Aller au contenu principal

Gel : Thermomètres en main et yeux au ciel

L’apparition du gel n’est pas liée à un phénomène unique, plusieurs facteurs peuvent bel et bien en être la cause. Et plusieurs solutions permettent de s’en prévenir.

Le gel peut apparaître lorsque l'eau de la rosée s'évapore. Elle prend alors de la chaleur au végétal qui se refroidit.
© GoneWithTheWind

L’apparition du gel est liée en premier au rayonnement terrestre nocturne : plus le ciel est dégagé, plus le rayonnement naturel du sol vers l’atmosphère est important. Dans ce cas, la température chute facilement. En effet, sol et végétaux « rayonnent » vers l’atmosphère ; ils perdent ainsi de l’énergie et se refroidissent. Ce phénomène est visible lors des gelées blanches au printemps (ou en automne, au petit matin), après une nuit claire. Évidemment, la nature du sol et sa couverture vont influer sur ce rayonnement. « Un sol nu refroidira plus vite que s’il est enherbé, l’herbe assurant une fonction de couche isolante bloquant la chaleur et l’empêchant de s’échapper dans l’atmosphère », explique Florian Chapelin, du Cirame, le Centre régional d’agro-météorologie en région Paca.

Seconde cause de l’apparition du gel, l’évaporation de la rosée. « C’est la caractéristique typique des gelées de printemps. En s’évaporant, l’eau libère de la chaleur en la prenant du végétal, qui se refroidit. En cas de nuit claire, sans vent et avec une forte humidité, la rosée se dépose naturellement. Si plus tard dans la nuit, l’humidité de l’air diminue, par exemple à cause d’un vent plus fort, cette rosée s’évapore, entraînant un gel. » Pour le spécialiste, il est donc important que les agriculteurs disposent d’un thermomètre humide dans leur parcelle (voir encadré), et pas d’un simple thermomètre sec.

Enfin, un gel n’est pas rare lors de nuits venteuses, à faible humidité et en présence d’une masse d’air froide venant généralement du Nord (cas fréquents en hiver). « Cette masse refroidit l’atmosphère et se trouve en général à faible hauteur. On a donc une accumulation de froid sur plusieurs mètres d’altitude », résume Florian Chapelin qui conseille de prendre dans ce cas précis la température du point de rosée, le soir. « Cela permet de savoir si l’on se situe dans le cas d’une nuit radiative (cas des gelées de printemps) ou d’une gelée induite par une masse d’air (en hiver) ». Si la température de point de rosée est supérieure à 0°C, c’est une gelée radiative. A l’inverse, si la température de point de rosée est inférieure à -4°C/-5°C, c’est une gelée par masse d’air (cas typique des gels d’hiver). « Quand la température du point de rosée est comprise entre 0 et -4°C, la vigilance est de mise. ».

Plusieurs moyens de lutte

Heureusement, plusieurs solutions permettent de se prémunir du gel. Tout d’abord, la lutte dite « passive », avec un choix de variétés à floraison tardive, de parcelles dotées d’obstacles pouvant bloquer les courants d’air froid au sol (haie, chemins surélevés…). Ensuite, la lutte par aspersion consiste à recouvrir le végétal de glace et de le maintenir humidifié. « En gelant, l’eau libère de l’énergie qui réchauffe le végétal. » Mais pour cela, il faut que la situation soit favorable (sans vent). « L’humidification doit être homogène (pas d’effet bordure, ndlr), car même un vent faible générera du gel par évaporation ». Autre point d’attention, l’installation antigel doit être « irréprochable », avec une irrigation homogène et « une réserve d’eau suffisante pour apporter un objectif de 4 mm d’eau par heure ». Enfin, l’agriculteur doit collecter plusieurs informations précieuses (température sèche, température humide, en plusieurs points de la parcelle et à l’extérieur…) pour déclencher la lutte. Pour cela, conseille Florian Chapelin, il faut se baser sur le thermomètre humide et prendre un seuil compris entre 0,5°C et 1°C. « On arrête alors la lutte par aspersion quand la température dépasse les 2°C, c’est-à-dire lorsque le soleil reprend la main et réchauffe le végétal. » Troisième option contre le gel, la lutte par brassage d’air grâce à des tours à vent qui viennent brasser l’air froid (en bas) et l’air chaud, plus léger et en hauteur. « Cette technique n’est utilisable qu’en situation de gel de printemps : dans le cas d’un gel dit de « masse d’air », les tours ne brasseraient que de l’air froid. » Au printemps, il faut démarrer la tour à 3-4°C au-dessus du seuil afin d’éviter que la végétation ne soit mouillée, « ce qui nécessitera d’abord de sécher le végétal sous peine d’enclencher un gel par évaporation ». Reste que cette technique présente un coût élevé (de 28 500 € à 32 500 € HT/tour) et qu’il faut compter une tour pour 4-5 ha. Méthode traditionnelle, la lutte par bougies se base sur le principe de réchauffer l’air. Une bougie de 6 litres coûte 11 euros, sachant qu’une bougie dure environ 8 heures sur un terrain plat et non-venté, sous peine de les renouveler plus souvent. « Cela nécessite une logistique optimale, avec une main-d’œuvre disponible et rapide en termes d’exécution. » Comptez 200 bougies/ha pour gérer un seuil de -2°C et 400 bougies pour un seuil de -6°C à -7°C. Dernier moyen de lutte contre le gel, le frostbuster. Cette machine vient souffler de l’air chaud dans le verger par brûlage de propane, mais nécessite un intervalle de 7 à 10 minutes entre deux passages au même endroit. « Comptez une machine pour environ 8 ha, avec un coût de fonctionnement d’environ 100 €/h et 15 000 € d’achat », a conclu Florian Chapelin.

