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FRUIT LOGISTICA - Commerce équitable
Exceptée la banane, le fruit équitable se fait rare

En France, si les ventes de fruits équitables étaient en progression jusqu’en 2008, la crise économique a fait son œuvre. Les opérateurs se recentrent sur la banane.

En 2010, le pessimisme était de rigueur en ce qui concerne la consommation responsable. Dix ans après le lancement sur le marché français du premier fruit équitable, la banane, les marchés continentaux européens, à la différence de la Grande-Bretagne, sont en berne. Et les tonnages de vente rapportés par Max Havelaar France sont plus que clairs. En l’espace de deux ans, hormis la banane, dont les ventes atteignent plus de 10 000 t/an, les autres références ont presque été balayées du marché (cf. le tableau). Seules deux autres productions ont survécu : l’ananas et la mangue, mais les volumes sont dérisoires et les ventes faibles. Fait très spécifique à la France, toutes les bananes équitables sont bio et présentées comme une alternative à l’offre antillaise.
« En France, il y a moins d’engagements de la part des distributeurs, souligne Rebekka Belk chez Max Havelaar France. Les sociétés méconnaissent ce pour quoi il faut acheter les fruits équitables. Pourtant, l’offre est pléthorique. Nous avons les origines traditionnelles “mangue” et nous venons de démarrer des litchis de Madagascar équitables en Suisse dans les magasins Coop. Il y a des possibilités, mais le marché français est devenu frileux. » Un frein récusé par certains opérateurs. En effet, les ventes de bananes bio explosent. « Le marché est en pleine mutation. Depuis dix ans, les ventes de bananes bio équitables progressent, mais en 2010 ce marché s’est littéralement effondré. Nos ventes ont chuté de près de 15 %. Les distributeurs privilégient les bananes bio et les consommateurs reconnaissent la démarche durable de la banane des Antilles. Il y a aussi une volonté de ne pas payer le prix sans cesse en augmentation des bananes Max Havelaar », indique Yann Berrou de Fruidor.
Pour autant, les pionniers demeurent les maîtres de ce marché. Biocoop – premier réseau de magasins français à avoir proposé de la banane équitable, la première référence en frais – conserve son soutien sans faille au commerce équitable. « Toute notre offre banane est équitable [2 000 t à l’année, NDLR]. C’est un choix délibéré de notre réseau et nous sommes approvisionnés par deux mûrisseurs différents Brochenin et ProNatura pour une durabilité des projets construits en amont de ces filières d’approvisionnement. Notre stratégie, à long terme, serait que les fruits exotiques proposés soient équitables. Pour la mangue du Burkina Faso, le dossier équitable est en cours, explique Serge Le Heurte, en charge de la filière frais chez Biocoop. Ce n’est pas clairement formalisé. Il nous faut des projets solides en face. C’est là que le commerce équitable trouve tout son sens dans une implication auprès des producteurs. »

