Medfel - Italie
Fragilisée par les crises, l’Italie se consolide à l’export
De l’autre côté des Alpes, la filière italienne – qui occupe une place à part sur le marché européen – s’inquiète des répercussions géopolitiques méditerranéennes.
Place forte de la filière f&l européenne, l’Italie a, comme les autres pays du pourtour méditerranéen, souffert des événements géopolitiques et économiques de ces derniers mois. Fortement exportatrice en particulier vers l’Allemagne ou encore la Libye, le pays de la plaine du Pô a cumulé les difficultés commerciales en 2011 et la situation économique générale n’a pas aidé. Après la guerre en Libye, son principal marché à l’export dans le bassin méditerranéen (plus de 46 000 t expédiées en 2010), l’Italie a subi de plein fouet la crise sanitaire E. Coli. « Les exportations vers la Libye ont augmenté fortement jusque début 2011 grâce à la pomme. En 2011, elles ont représenté 25 000 t sur les 31 000 t de f&l exportées », précise Federico Milanese, au CSO, l’organisme qui représente l’ensemble de la filière f&l italienne. Ajoutant que les potentiels à l’export avaient par la suite été reportés de la Libye vers l’Algérie et l’Egypte. Ces deux pays font partie des grandes tendances à l’export comme l’annonce le directeur du consortium VOG (cf. Interview). Avec une production de 36 Mt de f&l, dont 18 Mt de fruits, l’Italie joue une forte carte à l’export avec les pommes, kiwis, raisins de table et agrumes. Et la valeur s’élève à 12,220 Mde (31 % de la valeur de la production agricole nationale), la Sicile, les Pouilles, l’Emilie-Romagne et la Campanie dominant le marché. Pour le kiwi, l’Italie est le premier producteur mondial (en excluant la Chine) avec plus de 70 % de la production de l’hémisphère Nord. Pour la majorité de ses productions, l’Allemagne est son principal marché à l’export. En pêches-nectarines, l’Italie (leader européen) en exporte près de 25 %, majoritairement outre-Rhin (40 % des volumes), puis vers l’Autriche, la République Tchèque et la Pologne. Dans le cas du kiwi, l’Allemagne reste leader, viennent ensuite l’Espagne, la France, la Pologne et la Russie. Sur le marché espagnol, l’Italie aura à batailler d’ici peu avec le kiwi local. Anecoop annonce en effet le développement de vergers de kiwis pour une mise en marché de juin à août. Cette année, il en est annoncé 300 t.
Accord UE-Maroc : la Sicile s’inquiète des répercussions à venir
Ces dernières semaines, l’Italie se disait très déçue de la décision du Parlement européen. « Avec ce vote favorable à la libéralisation des échanges [entre l’Europe et le Maroc, NDLR], les filières européennes de la tomate et des f&l en général en sortiront pénalisées. Il reste à souhaiter que les intérêts agricoles soient pris en grande considération dans les prochaines négociations à venir. A ce stade, de manière urgente, nous devons exiger le respect des standards de production et de qualité demandés par les instances européennes », note Federico Milanese. Il faut dire que la tomate, produit le plus sensible, est d’importance. « L’Italie exporte 100 000 t de tomates en moyenne sur le marché européen. Son principal client est l’Allemagne, suivie de l’Autriche et du Royaume-Uni. Mais ses exportations sont en diminution (58 % en 2000 et 32 % aujourd’hui). La France, elle, en reçoit 6 000 t avec un pic à l’export en 2008 de 8 000 t », énumère-t-il.
Les exportations marocaines de tomates ont progressé de 44,4 % entre 2008 et 2011 selon les données de l’Institut italien des marchés agricoles Ismea. Or, c’est quasiment le seul produit originaire du Royaume Alaouite à être présent sur le marché italien en quantité significative. « Les marchés de gros italiens signalent la présence de produits marocains à des prix beaucoup plus bas que ceux des produits espagnols ou italiens, note encore le rapport de l’Ismea. Une telle agressivité dans la politique commerciale des exportateurs marocains a une forte répercussion sur le marché et, par voie de conséquence, entraîne à la baisse les prix des produits d’origine italienne et en particulier les produits siciliens. » Les autres f&l (raisin de table, melon ou encore pastèque) sont considérés comme des produits “menacés” mais de manière moindre que la tomate. Pour les agrumes et petits agrumes, dont les exportations marocaines ont augmenté de 82 % en quatre ans, l’Italie serait surtout concurrencée sur les marchés tiers et plus particulièrement la Russie. En effet, la domination de l’Espagne sur le segment petits agrumes a poussé le Maroc à se concentrer sur le marché russe.
La crise E. Coli est venue renforcer une crise latente liée à une guerre des prix
Les répercussions commerciales risquent d’être fortes pour la filière sicilienne dont les calendriers de production sont quasiment identiques à ceux du Maroc, les conditions climatiques étant similaires. « En Sicile, nous avons un prix de production plus élevé qu’en Espagne ou au Maroc, indique Luciano Caruso, producteur sicilien et membre de l’OP Abiomed, regroupant 80 producteurs sur 900 ha de f&l. Au total, 30 % de nos productions sont destinées à l’export. Comme nos rendements sont plus faibles par hectare qu’au Maroc, nous avons pris le parti de défendre notre terroir et la qualité de nos tomates. C’est en ce sens que l’on a demandé l’IGP Pachino et que des démarches IGP sont en cours pour une autre variété, la Vittoria. Malgré cela, ces deux dernières années, de nombreux producteurs ont souffert de la guerre des prix. Et même si la commission européenne a donné quelques subsides suite à la crise E. Coli, on estime que ce n’est pas assez. » A ce sujet l’Italie a reçu un budget promotionnel exceptionnel pour deux programmes de trois ans d’un budget global de 4 M€ et la filière estime que si la crise sanitaire a « montré sa fragilité, elle a en même temps montré sa volonté et sa capacité à réagir, ajoute Federico Milanese au CSO. Aujourd’hui, grâce au professionnalisme et aux mécanismes de traçabilité mis en œuvre par les producteurs et opérateurs, les consommateurs ne remettent pas en doute la qualité des produits. Les baisses de consommation sont plutôt liées à des facteurs plus profonds sur lesquels il est nécessaire d’agir. »
Enfin sur la future Pac, l’Italie estime qu’il « n’est pas acceptable de baser la distribution des ressources sur le paramètre de la surface (aides directes), souhaite souligner Federico Milanese. Il est nécessaire de prendre en compte d’autres paramètres pour récompenser ceux qui produisent des produits de qualité à valeur ajoutée. La Pac doit donc regarder l’avenir en tenant compte du marché global et trouver des instruments pour stabiliser les revenus des agriculteurs. La période passée nous a appris que le marché n’est plus prévisible car pouvant être fragilisé par des conditions climatiques exceptionnelles, voire des catastrophes naturelles, et des spéculations financières ont lieu sur le marché des matières premières. Dans un tel contexte d’incertitude dérivant de la globalisation des marchés, il est nécessaire de mettre en place des instruments de gestion de crise, avec la possibilité d’assurer le revenu des producteurs, ce qui signifie penser de manière innovante l’agriculture de demain. » Pour autant, l’Italie aura à trouver des solutions pour lutter contre une baisse régulière de la consommation de f&l. De nouveaux produits seront à développer alliant lien au territoire, qualité des produits (IGP, DOP), praticité et pourquoi pas mettant en avant leurs bienfaits santé.