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Frédérine Derlot Copy, Centre du commerce international ONU/OMC
Exporter, une arme pour lutter contre la pauvreté

Depuis 1964, le Centre du commerce international ONU/OMC (CCI) organise des programmes de soutien afin que les pays les moins favorisés trouvent leur place dans le commerce mondial des f&l. Rencontre avec Frédérine Derlot Copy, administratrice des programmes “Fruits et légumes Frais” du CCI.

Frédérine Derlot Copy est arrivée il y a un an au poste d’administratrice des programmes “Fruits et légumes Frais” au sein du Centre du commerce international ONU/OMC (CCI). Niché au cœur de la ville de Genève en Suisse, cet organisme de coopération technique créé en 1964 est chapeauté par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a pour mission d’aider les économies en développement et en transition, en particulier leurs opérateurs économiques, à développer leur potentiel d’exportation. Le CCI part en effet du principe que, dans les pays les moins avancés (PMA) ou en voie de développement (PEVD), les marchés locaux ne sont pas assez développés pour assurer un revenu suffisant aux producteurs, et que la lutte contre la pauvreté passe aussi par le développement du commerce extérieur. A ce titre, le CCI est chargé des aspects opérationnels du renforcement des échanges et, notamment, en Afrique où la production de fruits et légumes est une donnée forte de l’économie.
Avant d’arriver à ce poste, Frédérine Derlot Copy a connu une belle carrière au sein de la filière alimentaire internationale. Responsable import-export chez Greenvale (principal producteur de pommes de terre au Royaume-Uni) pour son client Sainsbury’s, responsable achat fruits et légumes bio et conventionnels chez Pomona pour le compte de Migros Suisse... : la carte de visite est prestigieuse, et un peu atypique dans une institution où l’on croise plus couramment des fonctionnaires internationaux : « C’est vrai, reconnaît-elle, mais je pense apporter ici une vision pragmatique des choses. Lorsqu’il s’agit d’évaluer un projet, mon expérience de la réalité du marché et du vécu dans les entreprises me permet d’exercer un œil critique. Ce qui, au final, est de plus en plus recherché par une structure comme le CCI. Et puis, l’aide au développement, c’est un vrai enrichissement personnel. »
Le CCI dispose de deux budgets pour son activité : un “régulier” de 33 M$ fourni par l’ONU et l’OMC, ce à quoi s’ajoutent les contributions des pays donateurs de l’ordre de 40 M$. Pour optimiser un budget finalement modeste au vu de celui d’institutions comme la FAO, l’action du CCI s’articule autour d’un concept : l’approche sectorielle globale. « Notre travail consiste à analyser la chaîne de valeur d’un fruit ou d’un légume, depuis la production jusqu’au consommateur, en relevant les opportunités et les goulots d’étranglement pour le commerce, explique-t-elle. Tous les aspects sont étudiés : emballage, juridique, qualité, logistique... Nous disposons d’une équipe de consultants spécialisés couvrant tous les thèmes. Cette somme d’informations permet ensuite de bâtir une stratégie d’amélioration de la filière afin d’apporter plus de valeur au produit. Cela peut passer par une évolution de son usage : par exemple, au Bénin, pour l’ananas, la transformation s’est avérée une piste sérieuse. Le document d’orientation est ensuite validé par toutes les parties prenantes. L’aspect participatif est primordial. Nous travaillons main dans la main avec les producteurs, les chambres de commerce locales et les décideurs politiques. Cela permet aussi d’affiner les projets, de définir les priorités. Entre une idée et sa mise en œuvre dans la réalité, il peut y avoir des différences... » Les financements des projets sont soit prédéfinis – par exemple “culture de l’ananas et travail des femmes” –, soit plus génériques, comme les programmes de lutte globale contre la pauvreté. Le CCI initie et accompagne ainsi des projets ou s’intègre dans certains grands programmes internationaux.
Les flux entre les pays africains et l’Europe demeurent importants. Cependant, de plus en plus, les pays essaient d’exporter chez leurs voisins immédiats ou dans une zone régionale proche. Cette prise de conscience de l’existence d’un marché, pour ainsi dire, “à portée de main” engendre de nouveaux besoins pour les entreprises sur place. « Prenez le cas de la mangue Ouest africaine : seulement 10 % des tonnages vont vers l’Union européenne et, de l’autre côté, le Nigeria, grand consommateur, en manque. Il existe donc des flux entre pays limitrophes qu’il faut amorcer. » Cette tendance forte fait l’objet de projets spécifiques. Un exemple éloquent du développement de ce commerce Sud-Sud est celui concernant l’ananas du Bénin, projet porté par plusieurs bailleurs de fonds dont principalement la Finlande : « Les producteurs béninois cherchaient à développer le commerce dans la région. Un premier travail a permis d’identifier des possibilités d’export sur les pays du Maghreb. Une étude du marché avec l’évaluation du potentiel d’achats a ensuite été menée qui a abouti à la rencontre entre des acheteurs marocains et les exportateurs béninois. Les premières palettes ont déjà été livrées et nous sommes dans une phase de monitoring, le projet ayant son terme en avril prochain. » La notion d’approche globale sectorielle prend ici tout son sens : « Parallèlement, des experts ont proposé une formation pour aider les entreprises à bâtir leur business plan et à demander des prêts de grandes institutions bancaires présentes au Bénin. Enfin, pour lutter contre l’opacité de la chaîne de valeur, un apport en technologies de l’information a permis de mettre en place une mercuriale en temps réel, avec renvoi sur téléphone mobile via un texto », ajoute Frédérine Derlot Copy. Ce projet pourrait être dupliqué dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest et mené à bâtir un véritable guide de bonnes pratiques. En tout cas, de nouveaux financements allant dans ce sens sont prévus pour 2012. D’autre part, la création d’un label pour les produits des pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) est aussi à l’étude.