« Quand la température du point de rosée est comprise entre 0 et -4°C, la vigilance est de mise », Florian Chapelin, Cirame.

Raisonner la lutte contre les gelées

- Connaître la prévision météorologique, l’état du ciel (clair, couvert, arrivée de nuages en cours de nuit), le régime du vent, le(s) changement(s) de masse d’air.

- Connaître les différences de températures entre les parcelles à protéger : placer des thermomètres indiquant, par nuit claire et calme, les écarts de températures d’un point à un autre de la parcelle. La référence pour démarrer la lutte sera alors le point le plus froid.

- Déterminer l’emplacement de l’avertisseur de gel, à positionner dans un environnement assez dégagé (sans être trop éloigné du domicile) pour prévenir des potentiels risques de dysfonctionnement. Déterminez la température de consigne par rapport au point le plus froid et au seuil de résistance des végétaux, selon le stade végétatif.

- Pour l’aspersion, la micro-aspersion sur ou sous frondaison et le brassage d’air (tour à vent), pensez à vous équiper d’un thermomètre humide (pagoscope ou psychromètre) pour affiner la décision de mise en route. Trop d’échecs de protection antigel par aspersion ou par brassage d’air sont le résultat d’un démarrage trop tardif basé sur la température sèche.

- Utiliser des appareils de mesure fiables, bien étalonnés et correctement installés.

Source : Cirame

Thermomètre sec vs. thermomètre humide

Un thermomètre humide se distingue d’un thermomètre sec par la présence d’un manchon de gaze imbibée d’eau appliqué autour du réservoir. Attention, le bulbe du thermomètre humide entouré de sa gaze mouillée doit être placé à l’extérieur du réservoir d’eau.

Lorsque l’air est saturé d’humidité (proche de 100 %), il ne se produit aucune évaporation au niveau du manchon et donc aucun refroidissement supplémentaire. Les thermomètres, sec et humide, indiquent donc la même température.

Lorsque l’air est plus sec (humidité relative < 80 %), il y a évaporation au niveau du manchon et refroidissement localisé. Le thermomètre humide marque une valeur inférieure au thermomètre sec : l’écart entre le sec et l’humide est d’autant plus important que l’air est sec.

Source : Cirame

Trois équipements contre le gel

Eolienne mobile Tow & Blow

Cette éolienne mobile distribuée par la société Schillinger, protège du gel en faisant circuler l’air des couches supérieures vers les couches inférieures plus froides. Elle est déplacée dans la parcelle à l’aide d’un tracteur ou d’un 4x4. Sa stabilité est assurée par quatre bras télescopiques. Sa compaction lui permet d’être installée dans des vergers étroits et sous filets. Le modèle Eco avec moteur essence protège jusqu’à 3,5 ha. Le modèle Profi à modèle diesel protège de 4 à 5,5 ha.

 

 

Frostbuster d’Agrofrost

Le Frostbuster est une machine traînée avec un brûleur à gaz qui réchauffe l’air jusqu’à 100°. La turbine, actionnée par le tracteur, projette l’air jusqu’à 50 m de chaque côté. Un Frostbuster peut protéger jusqu’à 8 ha en étant déplacé. Pour une bonne protection, un passage toutes les 10 minutes au même endroit est recommandé. En réchauffant l’air, il baisse l’humidité relative et donc le point de rosée. Sa consommation est de 45 kg de gaz par heure. Un plus petit modèle fixe, le FrostGuard protège sur un diamètre de 100 à 120 mètres.

