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Grands gibiers, gros dégâts

La faune sauvage s’invite parfois à table dans un verger ou une parcelle. Un problème récurrent, difficilement acceptable pour les producteurs et exacerbé par les tensions relationnelles qu’il peut générer entre « usagers » de la nature.

« Environ 90 % des exploitations légumières subit des dégâts de gibiers ou gros ravageurs », mentionne une enquête réalisée en 2014 par la chambre d’agriculture du Finistère (voir encadré page 10). Le chiffre rend compte d’une réalité difficile à évaluer mais rares sont les agriculteurs qui n’ont pas un jour découvert une parcelle ravagée par des sangliers, chevreuils, lapins, oiseaux... Pour l’année 2015, la Fédération des chasseurs (FDC) a payé 200 000 euros aux producteurs de fruits et 250 000 euros aux producteurs de légumes à titre d’indemnisation de dégâts de gros gibiers (sangliers, cervidés).

Ne pas tomber dans l’illégalité malgré les nuisances

Les 35 millions d’euros d’indemnisation annuelle moyenne, toutes cultures confondues, versés par l’organisme, illustrent l’étendue des difficultés à maîtriser la faune sauvage et sa cohabitation avec l’activité agricole. Pour en arriver là, il faut revenir à la mise en place en 1969 du plan de chasse grand gibier. « Celui-ci a privé les agriculteurs du droit d’affût et du prélèvement direct en le reportant sur un plan de chasse soumis à autorisation et géré par les sociétés de chasse », explique Antoine Berton, rédacteur en chef du Chasseur français. Depuis, les agriculteurs constatant des dégâts de grand gibier disposent d’une procédure d’indemnisation (voir page 8). Le sanglier est devenu la bête noire des agriculteurs. Il est à l’origine de 85 % des indemnisations versées par la FDC. Dans le Sud-est de la France, le Gard se place en tête du nombre d’animaux abattus. Il dépassera les 38 000 en 2016. « Le sanglier trouve à manger toute l’année, il a gagné en prolificité, il n’est pas affecté par des maladies et il est intelligent », précise Guy Marjollet, chambre d’agriculture du Gard, spécialiste du suidé. En arboriculture, des dégâts sont régulièrement constatés dans les oliveraies et les vergers d’abricotier où les mères couchent les arbres pour alimenter leur portée. En cultures légumières, les animaux attirés par l’eau des gaines d’irrigation dévastent les melonnières et les aspergeraies où ils mangent les fruits et les griffes. « Les agriculteurs doivent apprendre à vivre avec en utilisant tous les moyens à leur disposition, c’est-à-dire éviter, réduire, compenser, mentionne le spécialiste. Pour éviter la prolifération, les agriculteurs doivent travailler avec les chasseurs, qui sont les seuls à être efficaces dans la régulation des populations ». Dans le Gard, le sanglier est chassable du 1er juin à fin mars. Pour réduire le risque, l’usage des clôtures électriques et de certains répulsifs est possible. Enfin, la compensation est la solution de dernier recours lorsque les dégâts sont faits. « C’est une procédure longue, fastidieuse et qui, pour les fruits et légumes, ne correspond pas souvent à la réalité financière et au préjudice subi, reconnaît Guy Marjollet. Malgré toutes les nuisances et exaspérations, la lutte contre les sangliers ne nécessite pas de tomber dans l’illégalité ».

Risque lié à l’emplacement de la parcelle

Dans l’ouest de la France, ce sont souvent les oiseaux qui posent problème. « Plus de 70 % des exploitations finistériennes déclare subir des dégâts de pigeons ramiers, expose Vianney Estorgues, chambre d’agriculture du Finistère. Dans 67 % des cas, ils concernent les jeunes plants de chou du printemps à juillet ». Dans la vallée de la Loire, à Sainte-Gemmes-sur Loire (49), Pascal Beaujean subit aussi les attaques de pigeon ramier qui se multiplient dans les parcs et jardins de l’agglomération d’Angers toute proche. Les 50 ha de salades et 10 ha de choux qu’il cultive sont les cultures les plus affectées par les volatiles, notamment d’avril à juin, avant l’arrivée des céréales. Les dégâts peuvent atteindre 30 à 40 % sur de jeunes plants mais aussi sur la pomme des légumes, les rendant non commercialisables. « L’unique moyen de lutte est l’effarouchement, avec les difficultés de voisinage que peut engendrer l’utilisation des canons », mentionne-t-il. Toutefois, Pascal Beaujean a testé un effaroucheur pyro-optique qui associe la détonation, plus atténuée qu’un canon classique, et un leurre sur un mât à sept mètres de hauteur. Malgré une réelle satisfaction de l’appareil, Pascal Beaujean envisage de se tourner vers la fauconnerie.

Dans le Sud-ouest, ce sont les chevreuils qui posent problème, notamment sur les cultures arboricoles et forestières. « C’est un risque qu’il faut prévenir dès la plantation des vergers, explique Bruno Saphy, responsable développement d’Unicoque, coopérative spécialisée dans les noix et noisettes. Au printemps, les chevreuils frottent leurs bois sur les jeunes plantations et pèlent l’écorce des scions, ce qui fragilise l’arbre et rend le verger hétérogène ». Un tiers des nouvelles plantations, soit 150 ha par an, peut ainsi subir des dégâts qui touchent entre 5 et 15 %, parfois 30 %, des arbres. « Le risque est lié à l’emplacement de la parcelle et aux précautions prises par l’exploitation. Le travail avec les fédérations de chasse, parfois même le financement de clôture électrique, permet de limiter les problèmes », admet Bruno Saphy. Dans les Pyrénées-Orientales, la présence des lapins a parfois été problématique. « Il y a une dizaine d’années, nous avons atteint des niveaux de populations difficilement acceptables en Salanque et dans la Plaine du Roussillon », raconte Gilles Tibier, directeur de la

La faune sauvage ne doit pas passer au second plan »

OLIVIER GALAUP, technicien à la Maison de la chasse et de la nature

Fédération des chasseurs du département. Cela avait créé des tensions entre agriculteurs, administrations, chasseurs, associations d’usagers... « Nous avions atteint un indice kilométrique d’abondance de 50 lapins lors de dénombrements nocturnes », précise Olivier Galaup, technicien à la Maison de la chasse et de la nature. « Un travail de concertation a permis d’estomper les tensions, de mettre en place des actions de régulation, de développer des moyens de protection des cultures avec des filets, d’ouvrir les milieux et de défricher », dévoile Gilles Tibier. Des démarches qui ont réduit la pression des rongeurs, d’autant que depuis quatre ans on assiste à un effondrement des populations, dû à une nouvelle souche de VHD, un virus hémorragique. Toutefois, une faible population de lapins peut créer des dégâts importants. « Cela dépend de l’accessibilité de la parcelle », prévient Olivier Galaup. Selon lui, il est important d’agir en concertation avec les organisations impliquées et en prévention, en veillant par exemple à l’entretien des dépôts de matériel agricole ou du nettoyage des tas de souches. « La faune sauvage ne doit pas passer au second plan. C’est l’objectif du réseau Agrifaune », explicite le spécialiste.

EN PRATIQUE

L’indemnisation des dégâts de gibier s’établit à l’échelle de la parcelle culturale définie selon le code rural par « un ensemble de parcelles ou partie de parcelles cadastrales adjacentes supportant la même culture ».

Les dégâts doivent dépasser un seuil de surface détruite de 3 % de la parcelle culturale. Si ce seuil n’est pas atteint, le montant des dégâts doit être supérieur à 230 euros.

Même si elle n’ouvre pas droit à une indemnisation, la déclaration de dégâts permet de maintenir ou d’inclure une espèce dans le statut de nuisible qui dure pendant trois ans.

Les gibiers à la loupe

Le sanglier

Le sanglier est un suidé dont les mâles adultes peuvent parfois dépasser les 150 kg. C’est un omnivore très opportuniste qui se nourrit majoritairement de végétaux. Le sanglier montre une grande sédentarité avec une occupation spatiale de 500 à 3 000 hectares quel que soit le sexe de l’animal mais qui peut augmenter sensiblement sous l’effet de la chasse. La laie atteint la maturité sexuelle entre 8 et 24 mois et donne cinq à sept marcassins par portée. L’accroissement annuel d’une population est très variable selon les années et peut aller de 100 % à 150 %.