Une absence de structures de production et de conditionnement
Aujourd’hui, les freins au développement d’entreprises capables d’exporter sont de diverses natures : « L’accès au financement en est un incontestable, indique Frédérine Derlot Copy. Les taux d’emprunt avoisinent souvent les 15 à 20 %. C’est rédhibitoire. Il faut aussi compter avec le commerce informel. La difficulté à recueillir des données fiables sur lesquelles se baser souligne combien la chaîne de valeur demeure opaque. Souvent, le producteur ne sait pas ce qu’il advient de son produit, s’il a été apprécié ou non. Il n’est alors pas en mesure de l’améliorer si besoin est, et du coup il ne peut recueillir la plus-value de son travail. Corollairement, les filières souffrent d’un grand nombre d’intermédiaires dont l’utilité n’est pas toujours établie. Un des objectifs des projets portés par le CCI est d’apporter de la transparence et de permettre un meilleur accès à l’information. » L’absence de structures de production et de conditionnement est aussi un handicap certain. Le manque de routes adaptées ou d’unités frigorifiques, les techniques de récolte et de post-récoltes utilisées et surtout les ravageurs (comme la mouche du fruit) et les maladies font qu’environ 30 à 40 % des productions sont perdues avant leur commercialisation. « Le CCI a suivi dans les traces de la FAO en Jamaïque un projet portant sur la mise en place de centres de collecte pour les fruits et légumes. Ces places où sont consolidés les volumes apportés par les producteurs impliquent les agriculteurs, le ministère de l’Agriculture jamaïcain ainsi que les acheteurs. Dans le domaine phytosanitaire, un partenariat privé-public exemplaire a permis d’initier une démarche régionale de lutte contre la mouche des fruits avec la CEDEAO », souligne-t-elle.
Structurer les filières fait partie du travail du CCI et 2012 étant l’Année des Coopératives, il est intéressant de savoir si ce modèle est approprié pour les PMA et les PEVD : « Le développement des coopératives dans les pays où le CCI intervient dépend souvent de la jurisprudence locale, insiste Frédérine Derlot Copy. Par exemple, au Sénégal, dans la production de mangues, la tradition est de constituer des GIE et le pays a passé une loi pour faciliter la création de coopératives agricoles. Un de nos projets sur place porté par les Pays-Bas consiste à apporter une aide juridique pour établir un contrat-type. Un travail d’accompagnement était ici nécessaire. »

Le format coopératif ne s’impose pas d’emblée
« Nous avons le cas de petits producteurs au Brésil qui avaient d’abord opté pour la coopérative. Ils ont rencontré les problèmes que toute structure de ce type rencontre immanquablement à un moment, principalement le fait que les adhérents n’apportaient pas 100 % de leur production. Du coup, ils se sont transformés en association de producteurs, une structure plus fermée avec moins d’adhérents mais plus de motivation. Cela leur a permis de rencontrer le succès : moins d’intermédiaires, plus de productivité, attribution de fonds de l’Etat pour la construction d’une station de conditionnement. En 2012, forts de cette expérience, ils vont revenir au statut coopératif, d’autant que d’autres petits producteurs ont émis l’envie de se joindre à cette structure. En fait, on ne peut pas imposer la coopérative, sur le mode “Avec les coop, vous vous sentirez mieux”. Cela ne marche pas ainsi. Il faut une certaine maturité. Mais, il n’en demeure pas moins vrai que le fruit du travail de la coopérative revient à la communauté. En cela, elle participe à la lutte contre la pauvreté. » Une tâche qui s’avère quelquefois compliquée dans un contexte de financiarisation des terres arables : « C’est un phénomène réel qui touche l’Afrique mais aussi l’Indonésie et le Brésil, déplore Frédérine Derlot Copy. Ainsi, on estime que 40 % des terres du Soudan Sud sont déjà dans des mains étrangères, et cela après quelques mois d’existence seulement. La vraie question est de savoir qui investit. Si l’exploitation des terres se fait avec les populations locales qui en tirent un vrai revenu, alors cela aura un impact positif dans la région. Cependant, les lignes bougent en ce moment. Récemment la ministre de l’Agriculture sud-africaine a proposé, en partenariat avec l’Union africaine, d’établir un registre de l’ensemble des terres arables sur le continent, afin de mieux connaître l’existant. De même, le Brésil entend introduire une loi limitant la vente des terres. » C’est ainsi que depuis plus de 48 ans, le CCI participe à la réduction de la pauvreté dans les régions les moins favorisées du globe en leur offrant les moyens d’accéder à l’autonomie économique créatrice d’emplois, et aide les plus vulnérables à accéder aux marchés.

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