 

 

Les tours à vent d’Orchard Rite

Une tour à deux pales d’Orchard Rite protège jusqu’à 7 ha. Elle mélange l’air chaud situé entre 10 m et 25 m pour le mélanger avec l’air proche du sol plus froid. Elle fonctionne avec un moteur gasoil d’une consommation moyenne de 30 l/h ou au GPL avec une conso de 32 kg/h. Un boîtier incliné permet de suivre une pente de terrain de moins de 8°. La même tour peut aussi être pliable pour éviter de dénaturer le paysage. L’entreprise fabrique aussi une tour mobile mais qui protège moins de surface.

 

 

Jean-François Chazalet, arboriculteur dans la Drôme, en abricot

« Il faut sans cesse être sur le qui-vive »

« Au regard de notre parcellaire et la limitation du débit d’eau, nous utilisons plusieurs moyens de protection contre le gel. Dans tous les cas, il faut être équipé d’une alarme. Elle va nous permettre d’intervenir au bon moment. Tous les équipements doivent aussi être prêts à fonctionner. Il y a tout d’abord les bougies antigel. Le principe ici est d’apporter de la chaleur. Il faut les allumer au moment opportun. Cela dépend de la végétation. Par exemple, lorsque le bouton floral commence à rougir et est légèrement gonflé, il y a risque de gel à partir de -4 à -5°C. En revanche, si le jeune fruit est apparent, c’est à partir de -0,5°C. Avec les bougies, on peut gagner 4 à 6°C en fonction du nombre réparti. Les bougies sont autonomes entre 8 et 10 h. Une fois le risque passé, il faut les éteindre afin de garder l’autonomie pour, éventuellement, la nuit suivante. Il faut sans cesse être sur le qui-vive. Avec la tour à vent, c’est plus facile car il suffit dans ce cas de tourner une clef afin de démarrer l’installation. Concrètement, il s’agit d’un gros ventilateur qui peut pivoter sur lui-même à 360 degrés. Il est actionné par un moteur thermique. Lors d’une nuit claire et étoilée, sans vent, le sol peut se refroidir. La tour à vent va donc aspirer l’air chaud dans la partie supérieure de l’atmosphère pour le ramener vers le bas, en le brassant. On arrive à gagner 4 à 5°C en bonnes conditions. Cet équipement couvre 4 à 5 ha, le dispositif est complété par des bougies en périphérie qui vont apporter de la chaleur complémentaire. Enfin, il y a l’aspersion sur frondaison. Le principe est d’irriguer les vergers par-dessus. Une pellicule de glace va se former sur le jeune fruit, il reste ainsi en positif. C’est en théorie le moyen le plus efficace, mais il a aussi beaucoup d’inconvénients. Il faut déjà avoir suffisamment d’eau, ne pas tomber en panne de pompe ou avoir ses canalisations gelées. Sur toute une journée, le poids de la glace va faire souffrir les arbres. Il faut aussi éviter d’irriguer sur les fleurs. Enfin, l’excès d’eau n’est pas forcément une bonne chose. »

Aurélien Tournier

Les plus lus

Les chaufferettes Wiesel commercialisées par Filpack permettent un gain de température à l'allumage supérieur à celui des bougies.
Chaufferettes contre le gel en verger : un intérêt sur les petites parcelles très gélives

Le risque de gel fait son retour sur cette deuxième quinzaine d'avril. Plusieurs entreprises proposent des convecteurs à…

Parsada : ouverture ce 12 avril d'un appel à projets porté par FranceAgriMer

Initié au printemps 2023, le Plan stratégique pour mieux anticiper le potentiel retrait européen des substances actives et le…

verger abricot Drôme - Emmanuel Sapet
En Ardèche, de fortes pertes dans les vergers d'abricotiers sont à déplorer

Des chutes physiologiques importantes de fleurs sont à déplorer dans des vergers d'abricotiers d'Ardèche, de la Drôme et de l'…

Prix des fraises françaises : il n'est « pas lié aux faibles quantités espagnoles », revendique l’AOPn

Les fraises espagnoles sont pour le moment quasi absentes de nos étals français. Pourtant, ce n’est pas cette absence ou cette…

PNR BARONNIES PROVENCALES
L’IGP Abricot des Baronnies sur la rampe de lancement

L’abricot des Baronnies, qui attendait ce printemps la toute dernière validation de son IGP, est d’ores-et-déjà en ordre de…

Loi Agec et emballage plastique des fruits et légumes : le Conseil d’Etat rejette le recours, Plastalliance va porter plainte devant l’UE

Suite à l’audience du 4 avril, le Conseil d’Etat a rejeté, par ordonnance du 12 avril 2024, la requête de Plastalliance aux…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 354€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes