandent, au minimum, la mise en veille de la stratégie européenne Farm to Fork, visant à réduire l’empreinte environnementale du système alimentaire. « Celle-ci est basée sur une logique de décroissance. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire », indique la FNSEA. « J’espère que cette situation exceptionnelle que nous vivons va permettre d’engager de nouvelles réflexions sur la valorisation du travail car les agriculteurs qui auront cessé de produire ne reviendront plus », conclut Marc Kerangueven.

Le marché de la pomme fortement perturbé

La pomme française doit affronter la concurrence de ses homologues polonais, serbes ou encore moldaves. Ces pommes, avant le conflit, étaient commercialisées en Russie et en Ukraine. « Ces pays se retrouvent ainsi sans leurs traditionnels débouchés commerciaux et tentent d’en trouver de nouveaux. Ce qui perturbe les flux d’autant plus qu’elles sont proposées à très bas prix », indique Vincent Guérin. En Scandinavie, notamment, les Polonais font le forcing. « Mais cette concurrence se ressent aussi en France. A Rungis, les grossistes constatent la présence de ces pommes polonaises qui sont destinées au marché de plein air ou à la restauration hors domicile. Nous demandons que sur le secteur du transformé soit clairement indiquée l’origine des fruits comme cela l’est en grande distribution ».

Primland, Jean-Baptiste Pinel

 

© RFL
« Primland possède un verger de 20 ha de Nergi en Ukraine. Il est situé dans le Sud-ouest du pays donc pour le moment (ndlr : interview datée du 6 avril), il n’a pas été impacté par les combats. Et l’ensemble des salariés sont au rendez-vous. Mais nous avons besoin de voir comment vont évoluer les choses. Nous vendons aussi un peu de kiwi chilien sur le marché ukrainien. Nous ne pouvons pas vendre ces volumes cette année, mais ce débouché ne représente que 1 % de notre chiffre d’affaires. Nous ne sommes donc pas très touchés. »

 

Benoît Escande, pépiniériste

 
© Escande
« Les conséquences de la guerre en Ukraine pour notre entreprise sont simples : l’annulation de plusieurs contrats. On se retrouve avec des arbres sur les bras qu’on devait envoyer en Ukraine, pour 500 000 euros, l’équivalent de 10 % de notre chiffre d’affaires. On a essayé de remplacer ces contrats mais les clients préfèrent avoir les arbres l’année prochaine. Il y a des marchés très porteurs comme le Maghreb ou l’Inde, mais c’est trop tard au niveau de la climatologie pour y écouler ces arbres.»

 

Shaffe : exportateurs Hémisphère sud

 

© DR
Les exportateurs de fruits réunis au sein de la Shaffe (Southern Hemisphere Association of Fresh Fruit Exporters) s’attendent à une réduction des exportations vers les marchés ukrainiens et russes et d’une redirection de ces marchandises vers l’Europe ou les Etats-Unis. Ces marchés pourraient alors se retrouver excédentaires, entraînant pour eux de lourdes pertes financières. De plus, la Shaffe craint l’accélération des coûts de logistique et des risques financiers dus aux sanctions contre des banques russes, perturbant le système de paiement Swift.

 

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