Un discours durable remise en cause
Plus généralement, le consommateur français est inconstant. Un jour il prend le parti de la consommation responsable, le lendemain il préfère les 1ers prix pour protéger son pouvoir d’achat. Et la crise n’a pas arrangé la valse consommatrice bien au contraire. Si 20 % des Français sont toujours mobilisés en faveur d’une consom’action, selon la dernière étude du cabinet de conseil Ethicity, les comportements sont en constante évolution. Les Français sont devenus méfiants vis-à-vis du discours durable. Ils sont ainsi 53 % à considérer qu’il y a trop de messages publicitaires en faveur de la consommation durable et 62 % à juger qu’il y a trop de labels pour les produits dits durables. Un message confusant donc ? Pas faux. Si l’on se réfère aux fruits frais équitables, l’arrivée d’une nouvelle référence Bio Equitable certifiée Ecocert (ESR) sur le marché a de quoi troubler. Même si pour l’heure, cette nouvelle référence, reconnue ESR, concerne majoritairement des fruits secs en provenance de Turquie (abricots, raisins, noisettes, griottes ou encore figues) via la société d’importation Agro Sourcing implantée à Marseille. Pour bénéficier du label, les entreprises doivent s’acquitter d’une cotisation à l’association entre 2 500 et 5 000 €/an (variant selon le chiffre d’affaires annuel).
Dans le cas du marché des fruits frais, certains opérateurs s’interrogent sur la démarche ESR. « C’est une réflexion que nous avons, explique Fatima Jamjama chez ProNatura. Mais rien n’est fait. Nous suivons la demande de nos clients. En banane, la GMS veut du Max Havelaar. » Quant à la pertinence des références bio et équitables en ananas ou en mangue, ProNatura réfléchit. « C’est presque absurde. C’est logique de mener des projets de développement dans nos zones de production, explique-t-elle. Producteurs d’ananas au Togo, nous avons énormément communiqué auprès de nos acheteurs. Il ne nous semble donc pas fondamental d’ajouter la démarche Max Havelaar. » Sur la banane, pourtant, ProNatura préfère conserver le logo équitable. « Sur ce fruit, c’est incontournable. Car le consommateur s’enquiert fortement des techniques de cultures. Comme le café et le cacao, les bananes sont des produits qui peuvent être “maltraités”, que ce soit chimiquement ou du point de vue salarial, de nombreux reportages ont été diffusés sur le sujet et le consommateur a donc besoin d’être rassuré. »
« Si le bio est extrêmement normé, ce n’est pas le cas de l’équitable. Il y a des principes certes, mais il n’y a pas de normes », explique Laurent Lefebvre chez Ecocert en charge de la certification ESR. Et c’est bien là tout le débat. Chacun estimant qu’il est plus que nécessaire d’établir un système de certification clair. La Commission nationale du commerce équitable (CNCE), créée en mai 2010, n’a pas encore statué sur le sujet. « La démarche française est unique au monde, il reste une orientation politique à trouver. » En tout cas, les projets de certification filières fruits frais fleurissent chez Ecocert : « En Afrique de l’Ouest, nous avons des projets mangue (Ghana et Côte d’Ivoire) et de l’ananas (Togo, Ghana, Côte d’Ivoire), mais aussi de la mangue en provenance de Haïti. On a des demandes de certifications ESR à Madagascar ou en Inde (vanille, clous de girofle, poivre, cardamome) et des projets banane en Colombie. On pense doubler le nombre de nos filières courant 2011. »

La banane bio équitable est un incontournable dans l’offre des opérateurs
Malgré cela, sur le marché des fruits équitables, les opérateurs temporisent. « La banane bio équitable est un incontournable certes, mais elle ne représente que de faibles volumes, explique Anaïg Blouin chez AZ France [1 300 t sur les 59 000 t de bananes vendues chaque année par l’importateur, NDLR]. Nos clients nous la demandent, . Au moment de la Quinzaine du commerce équitable, nous pouvons proposer aussi de la mangue ou de l’ananas mais les résultats ne sont pas concluants. C’est pourquoi nous allons recentrer nos ventes sur la banane en 2011. Nous sommes sur le point d’importer directement de la banane bio de République Dominicaine, nous attendons le feu vert des Pouvoirs publics. » Les demandes clients seraient majoritairement liées à leur volonté de proposer une offre f&l bio complète. Le marché serait difficile et c’est en cela que la société d’importation AZ France a décidé de se recentrer sur la banane bio équitable. « Nous ne proposons que du bio parce que cela va de soi avec la démarche équitable, ajoute Anaïg Blouin. Cela répond aussi à une demande forte de nos clients. » Pour autant, les nouvelles origines sont fortement recherchées. Il y a quelques années, l’Afrique de l’Ouest était présente sur le marché français via le Ghana, mais les ventes ont été stoppées. « Nous nous fournissons majoritairement en République Dominicaine mais c’est risqué, c’est pourquoi nous sommes à la recherche d’autres origines (Pérou, Equateur ou Colombie). Mais il nous faut aller sur place pour que les cahiers des charges soient en accord avec ce que nous demandent nos clients. » Actuellement, AZ France mène un projet d’importation directe en provenance de République Dominicaine. « Cela nous permettra de gérer au mieux les coûts et surtout de travailler directement avec les producteurs. Ce qui est davantage dans l’esprit du commerce équitable », ajoute-t-elle. L’équitable déconnecté du bio n’aurait en France plus le vent en poupe. C’est un revirement de l’achat responsable en GMS.