Le chevreuil

Le chevreuil est le plus petit des cervidés européens (20 à 25 kg). Il recherche une alimentation riche et diversifiée. Son domaine vital est d’environ 20 ha en milieu forestier et de 100 à 150 ha en milieu agricole. Il atteint sa maturité sexuelle au bout d’une année. La femelle met bas généralement deux faons avec une synchronie des naissances horlogère puisque 80 % des jeunes naît en trois semaines (du 15 mai au 5 juin en forêt de plaine). Le taux de multiplication annuel maximum est égal à 1,40. La saturation du milieu provoque des phénomènes de régulation de population.

Le lapin

Le lapin de garenne est un mammifère de taille moyenne qui s’organise en groupes sociaux de cinq à sept individus. C’est un herbivore opportuniste qui consomme toutes sortes de végétaux, y compris des écorces d’arbres. Son domaine vital est très faible et varie de 500 m2 à cinq hectares. Les femelles mettent au monde 15 à 25 petits par an mais seuls cinq à six jeunes parviennent à l’âge adulte. Le taux de survie annuel est en moyenne de 50 % chez les adultes et de 20 % chez les juvéniles mais avec une dynamique instable.

Du temps, de l’énergie et de l’argent

Une enquête menée auprès des producteurs de légumes finistériens montre que pour faire face à la voracité des pigeons ramiers indésirables, 59 % des exploitations possède au moins un canon horizontal avec, dans certains cas, des problèmes de voisinage (9 %). D’autres essaient de les effaroucher visuellement avec des épouvantails, sacs, ballons (17 %) ou utilisent des cerfs-volants en forme de rapace (11 %). Pour lutter contre les lapins et les lièvres, 86 % des exploitations utilise des filets et grillages. « Cette protection permet à 20 % des exploitations de ne pas avoir de dégâts. Pour les autres, les filets ne permettent que de limiter les dégâts et seul 6 % des exploitations n’a pas de dégâts sans aucune protection », relève l’enquête. Selon les données recueillies, les poses-déposes des filets représentent en moyenne 2h54 par hectare. Au total, sur une exploitation légumière finistérienne, 19 heures de travail par an sont passées à protéger les cultures (toutes espèces) et les pertes dues aux gros ravageurs s’élèvent à 2 690 euros.

Le dialogue avant tout

« La procédure d’indemnisation est réservée aux agriculteurs qui constatent des dégâts de grands gibiers soumis au plan de chasse, dont font notamment partie le sanglier, le cerf, le chevreuil », précise Benoît Guibert, directeur du service grands gibiers et dégâts à la Fédération des chasseurs. La déclaration de dégâts donne lieu à une estimation. Ensuite, un avis d’une commission paritaire (chasseur, agriculteurs, DDT) fixe le montant d’indemnisation selon un barème fixé chaque année. « Il s’agit d’une procédure administrative amiable. Un recours est possible devant une commission départementale ou nationale », précise le responsable. L’indemnisation porte sur la perte de récolte et la remise en état de la parcelle, voire la replantation dans le cas d’arbres. Depuis 2012, la loi est étendue à la remise en place des filets de récolte. L’indemnisation des accessoires de culture, comme les gaines d’irrigation ou les plastiques, n’est pas prévue par la loi. « Dans le secteur des fruits et légumes, les indemnisations concernent des dégâts de sangliers mais également de chevreuil dans une proportion plus importante que la moyenne pour ce dernier », renseigne Benoît Guibert. Si les dossiers dans ces domaines sont peu nombreux, ils peuvent avoir un coût important compte tenu de la valeur des cultures. Toutefois, l’argent ne résout pas tout. L’indemnisation est l’épilogue de relations parfois tendues voire conflictuelles… « Nous militons pour le dialogue. Les solutions ne peuvent venir que collectivement », estime le responsable. Pour les dégâts de petits gibiers (lapins, perdrix, etc.), les agriculteurs doivent s’adresser aux sociétés de chasse ou aux détenteurs du droit de chasse.

 

 

 

 

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