L’instabilité du marché bio impacte aussi les ventes de l’équitable
Depuis quelques mois, le marché bio est plus qu’instable, « il existe une réelle interrogation chez les spécialistes bio. Les attentes consommateur ont changé et des réflexions sont à mener sur l’éthique, le durable, l’environnemental », explique Laurent Lefebvre, chez Ecocert. Chez Biocoop, on note un ralentissement de croissance en l’espace de quatre ans (de 25 à 5 % en 2010). Ce frein est lié au fait que le bio s’est généralisé dans tous les circuits de distribution. « Cette évolution est liée à la présence de la grande distribution et plus exactement des supérettes. La GMS provoque ce genre de situation. Il y a quelque temps, on a eu un retour d’un magasin de notre réseau, qui nous alertait sur une vente d’oranges bio à 1 /kg. Alors que nous l’achetons à nos fournisseurs à plus de 1 . Cette vente en GMS n’a duré que deux jours, c’était une vente flash, ce qui déstabilise le marché. Notre politique, c’est que nous sommes responsables en termes de développement agricole. Nous réfléchissons nos achats avec nos fournisseurs. Ce sont des productions qui ne se gèrent pas comme des produits quelconques. On est sur des produits agricoles, on doit donc être prudent car il y a des producteurs, des exploitations, une économie entière derrière. »
En clair, ces marchés, même de niche que sont l’équitable et le bio, sont en pleine mutation. « Tout le monde est touché par la crise qui a encore plus exacerbé ce phénomène de pression sur les prix pour les producteurs français bien sûr mais de manière encore plus violente pour les petits producteurs du Sud, rappelle Rebekka Belk. Cela nous pousse encore plus à revenir à la base, à la définition même du commerce équitable. Les marchés sont fluctuants et imprévisibles et avec la crise cela a empiré. Il est donc encore plus nécessaire de clarifier la chaîne de commercialisation et de rappeler le contexte du pourquoi le commerce équitable existe. » Après une année 2008 florissante, les tonnages de fruits équitables ont régressé, en particulier parce que certaines GMS (Cora et Auchan) ont arrêté d’en proposer pour des questions de surcoût. « Même si les ventes ont ralenti, elles se poursuivent. Au cours du troisième trimestre, le marché a repris dans toute la distribution », temporise Rebekka Belk.
Partout en Europe, le marché de la banane équitable progresse. Après la Suisse, la Grande-Bretagne a apporté une impulsion à ce marché considéré de niche. « En 2007, Sainsbury’s et Waitrose ont basculé tout leur approvisionnement de bananes en équitable, parce que leurs fournisseurs historiques ne voulaient pas tenir compte de leurs demandes en faveur d’une production de bananes tournée davantage vers le social, à cause des syndicats », explique Alistair Smith de l’ONG Bananalink. Ce chambardement a radicalement modifié la donne du marché britannique. Et ce alors que depuis bientôt dix ans, les quatre grands de la distribution britannique* sont engagés dans une spirale de guerre des prix. « Les distributeurs sont prêts à perdre de l’argent car la concurrence entre eux se joue fortement sur le prix de la banane », ajoute-t-il. Et rien n’a plus d’importance que d’être en adéquation avec le prix pratiqué par son voisin, même si les critères d’achat ne sont pas les mêmes. Pour l’offre équitable, ce sont les distributeurs qui payent la différence. Et l’addition commence à être salée, le prix de la banane a en effet chuté d’un tiers en dix ans. « Fin 2009, on a même atteint des sommets avec un kilo de bananes vendu à 35 pence (0,40 €). Autant dire que la notion d’équitable n’a plus lieu… C’est quasi suicidaire pour les distributeurs et encore plus pour la notion d’équitable », conclut Alistair Smith. Alors, que devient le sens de l’acte d’achat du consommateur dans cette guerre des prix ?

* Asda, Sainsbury’s, Tesco, Waitrose.

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